Peter Peter inscrit son âme dans Ether, offrant un opus électro incandescent de sensualité et de sensibilité. Modzik a, depuis 2017, une attention particulière pour sa musique et une tendresse pour l’homme qu’il incarne : mélancolique, mais porteur d’une étincelle unique. Tel un appel aux sens, ce nouvel album exhale une intention claire : nous porter dans la danse et nous perdre dans l’extase des rythmes.

 

 

 

« Cela faisait 965 jours que je n’avais pas mis les pieds ici, et c’est cool. » Arrivé tôt à son hôtel, il a saisi l’occasion de revisiter son ancien quartier parisien. Après tout, Peter a passé près de huit ans à Paris. « Je plongeais dans mon ancienne vie. C’était à la fois cool et confrontant. » La gestation de Noir Eden, en partie composée ici, a été une période difficile. Son retour au Canada s’est joué à peu de choses et dans une certaine douleur. « J’en étais même arrivé à ne plus boire de vin français chez moi. Je ne voulais plus penser à la France, ça faisait trop mal. Maintenant, je vais reprendre. La plaie est pansée. »

C’est ainsi que débute notre rencontre avec Peter, juste en face de la Maison de Radio France, où il doit participer à l’émission de Laurent Goumarre, d’Inter.

 

© Adrian Villagomez

 

Mais revenons au commencement. Peter écrivait des poèmes. « C‘était un peu mon entrée dans le monde artistique. J’étais passionné de poésie. J’avais des amis qui jouaient de la guitare. On a monté un premier groupe. Eux étaient dans le métal. » C’est ainsi qu’il se retrouve devant un micro pour la première fois. « Je n’étais pas un fan de métal. J’étais plutôt Nirvana, The Doors, tous ces trucs un peu maudits, finalement assez mainstream. En fait, je criais plus que je ne chantais. C’était cool ! Mais c’était vraiment l’aspect camaraderie qui m’attirait. »

Finalement, les choses s’enchaînent rapidement pour lui. « J’ai commencé à jouer de la guitare après, vers 20 ans. À 24 ans, j’ai déménagé à Montréal pour faire carrière. Quelques mois plus tard, j’ai quitté le groupe. » Repéré lors du concours Ma Première Place des Arts, il envoie des démos à Audiogram (un label très connu au Canada). « Les premières maquettes étaient trop produites. Les chansons étaient moyennes. Pas de réponse d’Audiogram. Je me suis dit “Ok, on a merdé”. (Son meilleur ami était son manager à l’époque NDLA), c’était un projet commun, c’est le premier regret que j’ai eu. Parfois, il vaut mieux ne rien donner que de donner quelque chose dont on n’est pas vraiment satisfait. C’est une leçon qu’il faut apprendre assez tôt. » Il produit de nouvelles maquettes qui finissent par lui valoir un contrat avec le label. « Finalement, je devenais chanteur. »

Ether explore une nouvelle fois les sentiments humains et poursuit son autoportrait mêlant solitude et mélancolie maladive. Est-ce la quarantaine qui l’a poussé vers une musique dansante ? « Je n’ai plus la jeunesse, mais j’ai encore la fougue de faire un album comme ça. Cette fois, je voulais de l’énergie. C’est l’album que je voulais faire depuis longtemps. C’est ce que je voulais que Noir Eden soit. »

 

 

Il a un sentiment d’amertume quant à Noir Eden. « C’était un album inachevé. On a jeté des trucs, un mix entier. On avait déjà mis beaucoup d’argent. Le label a décidé d’arrêter les frais alors que ça commençait à être bon. » Même au niveau de l’artwork, cela ne satisfait pas complètement Peter. « J’avais perdu le contrôle sur ce que je voulais livrer aux gens. » L’album est pourtant bien accueilli, la tournée qui suit se passe parfaitement. « J’avais un super groupe. » Mais le ciel s’est assombri avec la pandémie. Cette expérience amère lui donne tout de même l’énergie de livrer Super Comédie, album plus organique où la guitare électrique domine. Il s’est senti plus en contrôle. « Je l’ai fini comme je voulais ».
Mais l’anxiété qui l’habite depuis l’âge de 25 ans reprend le dessus. La pratique de la course lui permet d’avoir « une santé mentale plus agréable, moins chaotique ». Néanmoins, « J’avais ce sentiment du chanteur vieillissant qui n’avait pas de domicile à lui. J’avais envie de me poser ». Il quitte donc Paris et l’Europe. Après un court passage à Montréal, il vit maintenant avec sa compagne aux bords de la rivière Saint Charles, où il dispose d’un espace que Paris ne pouvait lui offrir. Il peut ainsi profiter d’une vie plus douce.

Néanmoins, ce féru de culture européenne a célébré par trois fois des capitales européennes Tbilissi, Rome et Lisbonne. « J’ai toujours aimé l’Europe. Rome a été écrite avant même que je n’y mette les pieds, c’est l’image de la ville spirituelle, presque mythique, qui s’est inscrite en moi comme un absolu. En revanche, Lisbonne… Lisbonne a toujours occupé une place spéciale dans mon cœur. J’y ai vécu des amours inoubliables, des histoires si entremêlées avec la ville qu’elles en deviennent indissociables. Parfois, je ne sais plus si je parle de Lisbonne en tant que lieu ou en tant qu’histoire vécue. »

 

Lisbonne est la huitième plage de l’album Ether, fruit d’une collaboration avec Guillaume Guilbault, claviériste et réalisateur. « On a tout fait à deux. Guillaume a donné un second souffle au projet, il a poussé les titres plus loin. » Les influences électroniques sont bien marquées : d’un Ether très Born Slippy d’Underworld aux breaks beat de Soleil. « Ce n’est pas juste pour faire une référence. C’est vraiment quelque chose que je kiffe. C’est la musique que j’écoute beaucoup maintenant : Caribou, Daniel Avery, Kylie Lee Owens, Jamie XX, The Chemical Brothers, Underworld. Alors ça finit par infuser, le tout passé au travers de mon filtre de chanteur mélancolique. »

Peter retrouvera bientôt la scène, annonçant une date au Point Ephémère le 12 septembre prochain, ainsi que deux autres en Belgique à Bruxelles et à Liège. « Avec Guillaume, on a interconnecté nos studios, et ça a donné un gros terrain de jeu. On aimerait que le live ait cette même énergie. On y travaille. Au début on ne voulait pas de batterie, maintenant on se pose la question, un peu d’organique et avoir un input d’une autre énergie pourrait être intéressant. Nous voulons de vrais séquenceurs pour pouvoir ouvrir vraiment les structures pour que les gens dansent. » Côté Set List ? « J’ai envie de faire plaisir aux gens qui m’ont découvert, surtout avec Noir Eden. Le cœur du set risque d’être le meilleur de Noir Eden et Éther. »

 

 

Nous sommes loin des premières scènes où il faisait les premières parties du groupe métal avec des chansons en anglais, seul avec sa guitare dans les bars rock. Les verres s’enchainaient pour les membres du groupe et les clients qui n’écoutaient pas. « Au commencement, il y avait tant d’illusions, de fantasmes. Je suis reconnaissant que les gens n’aient pas eu de téléphone pour filmer.» Puis vint le moment où il arrêta de boire pour composer son premier album, jamais sorti en France. « Je considère ces moments comme mes véritables débuts, c’était cool. J’étais vraiment posé, seul avec une guitare. C’était à Montréal. Et il y avait déjà Homa et Tergiverse (titres du 1er album, NDLA). « C’était la première fois que je sentais que les gens étaient à l’écoute et qu’ils étaient captivés. J’ai mis du temps à faire quelque chose que j’aimais, à trouver ma voie. »


Viendra ensuite l’apprivoisement de jouer avec un groupe. « J’ai mis du temps à faire des bons live. C’est vraiment lors de la seconde moitié de la tournée Noir Eden que j’ai commencé à comprendre des trucs, notamment en ce qui concerne mes retours, tout était trop fort. Cela devenait chaotique. Je suis myope et je ne voyais pas grand-chose, je cherchais mon jack. Maintenant, je porte des lentilles, je règle mon son. C’est mieux d’être en contrôle et de voir les choses. Après la sortie de Super Comédie, on a joué juste un show, pour les Francos de Montréal en 2022,. Toutes les équipes m’ont dit que c’était le meilleur show qu’ils avaient vu. »

 

 

Nous voilà en 2024, à un tournant de la carrière de Peter avec la fin de son contrat avec le label. Un album guitare voix est déjà prêt. « Peut-être que je vais avoir une ambition de faire des formats plus atypiques ou sortir des singles comme ça. Je pense que ça peut être cool, je ne l’ai jamais vraiment fait. J’ai hâte de pouvoir avoir cette liberté. Mais avant, j’aimerais être propriétaire de mes masters ».
Les modes de consommation de la musique ont évolué durant ces treize années de contrat, notamment avec l’avènement du streaming. « Cela a presque légalisé le piratage. Ironiquement, se faire pirater était peut-être mieux. Le problème est que le prix des abonnements est trop bas pour que les artistes disposent d’un revenu décent. Un stream est payé au mieux 0,0086 € pour chaque titre écouté qu’il faut ensuite diviser (label, éditeur, auteur, compositeur…). Leonard Cohen disait : “Si tu ne deviens pas l’océan, Tu auras le mal de mer tous les jours”. En substance, il faut finalement vivre le mouvement des choses car cela va être très difficile et c’est déjà très difficile. »

À l’aube d’une nouvelle étape de sa carrière, Peter Peter se tient au seuil de l’inconnu, prêt à explorer de nouveaux horizons musicaux, de nouvelles scènes, une nouvelle manière de nous bercer de ses maux/mots, toujours mélancolique mais plus fort.

En concert à Paris (le 12 septembre), Bruxelles (le 14 septembre) et Liège (le 15 septembre).

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Adrian Villagomez