Ce mercredi 24 avril sort en salles le film Back To Black de Sam Taylor-Johnson. Le biopic musical qui relève le défi de retracer la vie fulgurante et tourmentée de la talentueuse Amy Winehouse.
ncarnée par la prometteuse Marisa Abela (Industry), le film est structuré autour de l’histoire d’amour toxique de la chanteuse avec Blake Fielder-Civil et reste proche de son intimité, en suivant aussi sa relation avec son père.
Comme tout biopic musical, le film réalisé par Sam Taylor-Johnson (Cinquante nuances de Grey) n’échappe pas aux risques auxquels sont soumis leurs réalisateurs et comédiens : la recréation à grand écran de la vie des icônes qui ont marqué leur époque.
Un danger qui, par ailleurs, ne semble pas décourager les producteurs, car les biopics musicaux se succèdent les uns après les autres. Bohemian Rhapsody (Bryan Singer), Rocketman (Dexter Fletcher), Elvis (Baz Luhrmann) et, tout récemment, Bob Marley: One Love (Reinaldo Marcus Green) pour ne citer que les plus récents… mais il y en a pléthore. C’est peut-être à cause de l’ineffable « based on a true story » qu’ils continuent d’attirer les spectateurs. Et c’est aussi pour cette même raison qu’ils seront presque toujours au centre de la polémique, surtout lorsqu’il s’agit de dépeindre la vie d’artistes que le public contemporain connaît très bien. Soit parce qu’ils ont grandi avec eux, soit parce qu’ils ont partagé leurs succès et souffert de leurs échecs.

Le cas d’Amy Winehouse est sûrement l’un des plus emblématiques. Une artiste unique, avec une allure et un style hors norme, doublée d’un énorme talent et d’une fraîcheur qui semblait venir d’un autre monde, et qui a aussi été fustigée en public par les tabloïds britanniques. Pour beaucoup d’Anglais, Amy incarnait cette poupée punk, coiffée d’un chignon choucroute et d’un large trait d’eye-liner noir, au croisement d’une pin-up girl des années cinquante et des chanteuses soul et jazz des années soixante, comme Billie Holiday ou Sarah Vaughan. Elle les représentait fidèlement, avec son panache de trottoir et de pub enfumé. Ils ont vécu son ascension et ses chutes comme s’il s’agissait d’un membre de leur famille.

Les détracteurs du film se sont fait entendre bien avant sa sortie. Une vidéo montrant la comédienne Marisa Abela chantant les morceaux les plus emblématiques d’Amy a fait le tour du web et les critiques se sont déchaînés : « Elle ne se ressemble pas du tout à Amy ! » , « Comment, elle ose prétendre chanter comme elle ? » , etc.
Le biopic musical rencontre un autre défi majeur : celui de devoir représenter non seulement des stars très populaires, mais aussi de véritables maîtres dans leur domaine. Et quand le chant est directement impliqué, les difficultés peuvent rapidement devenir un véritable cauchemar. Surtout lorsqu’on sait que le public est là, prêt à scruter le moindre détail et à vous attendre au coin de la rue avec ses bazookas.
Back To Black n’échappe pas à ces difficultés. Si la vidéo de l’actrice Marisa Abela chantant avec sa propre voix les morceaux d’Amy a mis le feu aux poudres, il faut bien reconnaître que c’est là où se joue une grande partie de la réussite de tout biopic musical. Car même si le comédien fait de son mieux, ceux qui connaissent chaque geste, chaque nuance, chaque ton de la voix de leurs artistes préférés ne verront jamais leur icône personnifiée sur scène, ou auront vraiment du mal à s’identifier à cette nouvelle création. La liste est longue : pensez à la performance de Val Kilmer en Jim Morrison, à Rami Malek en Freddie Mercury, à Gary Oldman en Sid Vicious, à Angela Bassett en Tina Turner, à Joaquin Phoenix en Johnny Cash, à Jamie Foxx en Ray Charles, à Taron Egerton en Elton John, à Austin Butler en Elvis, à Marion Cotillard en Édith Piaf, ou à Sam Riley en Ian Curtis, parmi tant d’autres exemples, certains plus réussis que d’autres.

Dans ce jeu de transformation, Marisa Abela s’investit pleinement. Pourtant, au début, il est difficile de la voir s’effacer derrière son personnage. Sur les premiers clichés et les premières notes de musique, on peine à ajuster notre regard entre les deux : l’actrice devant nous et la légende qui émerge de notre mémoire. C’est comme une sensation désagréable de voir double, semblable à la fin d’une fête interminable et (bien sûr) trop arrosée. Mais c’est grâce à une autre décision de mise en scène que nous pourrons peut-être surmonter cela. Au fur et à mesure que le film avance, nous réalisons que nous sommes immergés dans l’univers de la reine de Camden, que nous habitons son imaginaire. Construit subtilement, on se promène ainsi dans un Londres où le Rat Pack semble régner en maître et dans une époque où les téléphones portables sonnent à des moments très incongrus. C’est un univers forgé par Amy, avec son amour et son admiration pour Frank Sinatra, le jazz, les pin-up et probablement aussi son père.
C’est ainsi qu’on se prend finalement au jeu, tout en étant conscients que, peut-être, cela ne sera toujours pas suffisant pour les fans les plus récalcitrants. Le film, écrit par Matt Greenhalgh – le même scénariste qui raconta aussi une autre descente aux enfers de Ian Curtis pour le très réussi Control, de Anton Corbijn – nous fait suivre avec précision la montée foudroyante de la chanteuse vers la célébrité mondiale, sa relation houleuse avec Blake Fielder-Civil et sa fin tragique qui la fait rejoindre le Club des 27.

« Je ne suis pas une Spice Girl », exclame le personnage d’Amy à ses producteurs, pas tellement comme une menace, mais plutôt comme une tentative de se faire clairement comprendre.
C’est là que le film montre un certain manque d’audace. Bien qu’il nous plonge dans l’univers d’Amy Winehouse et prenne quelques risques de mise en scène, il est inévitablement emprisonné dans le regard romantique de la jeune artiste, mais aussi piégé dans le cliché de l’artiste très talentueuse, mais trop sensible pour ce monde de brutes… Si quelques scènes montrent la pression de la presse ou du label, le film n’ose pas aborder ces problématiques plus en profondeur. La façon dont la pression s’exerce sur les jeunes talents lorsqu’ils se voient propulsés du jour au lendemain à la célébrité mondiale, à l’exposition de leur intimité dans sa forme la plus violente, aux cérémonies de remise des grands prix, au sommet des ventes au sein d’un système de production industrielle et de médias globalisés. Cette histoire reste encore à être pleinement racontée.
Avec seulement deux albums, six Grammys et des records de ventes, Amy Winehouse a su laisser une empreinte indélébile dans l’histoire de la musique. On peut trouver une vidéo en ligne dans laquelle elle déclare, juste après la sortie de Frank, son premier album, avoir réussi à se défaire de sa plus grande peur : mourir sans avoir contribué à la musique. Son vœu accompli, il nous reste, simples mortels, à la célébrer du mieux que nous le pouvons.
La soundtrack

Le 17 mai, le film sortira en salle au Canada et aux États-Unis, et, par la même occasion, Island Records lancera la compilation avec la bande sonore du film, baptisée Back To Black: Songs from the Original Motion Picture.
Concocté par Nick Cave et Warren Ellis, responsables de la musique du film, l’album comporte douze morceaux. Il comprend trois enregistrements originaux du premier opus d’Amy, Frank, trois morceaux de son succès planétaire Back To Black, un nouveau titre, Song For Amy, avec la voix de Nick Cave, ainsi que des morceaux d’artistes qui ont été une inspiration pour la chanteuse-compositrice britannique et qui ponctuent des scènes clés du film : The Shangri-Las, Billie Holiday, Minnie Riperton, Dinah Washington et Sarah Vaughan.
Texte Esteban Ulrich