Il y a de ces albums qui vous nouent la gorge à ne plus en décrocher un mot. J Dilla aurait pu s’offrir un final shakespearien et mourir sur scène que personne n’aurait rien trouvé à redire. J Dilla, c’est le mec qui continuait à produire des beats sur son lit de mort, le genre de mec qui a tenu à offrir à ses fans une dernière tournée d’adieu quelques mois à peine avant son décès, ses derniers souffles, ne vous y trompez pas, il les a donné au public.

Le 7 février 2006, James Dewitt Yancey aka. J Dilla fêtait ses 32 ans et sortait Donuts, il le sait, il s’agira de son dernier album, son chef d’oeuvre . 3 jours plus tard, il décède des suites d’un arrêt cardiaque probablement causé par sa  Purpura thrombotique thrombocytopénique, une rare maladie du sang. Pour ceux qui en doutaient encore, l’homme vient d’entrer dans la légende. Quelques mois plus tôt, le rappeur/producteur de Détroit avait un peu plus construit son mythe en accordant au public une dernière tournée, un adieu vraiment, fendant la foule en chaise roulante et porté sur scène à la force des bras par ses complices de toujours. Plus faible que jamais, on comprend vite que J Dilla n’en a plus pour longtemps, présent à ses côtés lors de la tournée européenne, Phat Kat témoigne :

 « C’était comme sa tournée d’adieu. Elle avait été repoussée deux fois à cause de sa santé, mais c’était bien lui qui voulait qu’on y aille. Et on est parti pour lui. On recevait des mails de fans tristes de le voir en fauteuil roulant, mais c’était ce qu’il voulait faire, aller vers ses fans et faire savoir qu’il appréciait la scène. Tous les soirs étaient émotionnels. C’était fou, on voyait des fans en première ligne pleurer. Et quand il n’était pas sur scène, il était en dialyse : ce mec était un putain de soldat ! Tous les soirs à fond, crachant le feu, tous les soirs ! Jamais il n’a laissé tomber. Il continuait même à travailler des beats à l’hôtel. »

10 ans plus tard, l’émotion est encore palpable à l’écoute de The Diary, dernier d’une longue série d’albums posthumes sortis depuis ce funeste 10 février 2006. Bourreau de travail notoire, J Dilla avait apparemment laissé au monde quelques galettes enfouies au fond des tiroirs avant de tirer sa révérence, et ce n’est pas pour déplaire à Mass Appeal Records (le label de Nas) qui sort donc The Diary, initialement prévu pour 2002 (à l’époque où il lâche les majors pour retourner vers l’indépendant) et probablement l’album le plus médiatisé de Jay Dee depuis sa mort. Alors qu’on avait pris l’habitude d’admirer le génie de J Dilla sur des productions de 2mn maximum, The Diary offre quant à lui des morceaux bien plus long qu’à l’habitude et surtout, il nous rappelle qui si Dilla était l’un des meilleurs producteurs de sa génération, il était aussi un MC confirmé. De “The Introduction” à “The Diary”, Jay Dee nous expose tout l’étendu de son talent le temps d’un opus déjà classique de 14 morceaux et un peu plus de 40mn où toutes ses facettes de producteur/rappeur y sont explorées : boucles hypnotiques, beats syncopés, écriture assassine et flow habité. Le rappeur et le beat-maker ne font plus qu’un et c’est jouissif à écouter. Pour ce qui est des collaboration, on retrouve évidemment ses acolytes historiques Frank n Dank, mais aussi Nottz & Boogie, Kenny Wray, Bilal, Kokane ou Snoop Dogg pour le plus connu, en plus d’un hommage appuyé aux N.W.A sur le titre “Fuck The Police“. Si les fans de toujours avaient pu craindre que Mass Appeal ne dénature le travail de Dilla en mettant l’accent sur sa facette la moins prolifique, celle de MC, ce The Diary reste à la hauteur de sa légende tant sur le fond que sur la forme malgré quelques écarts dispensables. Loin de collectionner les titres, l’album forme un ensemble cohérent qui s’inscrit dès lors comme une pièce-maîtresse dans la compréhension de son oeuvre. Legend.