À la manière de certains peintres qui connaissent différentes périodes dans la couleur, ce collectif est passé du fauve au magenta. Vu sous cet angle, le Fauvisme change de sens et le Magenta, couleur primaire pure dans le premier album, se mélange un peu les couleurs dans ce deuxième opus – x1000 – où on retrouve quelques touches de FAUVE ≠ ça et là. Un FAUVE ≠ plus adulte, moins rageux, tout aussi passionné.

 

 

 

De Fauve à Magenta Club

Pas facile de repartir à zéro en 2020 avec Magenta, un projet tout neuf, après le succès retentissant de FAUVE ≠, ses vingt deux Bataclan d’affilée à guichet fermé et ses 800 000 albums vendus.

« Au tout début quand on sortait nos premiers morceaux, les gens disaient “Il y a les anciens de fauve qui font un nouveau truc !” Maintenant Magenta est davantage identifié. Le projet est pris pour ce qu’il est. »

Quand le collectif a annoncé la fin de FAUVE ≠ en 2015 le ciel est tombé sur la tête de leurs fans. De manière assez inédite, une communauté impressionnante s’était formée autour du projet en seulement cinq ans. Symbole d’une génération, le tatouage, gravé dans la peau, marquait l’appartenance au système de valeurs clamées par le groupe.
Il est à peine exagéré de dire que certains ne se sont pas encore vraiment remis, presque dix ans plus tard, de la fin de FAUVE ≠… ou du moins ne l’ont pas comprise.

 

« FAUVE pour nous, c’est un peu comme un mausolée ou une statue, un truc intact, parfait, qu’on est content d’avoir préservé. »

 

« Le succès était écrasant, c’était très fatigant. C’était génial, c’était vraiment génial, mais il y avait une sorte de tourbillon, de pression, de tension, de responsabilité qui étaient usants. À un moment, pour tenir, on s’est dit “Vas-y, on le fait à fond et après on arrête. On fait un deuxième album et après on pourra tirer notre révérence.” C’est une façon de trouver l’énergie de le faire, d’avoir un engagement qui soit total, parce que tu sais qu’il y a une fin. Et le fait d’arrêter comme ça aussi, ça permet de garder le projet intact et de ne pas l’abîmer en faisant des trucs pas ouf, parce que t’as moins d’énergie, moins d’envie, ou que t’as peur de te répéter. FAUVE pour nous, c’est un peu comme un mausolée ou une statue, un truc intact, parfait, qu’on est content d’avoir préservé. »

On pense immédiatement à la question qu’on a tous eu un jour en tête « Que seraient devenus les héros du Club des 27 s’ils avaient atteint l’âge mûr ? » Kurt Cobain, Jim Morrison, Jimmy Hendrix, Amy Winehouse, Janis Joplin… auraient-ils le même charme, le même panache s’ils avaient perdu leur éternelle jeunesse ? Probablement pas. Leur énergie à tout rompre, leur refus de la tiédeur, leur inspiration, flottent comme la fumée bleue de leurs cigarettes au-dessus de l’adolescence universelle.

« John Lennon est plus respecté que Paul McCartney parce que McCartney il a été suffisamment vieux pour faire des trucs un peu ringards alors que Lennon il est mort avant. Nous on s’est dit : “si on arrête maintenant, on est au top de ce qu’on a l’impression qu’on pourra faire”. On trouvait que le geste était fort, on trouvait que c’était cool de laisser FAUVE ≠ comme ça et de plus jamais y toucher. Comme Emile Jacquet pendant la Coupe du Monde 98. Après il n’a plus rien fait. C’est trop cool de se dire : “Le mec, il arrive, il gagne la Coupe du Monde et après il arrête, il ne fait plus rien.” FAUVE ≠, c’est un peu notre Coupe du Monde (rires). »

Une nouvelle page du livre s’est ouverte avec Magenta. On prend les mêmes et on recommence autre chose, totalement différent, tourné vers l’électro.

« On a construit Magenta presque dans l’opposition à FAUVE ≠. Pas parce qu’on n’aimait pas FAUVE ≠ – ça a changé nos vies – mais parce qu’on voulait tellement affirmer une nouvelle identité qu’on était presque à se dire : “FAUVE ≠ c’était en majuscule, il faut que Magenta soit écrit en minuscule. Dans FAUVE ≠ il y avait du spoken word, alors il ne faut surtout pas qu’on parle dans ce projet-là. Dans FAUVE ≠, le BPM, le tempo, était de 90, il ne faut surtout pas qu’on fasse le même BPM”. On avait vraiment le besoin de créer une identité différente et nouvelle et d’être pris au sérieux avec quelque chose de différent. Et puis on avait une vision, une sorte de fantasme de ce que ça pouvait être de faire de la musique électronique ensemble. Le fantasme ne s’est pas toujours révélé être concluant, mais l’idée que la musique électronique est une musique où les artistes sont plus effacés, moins starifiés nous séduisait. À ce moment-là, on avait eu beaucoup de succès et on essayait de se distancier de ça. On a réécouté les albums de Daft Punk du début en se disant “C’est ouf ! Ça serait cool d’essayer de faire ce genre de choses”.
Et l’idée d’avoir un nouveau terrain de jeu était excitante : on pouvait s’amuser avec de nouveaux instruments, un nouveau processus créatif, une toute nouvelle démarche. »

Depuis Monogramme, leur premier album en 2021, le crew a encore fait un chemin. Par exemple, pour ce deuxième album x1000, on ne parle plus de Magenta mais de Magenta Club, afin d’exprimer l’esprit collectif.

 

Plus qu’un groupe, un collectif

Ces artistes-là aiment à changer de nom mais gardent leurs valeurs. En live, il y a Quentin, Simon, Pierre et Hugo qui font de la musique et Margot qui fait de l’image. Mais Magenta Club c’est bien plus que ça…

« On est un peu comme cinq DA dans Magenta et une bonne idée peut venir de n’importe qui. N’importe qui peut prendre une guitare et faire un truc cool ou suggérer une idée de clip et que ça devienne quelque chose. Donc on n’a pas des postes si définis que ça. On a une sorte d’atelier où on se retrouve tous les jours avec des tables, des outils pour faire de l’image, des écrans, des scanners, des imprimantes et un espace où il y a des instruments de musique. On passe un peu de l’un à l’autre, on discute, ça communique. Les discussions sont une sorte de ping-pong, d’émulation créative. »

« En live, c’est Quentin qui chante et Hugo qui fait la batterie. Dans les faits de la création et dans le rôle de chacun, c’est un peu plus nébuleux que ça, un peu plus poreux. Il y a toujours eu cette idée de “Club” présente dans nos projets et on a décidé de l’associer totalement. Je crois que c’est un peu pour cristalliser l’idée qu’il y ait beaucoup de gens qui gravitent autour du projet. Pas que les quatre ou cinq personnes qui sont sur scène, ou quelques personnes qui sont au studio tous les jours avec nous. Ne pas limiter seulement au noyau dur. Inclure ces personnes qui gravitent autour de façon très régulière et même les gens qui ont été fidèles au projet depuis le début, qu’on a l’impression d’avoir déjà souvent croisés en concert, qui viennent nous voir régulièrement. Pour cristalliser un peu ce petit truc de famille, d’un petit club à nous quoi. Et puis c’est en référence à la musique qu’on aime, la musique de club. »

Il est clair que le collectif se pose continuellement des questions et que l’évolution constante du projet et du nom du projet évite l’ennui du confort de ce qu’on connait trop bien. Mais comment le public se retrouve-t-il dans tout cela ?

« Il y a une base de gens qui nous suivent depuis très longtemps, même avant FAUVE ≠. Et c’est cool, c’est chouette de voir que ces gens-là suivent le projet. Puis il y a plein de nouvelles personnes qui sont arrivées en chemin, qui connaissaient à peine FAUVE ≠ et qui aiment Magenta alors que FAUVE ≠ ne leur parlait pas. Et probablement, à l’inverse, plein de gens qui aimaient FAUVE ≠ ont dû écouter Magenta et trouver ça pas ouf, parce que ce n’était pas la musique qu’ils cherchaient. »

Très loin du culte de la personnalité, l’anonymat revendiqué par Magenta est également une façon de faire passer le collectif avant l’ego trip. C’était déjà le cas dans FAUVE ≠, à l’instar de Daft Punk, leurs idoles. Dans une société où l’image est au centre de toute choses, cette démarche est une distinction.

 

 

« On a gardé le choix de ne pas montrer nos visages et d’essayer de montrer autre chose que nos têtes. Le principe général, c’est un principe de discrétion, et même d’anonymat. Ça veut dire que partout où il y a une tendance à s’afficher de manière forte –parfois même outrancière – que ce soient les clips, les réseaux sociaux, les photos, les médias, on va toujours veiller à rester anonyme. Pour ce qui concerne les concerts, c’est un peu différent. On a considéré que c’était une sorte de safe space où il n’y a que des gens qui comprennent, qui connaissent le projet notre rapport à l’image, qui savent… et donc c’est un endroit où on s’est toujours sentis assez à l’aise d’avoir une forme de mise à nu. On n’a pas non plus des poursuites dans le noir qui nous glorifient comme Jacques Brel (rires). On essaye de garder un peu le contrôle sur l’environnement autour, principalement les lumières, la vidéo, le contre-jour, la fumée… pour créer une sorte d’atmosphère. Comme pour FAUVE ≠ à l’époque : on avait des vidéos qui étaient projetées sur nous, à côté de nous, derrière nous. Il y avait des images, des jeux de lumière, d’ombre… mais on avait quand même les visages apparents, alors qu’on ne faisait jamais de photos où on voyait nos têtes.
Sur scène, on met un peu en péril ce principe de discrétion et d’anonymat, mais ça fonctionne.

 

De l’énergie x1000 !

 

 

« On a commencé à travailler ce disque en parallèle de la tournée. L’état d’esprit était de battre le fer pendant qu’il était chaud. On sortait juste d’une tournée de pas loin de 80 dates – ce qui est beaucoup – et on voulait vite enchaîner. On était hyper enthousiastes, on était complètement boostés moralement par le live et la tournée qui étaient dingues. On avait envie de mettre cette énergie du live dans le disque. »

« Le point de départ de l’album x1000 c’était ça : “gardons ce truc qu’on a hérité des concerts, qu’on kiffe et enregistrons-le”. »

« Le titre de l’album c’était une direction qu’on voulait s’imposer, comme un mantra. On s’est dit “On va faire ce disque et il faut qu’il soit ‘x1000′”. Ça veut dire qu’il faut qu’il soit un peu all in, il faut qu’on mette tout dedans, il faut qu’il soit radical, qu’il assume cette part d’excès, cette part d’investissement total. Il n’y a pas de compromis, il n’y a pas de calcul, on y va à fond, on met tout ce qu’on a. Le titre fixe un cap, sur lequel on met un mot. Que ce soit dans la musique ou dans l’image aussi car, visuellement, ça aide à se projeter sur tout ce qui peut arriver après en termes de clips, de graphismes, de pochette… Donc la réflexion sur le titre n’arrive pas une fois l’album fini, dans l’objectif de véhiculer tel ou tel message auprès des gens. C’est vraiment pour nous. »

À l’écoute de l’album, force est de constater que la technique fait ses preuves. L’énergie déborde pour aborder des thèmes de société forts comme l’écologie, l’homophobie ou la dépression.

 

Une « électro consciente »

« On s’est toujours considéré comme un groupe engagé, même à l’époque de FAUVE ≠, mais c’était un engagement qui était au niveau de l’intime, d’essayer de faire le mieux possible à l’échelle de toi-même, juste d’être mieux avec toi-même, à l’échelle de ta vie et des quelques proches autour de toi. Et c’est vrai que ces derniers temps, l’engagement est devenu plus sociétal, parce qu’on voit des choses et qu’on n’y est pas insensible et donc on a envie ou besoin de l’exprimer parce que c’est aussi ça qui peut être à la source d’angoisses ou d’un sentiment de vulnérabilité. »

« Pour nous, le fait même de produire cette musique-là [électronique] – qui a pour but de rassembler les gens et potentiellement de les faire danser – était presque un acte d’engagement en soi. »

« En fait dans nos morceaux, on parle des choses qui nous préoccupent. C’est aussi simple que ça. Dans ce deuxième album on a assumé le fait d’être plus engagés qu’on ne l’avait jamais été, parce que le monde change et parce que je crois qu’il y a juste des causes auxquelles on est plus sensible qu’avant. Les grandes causes qu’on voit tous passer. Que ce soit le climat, les violences sexistes, les discriminations, les guerres, il y a pas mal de morceaux dans lesquels on parle de l’état du monde au final. Parfois c’est très concret et parfois il faut lire un peu entre les lignes. On sent qu’il y a des situations qui sont plus graves et qui exigent plus d’engagement et qu’on veut peut-être faire notre part de réflexion. »

« C’est marrant parce qu’on est plus engagé aujourd’hui qu’on ne l’était quand on avait 20 ans. On avait une forme d’insouciance peut-être… Mais de manière générale, la société semble plus engagée maintenant qu’elle ne l’était il y a quelques années. Les jeunes aujourd’hui prennent des combats. C’est assez remarquable de voir d’ailleurs tous ces combats qui sont pris et auxquels on a envie de s’associer. Parce que les menaces sont là. On n’aurait pas ce souci à s’associer à des causes qui méritent d’être défendues et auxquelles on pourrait apporter notre contribution. Tu peux dire qu’on est disponible et partant, si tu croises des gens (rires). »

 

 

On a beaucoup entendu le terme « rap conscient ». À l’écoute de l’album x1000 de Magenta Club, on a envie de parler d’ « électro consciente… »

« Oui, je pense qu’on peut clairement parler d’ “électro-consciente” ou de “techno-consciente”. Pedro Winter (Ed Banger Records, NDLR) disait que le fait même de faire de la musique électronique – une musique qui a vocation à créer des moments de proximité, de chaleur humaine – est presque un acte militant en soi. Aller en club également, car tous les clubs ferment. Tout le monde a tendance à s’isoler de plus en plus. Évidemment il y a eu les années Covid, les réseaux… Pour nous, le fait même de produire cette musique-là – qui a pour but de rassembler les gens et potentiellement de les faire danser – était presque un acte d’engagement en soi. Aller dans ces endroits là pour s’effacer au milieu de la foule également. Et ce n’est pas parce qu’on fait de la musique électronique qu’on ne peut pas mettre des guitares électriques, des basses ou permettre à la voix de prendre un peu plus de place. Ce deuxième album est très différent du premier parce que je trouve qu’il est plus naturel, il nous ressemble davantage. Dans la musique, dans le propos et dans le texte aussi. »

En effet. Il y a d’ailleurs fort à parier que les fans de FAUVE ≠ se retrouveront davantage dans ce deuxième album.

 

« Dans FAUVE ≠, la résolution se faisait souvent au sein du texte. Dans Magenta, j’ai l’impression que c’est à travers la musique. »

 

Thérapie par la musique

« On a envie de se libérer et cette musique-là est pour nous libératrice. On n’aime pas laisser le propos sans issue. C’était déjà le cas dans FAUVE ≠. Il y avait souvent une forme de lumière au fond du tunnel. La libération par la musique. Le morceau Le Coup incarne vraiment ce truc-là. C’est un des textes qui est le plus dark du disque et pour autant la musique prend le dessus. C’est un morceau qui est assez enveloppant au final, qui est assez positif. Il y a quelque chose de chaleureux dans le beat, la vague, la vibration du morceau. Et en parallèle il y a le texte qui, pour le coup, lui, est vraiment dur. Mais l’équilibre général penche finalement du côté de la lumière, du soleil, de la chaleur. »

« Dans x 1000, il y a clairement quelque chose qui est assez dur aussi dans le texte. Mais ce refrain, il appelle tellement à une forme de libération et d’abandon de soi ! Parfois il faut reposer un peu son cerveau. Dans FAUVE ≠, la résolution se faisait souvent au sein du texte. Dans Magenta, j’ai l’impression que c’est à travers la musique. Et si les points de départ sont souvent un peu difficiles, c’est parce que c’est comme ça qu’on est, c’est de là que vient la matière brute, la base, la matière première. C’est qu’il y a une forme d’hypersensibilité, d’inquiétude qui se manifeste. Qu’on a de plus en plus envie que la musique fasse un peu de bien. Cela étant, il faut du contraste. Il y a des morceaux plus durs et plus dark que les autres. Au moment où on fait les pistes de voix, on ne voulait pas crier. Pendant longtemps, il y avait des interprétations où on criait dans les morceaux. Par exemple dans Voyous avec Georgio. Là, on voulait faire quelque chose de plus adulte… Certainement parce qu’on est plus adulte (sourire).

« Même si la forme change, il y a toujours le fond qui reste : l’engagement total dans la musique, la thérapie par la musique, le côté collectif dans la création… qui sont quand même des marqueurs quel que soit notre projet et qui restent toujours des points importants de notre démarche. »

 

L’album x1000 est sorti vendredi 19 avril.

 

Texte Anne Vivien