Paris, matin, ciel gris, pluie. Nous nous retrouvons avec Fakear autour d’un café, non loin de nos domiciles réciproques. Il fête ses dix ans de carrière cette année, moment propice pour se poser et se retourner (un peu) sur le chemin parcouru.

 

Fin de première partie de tournée par une salle Pleyel, Sold Out. « J’ai kiffé la salle carrément et en plus à l’Olympia on avait fait exprès de ne pas mettre de crash donc les gens étaient vraiment là, devant. Je pouvais venir les toucher et ça c’était un truc qui me manquait. C’était hyper agréable à jouer. J’ai jamais autant bossé que sur Talisman. C’est un disque un peu introspectif, que j’ai fait vraiment dans ma grotte, en mode j’ai besoin de remettre les bases. »

 

 

Il faut dire que Fakear vient de retourner chez Nowadays Records, son premier label après un passage chez Universal. Une expérience pas si agréable que cela qu’il nommera pendant notre échange comme une parenthèse. « Je changeais tous les six mois d’équipe. En trois années, j’ai fait six équipes différentes, à chaque fois, je devais réexpliquer ce que je faisais. Au fur et à mesure, il y avait de moins en moins de passionnés. Et particulièrement, pour Everything Will Grow Again (2020) qui était très UK. » De Mercury, il arrive chez Caroline, moment où ils signent Wejdene. Elle devient la priorité du label. « Cet album n’avait pas de hit. Il était un peu club. Arrive le confinement. Je n’avais plus de réponse à mes mails. Le label ne me répondait plus. Je n’avais pas à ce moment-là de miroir artistique pour me challenger, quelqu’un pour me dire “tiens, là, tu pourrais faire ça…”. J’avais mon produit fini, j’étais content, je le livrais et c’était bon. Donc, j’ai décidé de casser un peu le mythe de l’artiste ermite qui vit dans une grotte et qui compose son disque tout seul. En fait, j’ai réalisé que ce n’était carrément pas mon truc, que j’avais besoin de ma famille. » La famille professionnelle s’incarne en Ugo de Angelis de Nowadays Records« Chez Nowadays, c’est un grand truc de copains, de famille, c’est très cool ». Et puis, Ugo a l’oreille exigeante. « Parfois, il se bat pour des trucs que je n’entends pas. Je suis un peu un flemmard dans l’âme. Quand  je suis content d’un morceau, je vais avoir tendance à m’arrêter et puis à aller jouer à Zelda. Ugo me challenge vraiment. »

 

© Sarah Makharine

 

Talisman et Hypertalisman sont nés de cette nouvelle-ancienne collaboration. Hypertalisman a été composé pendant la phase de réalisation de Talisman. « J’’avais d’autres idées qui émergeaient et je n’avais pas le temps de repenser ma méthode de travail. De ce fait, c’est un peu les mêmes ingrédients que Talisman, mais  avec l’expérience technique acquise du mixage. Hypertalisman a en plus la dimension de la route qui lui donne un côté un peu plus pêchu. Après trois ou quatre concerts, j’avais besoin de faire de la musique et les morceaux sont plus club, plus dansants. Lorsque je compose, c’est très structuré et dans le même temps, je vais vite me contenter d’un kick ou d’un clap, d’un son ou de cette boucle de drums. Une fois que tout est en place j’ai envie de dire : c’est bon,  je passe à autre chose. C’est là qu’Ugo est trop fort. Nova (extrait de Hypertalisman, nldr) était quasiment prêt à la période de Talisman et en fait c’est vraiment Ugo qui a pris les rênes en me disant qu’il y avait un potentiel, qu’il fallait qu’on creuse le truc : “prends ton temps, on le sortira après”, il m’a dit. »  Il ne s’agissait pas dans leur esprit de faire une version Deluxe de Talisman. « Sortir une version Deluxe est un geste commercial, trop criard pour moi. Au final, c’est devenu un album en tant que tel. On avait beaucoup de morceaux dont on était content. On est donc reparti sur un nouveau disque, prenant pour base ce qu’on a fait avec Talisman comme si c’était la version 2.0. On a mis de côté les erreurs et ce qui manquait à Talisman. Du coup, cela a été vraiment un process assez fun ».

 

 

Les dix ans écoulés et ces changements ont apporté à la fois doutes et confiance. « Ma peur avec ces changements était de sécher un peu tout le monde, car j‘alterne albums plus introspectifs et d’autres plus pop ». Tout est question de l’ADN d’un artiste. « Tu as raison. Je m’en suis rendu compte parce qu’on me l’a dit mais ce n’est pas un truc forcé ; c’est ça qui est cool. C’est quelque chose de spontané, de vrai, même quand j’ai l’impression de faire un truc totalement différent. Les gens disent : c’est cohérent. Mais, j’ai toujours une appréhension, qui s’est exprimée tout particulièrement avec la sortie de Talisman et le fait de refaire de la scène. Voir que les gens étaient au rendez-vous, qu’on faisait des dates complètes, que Talisman marchait m’a vachement donné confiance pour Hypertalisman sur lequel je me suis vraiment amusé. Cela me donne aussi encore plus confiance pour la suite, sur ce que je bosse en ce moment. C’est encore une fois dans ma tête très différent. À priori, cela reste cohérent avec ce qu’il se passe, j’évolue mais je ne peut pas changer de ouf ».

Ce changement de label s’est aussi accompagné d’un changement de tourneur en pleine tournée. Signé chez Allo Floride depuis de nombreuses années, il y eut un bref passage chez AEG pour finalement arriver chez Bleu Citron. À partir de 2016, la musique électronique évoluait progressivement vers l’urban, dans le même temps « Allo Floride prenait un virage vers la musique de moins en moins électronique alors que mon ADN vient vraiment de l’indie, de l’underground, c’est d’ailleurs ce qu’ils défendaient au début ». Sur les conseils de son manager anglais, il se retrouve chez AEG. Très vite, Fakear comprend qu’il n’est qu’un « petit grain de sable, le petit français » au sein de la grosse machine qu’est AEG.

 

© Sarah Makharine

 

Le changement de label s’accompagne de son arrivée chez Bleu Citron. L’humain revient au centre du projet. « C’’est une famille comme Nowadays ». La transition se fait en douceur pendant la dernière tournée. « En fait, on s’est beaucoup endetté sur la tournée du printemps et on a réussi à rattraper après avec des DJ sets donc finalement on est retombé sur nos pattes. » Ces DJ sets ont aussi eu une influence sur sa musique et sur sa manière de vivre la scène. « Faire du DJ set et du club, ça m’a appris à apprécier la house et la techno d’une autre manière. Avant, je n’en avais pas compris l’énergie. C’est en faisant des DJ sets, en « consommant », en assistant à des trucs, en allant en club, que je me suis rendu compte de ce que voulait dire cette musique. C’est vivre ensemble une énergie, c’est primitif et c’est extraordinaire. Il y a vraiment un truc magique que je trouvais quand j’étais gamin ou adolescent dans les concerts de rock. C’est quelque chose qui a vachement impacté ma musique et le live aussi. Il y a dix ans, je n’avais pas conscience que c’était possible de faire un live comme ça. Avant, je faisais une chanson, fin, applaudissement, merci, le prochain morceau s’appelle truc…  À Pleyel, les trois quarts des morceaux étaient enchaînés, un peu à la manière d’un DJ set. Il y a un vrai truc où tu bascules sur l’autre morceau, ça s’enchaîne. Je fais toujours des starts et des stops à des moments. Les DJ sets ont été une espèce d’énorme claque. »

Même si les expériences s’interpénètrent, Fakear fait la différence entre le DJ et le créateur-producteur. « Tu racontes une histoire d’une manière différente. Lors d’un DJ set, tu la racontes en fonction des gens alors que le live, c’est écrit : tu as un plan de feu, tu as des déplacements. Tu es obligé de suivre, même si tu peux en sortir de temps en temps pour faire un truc. Les DJ sets, ce n’est pas écrit et c’est trop bien. Tu as tes petites cartes joker dans ta main. C’est génial comme exercice. Ça t’apprend la dynamique, l’énergie. »

 

DJ set © Jesse Olu Ogunbanjo Fakear Instagram

 

Ces changements au cours de ces dix années sont aussi visibles sur les visuels, plus figuratifs qu’à ses débuts. « Je suis très fan d’art abstrait, de surréalisme. Ma musique parle de nature. J’avais envie de présenter quelque chose visuellement qui contrebalance ça en étant presque un peu sci-fi ou futuriste pour qu’on ne puisse pas me ranger dans une case. Je n’ai jamais voulu mettre ma tronche parce que ça ne fait pas partie de mon identité. C’était quelque chose avec lequel je n’étais pas à l’aise. » L’évolution des visuels va vers plus de textures. « La cover d’Hypertalisman est moitié aquatique, moitié cristalline. C’est de la 3D. L’idée est que ça prolonge la musique, que cela invoque la matière, des sensations. Je ne sais pas ce que ça va devenir par la suite, mais, j’aimerais bien exploiter plus le côté sci-fi. La nature est toujours ma source d’inspiration première. J’ai l’impression que je n’ai pas encore assez exploité cette dimension sci-fi avec son côté dystopique, solaire et positif. Même si les univers sont très urbains et sombres, Ghost In The Shell, Akira… me parlent aussi à fond. » Nous voilà à échanger sur Frank Herbert, auteur de la saga Dune (1965), qui met en son cœur  la nature dans une perspective futuriste. « C’est un truc qui m’attire vachement ».

 

Hypertalisman cover

 

Des visuels à l’image, il n’y a qu’un pas. « Je crois beaucoup dans les jeux vidéos comme je crois dans le cinéma. Cela me procure les mêmes, voire plus de sensations qu’un film. » À 32 ans, Fakear est la génération née avec les jeux vidéos, culture qu’il souhaite transmettre à ses futurs enfants. « Je n’ai pas envie de les lâcher dans Fortnite ou dans des jeux comme ça. J’ai envie de les amener à apprécier des jeux comme Zelda de la même manière que je voudrais les amener à regarder les Scorsese ou les Coppola. Zelda est, pour moi,  la pierre angulaire de la culture de jeux vidéo. On peut vraiment avoir un apprentissage des jeux vidéo qui t’amène à des nouvelles émotions, à une ouverture d’esprit. C’est comme ça que je le vis. Ça transparaît vachement dans ma musique, qui est finalement très ludique. » Quelque chose qui a le goût de l’enfance. « Ma musique est devenue la B.O. de mon jeu vidéo à moi, d’un monde imaginaire dans lequel j’ai aimé jouer. J’étais un gamin dans ma tête, à bidouiller dans mon monde. J’avais beaucoup de personnages de figurines, c’était quelque part un pré-jeu vidéo. D’ailleurs, j’ai encore une boîte de figurines chez moi à 30 balais que je sors de moins en moins, mais elles sont là. De temps en temps, je suis tenté… je suis là avec mes petites histoires. »

 

Fakear dans son studio chambre © Fakear Instagram

 

En 2014, chez Modzik on lui avait posé la question : « Tu te vois où dans dix ans ? » Il répondait : « J’aimerai bien faire des musiques de films. Parce que ça m’a toujours un peu trotté dans la tête. Ou alors faire encore des concerts sous le nom de Fakear mais ça me semble compliqué ». L’avenir lui a donné tort. « C’est trop drôle. Je voyais vraiment ça comme étant une expérience bonus de vie. Je me disais, waouh, Fakear, là, ça marche. Les gens kiffent. J’ai de la chance si ça dure deux, trois ans. C’était aussi pour me protéger de la chute. En fait, je ne pouvais que redescendre. Il fallait que je me protège, j’ai anticipé comme ça. Dix ans plus tard, je continue d’avoir cette espèce de vitesse stable où je peux remplir, refaire un Trianon et une salle Pleyel Sold Out, j’ai tellement de  chance. » Bon, et la musique de film ? « J’ai essayé, notamment pour Et ta sœur (2016) de Marion Vernoux, avec Virginie Effira et Grégoire Ludig du Palmashow. En fait, je n’ai pas vraiment apprécié l’expérience. Je voulais tenter des choses. Mais en passant par les rouages de la prod’ et des différents interlocuteurs, je me suis aperçu qu’ils ne voulaient pas vraiment du Fakear, mais plutôt du Alexandre Desplat. Donc, il y a eu méprise. Mais je remercie Marion Vernoux, qui est vraiment quelqu’un de sympa et qui m’a fait confiance. » Mais ces difficultés se sont reproduites. « Je me suis souvent confronté à ce dilemme-là, que ce soit dans la musique de film ou dans la musique de pub. Je ne suis pas un bon couteau suisse, je sais faire bien du Fakear, je ne suis pas un très bon producteur pour d’autres, ce n’est pas mon job, ça me passionne moins forcément. »

Mais la musique pour jeux videos le tenterait bien, mais d’autres contraintes existent. « La musique de jeu vidéo est un format qui est très bizarre, il faut faire de la musique qui peut se boucler sur elle-même pendant un long moment et qui correspond à un moment de ton jeu. C’est hyper compliqué à faire. Il y a tellement de changements d’actions. Du coup, il faut créer des séquences, mais tu ne sais pas dans quel ordre les mettre. En fait, c’est  un patchwork musical où chaque séquence doit pouvoir s’enchaîner entre elles. Pour moi, Nintendo, c’’est vraiment les boss absolus. Ils ont vraiment cette approche du jeu vidéo japonais. Ils ne sortent pas grand-chose, mais quand ils sortent un truc, c’est vraiment un chef-d’œuvre. On peut attendre les Zelda, cinq, six ans. »

 

 

Quel que soit le support, Fakear reste un artisan éco-responsable. « Je suis resté très DIY. J’ai envie que ça reste assez pur. D’ailleurs, c’est rigolo, c’est un peu une vanne de Nowadays. J’ai toujours mon matos dans ma chambre. J’écris chez moi avec pas grand-chose : un Prophet et un Juno qui sont dans ma chambre. Mon chat passe, ma meuf fait des trucs à côté, c’est le bordel, mais j’ai besoin d’avoir ce truc-là. C’est là que j’écris le mieux. De plus, je n’autorise pas grand monde, sauf Ugo, à venir dans cet univers. C’est en lui que j’ai confiance depuis très longtemps. Son premier haut fait d’arme, on va dire, c’est que c’est lui qui m’a convaincu de ne pas jeter à la poubelle La lune rousse. À partir de là, je me suis dit peut-être qu’il avait une vision. Moi, je la considérais comme une B-side. C’est drôle. Je n’avais pas l’impression d’avoir vraiment bien bossé. Je me disais que je n’avais pas forcément envie de la sortir. Et puis, on s’est dit, non, vas-y, on la met quand même. »

De la chambre à la diffusion de sa musique, Fakear est très engagé sur la réduction de son impact écologique. « C’est un peu pierre après pierre que j’essaye d’infuser ça dans ma conduite, mais j’avoue réfléchir surtout sur la tournée. Ma pratique musicale, elle, n’a pas vraiment changé. Mais, c’est une vraie question. De plus, je suis hyper bavard musicalement, j’ai envie de produire tout le temps. Peut-être qu’à un moment donné, je me limiterais, ou je trouverais d’autres moyens de diffuser ma musique. Pour l’instant, je me concentre sur le tour, il y a plein de leviers à tirer. » Cela passe par la limitation des voyages en avion. « C’est une question qu’on ne se posait pas du tout il y a dix ans. Par exemple, cette année, on a pris deux avions sur 17 dates, tout le reste a été fait en train, à raison de 7 à 8 heures de voyage. Je pense qu’avec la jeune génération qui arrive, cela risque de devenir la honte de bouger loin pour une date. J’ai l’impression que petit à petit, ça va devenir un truc un peu collectif, admis par la population. Mais cela pose aussi des questions de réclusion culturelle des territoires comme les départements, régions et collectivités d’outre-mer. C’est d’ailleurs à Tahiti qu’on m’a fait ce genre de remarque. Une réponse possible est peut être de se fixer un certain nombre de jokers annuels de voyages. (Les tournées représentent dix à vingt pour cent des émissions de gaz à effets de Serre, ndlr). Les professionnels commencent à parler de décroissance sans dire le mot, c’est un peu le point Godwin. Les gros festivals doivent, à mon sens, limiter les têtes d’affiches américaines qui doivent franchir un continent pour la date, faire des évènements plus petits. On réfléchit beaucoup à ça avec Bleu Citron, qui sont très impliqués là-dedans. À priori, le plan c’est qu’on s’arrête de tourner en 2025. Notre ambition est de repartir en 2026 avec une tournée verte exemplaire de Fakear. On a essayé cette année de limiter la casse, avec ce qu’on avait. Même si se déplacer en tour bus consomme énormément de gasoil pour déplacer dix personnes d’une équipe. En train, cela aurait été un budget monstrueux. Il y a donc plein de choses à repenser : rapprocher les dates, limiter les exclusivités sur un territoire, penser à un show qui va moins consommer d’électricité, produire du merchandising éco-responsable, soit avec des textiles de seconde main soit fabriquer des petits patchs thermocollants que tu peux mettre sur ce que tu veux… » En effet, il est nécessaire d’inventer un nouveau modèle de tour plus « vert ».

La pluie s’est arrêtée lorsque nous nous séparons. Le rendez vous est pris pour 2025 !

 

Talisman et Hypertalisman sont disponibles via Nowadays Records.

Nouvel extrait : Underwater ft. KAVYA 

En tournée en Allemagne.

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing