Jack Colleran, plus connu sous le patronyme de MMOTHS, est un personnage à la fois fascinant, mystérieux, discret et pudique. Après avoir commencé la musique électronique à l’âge de 17 ans, l’irlandais d’origine sort successivement 2 EP en 2012 et 2013 qui lui auront valu de s’attirer les bonnes faveurs de la scène electro ambiant. Aujourd’hui âgé de 22 ans, il vient de publier le 11 mars dernier son tout premier album Luneworks, pensé et enregistré dans la pénombre d’une petite chambre de Los Angeles. Un disque d’une honnêteté déconcertante né des suites d’une rupture douloureuse et d’un long moment de solitude qui nous offre alors un magnifique voyage électronique nocturne parsemé d’embûches. Rencontre.

Pour nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore, est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur toi ?

Je m’appelle Jack et je fais de la musique électronique depuis quelques années sous le nom de MMOTHS.

Quand est-ce que tu as commencé à faire de la musique ?

J’ai commencé le projet MMOTHS vers mes 17 ans mais je faisais déjà de la musique avant sans me prendre au sérieux. Même quand j’ai commencé MMOTHS, ce n’était pas vraiment sérieux.

Luneworks a été composé alors que tu habitais dans une petite chambre de Los Angeles avec seulement un ordinateur et quelques fringues. Tu dormais même par terre. Qu’est-ce qui s’est passé, comment est-ce que tu as atterri là ?

On a commencé l’enregistrement à Dublin mais à un moment je sentais qu’il fallait vraiment que je foute le camp, j’avais l’impression d’être claustrophobe. C’était une décision prise à la va-vite, je suis allé rejoindre un ami à Los Angeles pour continuer l’album.

Et tu dormais la journée pour travailler la nuit…

Ouais. Quand j’ai beaucoup de travail à faire, je dors le jour et je bosse la nuit pour la simple raison que c’est calme et qu’il n’y a pas de distractions.

Tu n’avais absolument aucune distraction ?

Non pas vraiment, c’est aussi parce que je n’avais pas beaucoup d’amis sur place. Mais c’est ce que je voulais, ça a marché.

Tu n’avais pas peur de devenir fou ou de te sentir vraiment seul à un moment ?

Je me sentais déjà vraiment mal à cette époque, je ne pouvais vraiment pas me sentir plus mal que ça.Vraiment, je voulais juste être seul.

Je regardais la tracklist de ton album l’autre jour, et il y a un track qui s’appelle « Eva », tu peux nous dire qui c’est ?

Eva, c’est une personne qui … (il marque un temps d’arrêt)… Je ne sais pas si j’ai envie d’en parler. Je n’ai pas envie de rentrer là dedans.

Je suppose que c’était la fille avec qui tu as eu une relation qui a en partie inspiré l’album

Oui, c’est ça.

Et cet album, c’est un moyen pour toi de tourner la page ?

Ouais je suppose. J’étais un peu perdu à cette époque, c’était une période assez étrange. Il fallait que je quitte cet environnement pour aller ailleurs. Je ne sais pas si on peut dire que ça a inspiré l’album parce qu’il était déjà commencé quand c’est arrivé mais ça a forcément changé quelque chose. C’est plus la solitude qui est venu après cette relation qui a une influence sur le disque.

Quand j’écoute Luneworks, je ferme les yeux et j’arrive très bien à imaginer toute sorte de paysages, une ville calme en pleine nuit, mais en même temps, c’est aussi comme si tu étais coincé dans ton propre esprit, c’est très introspectif. Est-ce que c’est une bonne manière de décrire ta musique ?

Quand je fais ma musique je suis tout seul et je ne pense pas vraiment à comment les gens vont réagir. Je pense que pour bien écouter ma musique il faut que tu sois tout seul, chez toi, avec un bon casque, dans le noir (rires). Ca sonne cliché mais je pense vraiment que c’est de la musique personnelle, en tout cas ça l’est pour moi donc ça doit l’être pour les autres. Ma musique ne fonctionne pas très bien en groupe. Essaye de la jouer pour tes potes tu verras. J’essaye juste de me concentrer sur ma connexion avec elle, et comment je la créé, je la développe etc… C’est trop dur pour moi de savoir ce que c’est vraiment, pour certaines personnes ça va être une chose, et pour d’autres autre chose.

Mmoths by Jonas Lindstroem-14

La majorité de ton album a été écrite à Los Angeles, mais tu l’as fini à Dublin. Comment les deux endroits l’ont-ils influencé ?

Quand j’étais à Los Angeles, je vivais et je respirais pour l’album. Une fois rentré à Dublin, il s’agissait plus de ramener ce truc vraiment condensé sur lequel j’ai travaillé pendant deux mois, vraiment bruyant et intense, et de le retravailler en studio pour lui donner plus d’espace et plus de corps. On l’a rendu plus vivant si tu veux.

J’ai aussi lu que tu n’avais écouté que My Bloody Valentines pendant l’enregistrement…

(rires) J’écoutais aussi d’autres trucs plus vieux à l’époque. Mais oui, Kevin Shields est une énorme influence pour moi, même bien avant le début de l’enregistrement. Juste pour sa manière de travailler le son, c’est vraiment très intéressant. J’aime que dans sa manière d’écrire des paroles, il y a des trucs que tu n’entends qu’au bout de la dixième écoute. Je suppose que j’essayais de m’en inspirer.

Tu fais toi-même les vocales sur l’album, c’est une première ?

J’ai toujours voulu chanter sur mes tracks mais ça m’effrayait. Je voulais être le plus honnête possible avec moi même sur le disque et je ne voulais pas revenir dessus 10 ans plus tard et me demander pourquoi  je n’avais pas été plus honnête, plus franc, plus direct, plus vulnérable. C’était la chose la plus importante pour moi et ça passe par le chant. Je t’avoue que c’était très bizarre au début parce que je ne sais pas chanter. (rires) C’est quelque chose que je n’avais jamais fait aussi directement.

C’était compliqué de trouver ta voix ?

Je ne sais même pas s’il y avait une voix à trouver (rires). Au début je m’enregistrais avec un micro un peu pourri en me disant que je pouvais les refaire plus tard en studio. Finalement je suis tombé amoureux des prises originales. Elles étaient plus honnêtes et elles capturaient à la perfection le moment que j’étais en train de vivre.

Est-ce qu’on peut parler de Luneworks comme d’un concept-album ? J’ai l’impression qu’il ne fonctionne vraiment que si tu l’écoutes dans son ensemble, du premier au dernier track à la suite.

C’est quelque chose que j’adore faire moi-même, écouter un album dans son ensemble. On ne donne plus le temps à rien de nos jours. Je voulais que le disque soit cohérent du début à la fin. Ce n’est pas toujours évident mais les tracks sont liés les uns aux autres, ce n’est pas juste un morceau, deux morceaux, trois morceaux etc…

Du coup, comment tu choisis quel morceau va être mis en avant pour la promo ou pour un clip ?

Pour être honnête c’est le management et le label qui ont choisi. Pour moi ils sont tous égaux, je ne m’occupe pas de ça, franchement je n’ai aucune idée de laquelle est la plus jouable pour une radio ou ce genre de choses.

Et tu es content de leurs choix (Eva, Deu, ndlr) ?

Oui je pense, je leurs fais confiance. J’ai envie que mon album soit écouté dans son ensemble mais malheureusement c’est jamais le cas, tu as toujours besoin d’un single pour la promo.

Comment tu comptes adapter l’album sur scène ?

On y travaille depuis un moment déjà. On est deux sur scène avec Josh qui joue de la guitare. C’était très bizarre de trouver comment l’adapter sur scène parce qu’à la base, il n’a pas été écrit pour être joué devant un groupe de gens. C’est plus rythmé et plus intense que sur l’album.

Tu as tellement mis de toi-même émotionnellement sur l’album, tu n’as pas peur que toutes ces émotions t’exploseront à la figure un jour ou l’autre sur scène ?

(il marque une longue pause) Oui ça va être bizarre… mais j’essaye de… (il s’arrête).

Tu ressens toujours les mêmes émotions quand tu le joues live ?

Je connais tellement les chansons par cœur que ça pourrait ne pas me toucher. Je suis encore en plein process, on verra. On a fait qu’un live avec le nouvel album pour l’instant.

Comment c’était ?

C’était bien mais c’était bizarre de jouer ces chansons. On trouvera une solution, je ne sais pas encore comment mais ça va aller.

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Tu était vraiment jeune (17ans) quand tu as sorti ton premier EP, tu t’es fait repéré par Annie Mac, tu as joué a South by Soutwest, tu as fais la première partie de Aphex Twin et The XX. Ça fait beaucoup pour quelqu’un d’à peine 22 ans. Comment tu gères tout ça ?

Au début je ne savais même pas qui était Aphex Twin.

Sérieux ?

Ouais ! J’avais à peine 17 ans, je ne le connaissais pas. Je ne me rendais pas compte à quel point c’était énorme. Personne ne savait que j’y allais et quand je suis rentré les gens n’en revenaient pas. Franchement je n’y connaissais pas grand chose quand j’ai commencé à faire de la musique électronique, je n’avais aucune idée de ce qui se passait, ça a sûrement dû m’aider parce que pour moi, ce n’était pas si énorme. Comment je garde les pieds sur terre ? Je ne sais pas, parfois ça m’arrive de flipper. Mais finalement, ce n’est vraiment pas grand chose.

Tu le penses vraiment ?

Mais oui ! C’est juste de la musique !

Tu as l’impression d’être la même personne qu’il y a 5 ans ?

Bien sûr ! Rien n’a vraiment changé, il y a juste un peu plus de pression. Au début quand tu commences à faire de la musique, c’est juste du fun mais maintenant que c’est mon travail, il y a une certaine pression. Mais je n’ai pas changé ma façon de faire et je me sens toujours pareil.

C’est quoi la prochaine étape ?

Du live ! Présenter l’album en tournée, et développer OYAE, le label qu’on a lancé récemment.

MMOTHS
Luneworks
(Because / OYAE)