En pleine tournée européenne, le groupe anglais Yard Act est passé par Paris et nous les avons rencontrés pour discuter de leur deuxième album, Where’s My Utopia.

 

Depuis leur premier album, Yard Act a gravi les échelons avec une progression fulgurante. Qualifié comme un groupe post-punk et acclamé par le grand public, ils avaient devant eux plusieurs chemins musicaux à explorer pour leur deuxième projet. En collaborant avec Remi Kabaka Jr, le batteur de Gorillaz, ils ont créé un disque rempli d’influences diverses, allant de Fela Kuti à Ennio Morricone, offrant une expérience musicale éclectique et dansante. The Overload avait été conçu par James et Ryan alors qu’ils étaient confinés dans leurs chambres d’amis pendant la pandémie et son successeur est le fruit d’un travail collectif à quatre, fondé sur l’alchimie et la confiance entre les membres, se poussant mutuellement dans leur créativité.

 

 

Bonjour, comment allez-vous ?

Un peu fatigué, mais très bien.

 

Comment se passe la tournée ?

Sam : Bien, nous avons un peu plus d’aspect de performance dans nos concerts. Nous venons juste de finir le Royaume-Uni, qui était absolument génial et nous n’avons pas fait de tournée en Europe depuis deux ans, donc c’est vraiment excitant.

James : Nous avons joué à Nantes hier soir et c’était le premier concert, donc Paris n’est que le second.

 

Vous avez dit que vous aviez un nouveau show par rapport au dernier album, comment travaillez-vous différemment sur scène ?

James : Oui, nous avons intégré Lauren et Daisy dans le groupe, qui chantent et apportent beaucoup de danse au spectacle. Ça nous a ouvert beaucoup de portes, elles visualisent la musique de manière créative et donnent vie au spectacle. Il y a donc une énergie différente très agréable.

 

Vous venez de Leeds. Ce n’est pas la plus grande ville d’Angleterre. Comment se passe la musique là-bas ?

Sam : Il y a une scène musicale assez riche, mais beaucoup de musique n’atteint pas le grand public. Au cours des 20 dernières années, il n’y a pas eu plus de deux groupes de Leeds qui ont vraiment atteint la célébrité.

James : Oui, je pense que tous les groupes en dehors de Londres ont un peu plus de mal à se faire connaître. Si tu n’es pas de Londres, c’est difficile de percer. Mais d’autres villes en dehors de la capitale comme Liverpool, Manchester ou Bristol ont un héritage, comme les Beatles, Oasis, Massive Attack et Triple Points. Leur héritage fait que l’industrie se tourne un peu plus vers elles, alors qu’à Leeds, nous n’avons jamais eu de liste gigantesque, mais nous avons quand même eu de très bons groupes. C’est un peu comme si nous nous étions tenus à l’écart à cause de cela. Je pense que c’est une bonne chose pour l’art et la musique mais la ville n’est pas mise en valeur au niveau national comme elle devrait l’être, ni au niveau international, il se passe beaucoup de choses formidables dont personne n’entend parler.

 

Y a-t-il des artistes de Leeds que vous voulez recommander ?

Sam : English Teacher. Ils sont très bon et ils sont sur le même label que nous, ils sont en train de percer et de faire leur album qui sortira le mois prochain, ce sont des amis.

James : Hang Linton, qui a fait notre première partie à Manchester et qui apparaît également dans certains de nos clips. Il en est à ses débuts, il n’a pas encore sorti beaucoup de choses mais il fait beaucoup de concerts et il y a quelque chose qui bouillonne en lui de vraiment excitant.

Sam : Thank est génial, nous avons sorti leur single sur notre label. Le nouvel album vient juste d’être terminé.

James : et il y a Drahla aussi, leur album sort aujourd’hui !

 

 

Votre premier album, The Overload, a été un énorme succès. Comment vos vies ont-elles changé depuis lors ?

James : C’est bizarre, parce qu’à bien des égards, elles sont assez similaires, mais à bien des égards, elles sont complètement différentes. Il y a eu des moments difficiles, mais aussi beaucoup de bons moments. Je suis vraiment content que ce soit arrivé plutôt que de ne pas l’avoir fait. Cela a changé ma perspective sur beaucoup de choses et je me sens très chanceux. C’est un privilège d’être dans cette position et de ne pas être considéré comme acquis, de pouvoir faire ce que nous faisons sur scène devant des gens qui semblent vraiment apprécier ce que nous faisons, c’est une chance de pouvoir partager cela.

 

Était-ce une surprise quand vous avez fait le premier album et que vous avez vu que le succès était énorme ?

James : Je pense toujours que tout le monde nous déteste (rires) et j’étais vraiment nerveux avant cette tournée au Royaume-Uni mais nous avons reçu beaucoup d’encouragements. J’ai toujours le syndrome de l’imposteur, oui, mais je pense que c’est ce qui nous motive, je pense que c’est ce qui nous donne la confiance et l’assurance. Je pense que la dualité des deux permet de garder les pieds sur terre et d’aller de l’avant. Et toi tu as syndrome de l’imposteur ?

Sam : Oui, parfois, ou pas (rires).

James : J’aurais du mal à croire que tu en souffres. Je te regarde et j’ai l’impression que tu sais ce que tu fais.

Sam : Quand nous jouons en concert, je ne l’ai pas, mais quand nous enregistrons, je l’ai.

James : Oui c’est vrai. En studio, tu es sur une autre vague.

Sam : Nous en avons déjà parlé entre nous et on pourrait séparer l’écriture, l’enregistrement et la scène. Et toi tu donnes la priorité à l’enregistrement, n’est-ce pas ? C’est le moment le plus pur et le plus agréable. C’est la mise en bouteille à la source, c’est ce que tu disais ? Moi je le mets en dernier, c’est le plus difficile pour moi.

James : Mais nous avons quatre personnes dans notre groupe donc chaque membre est bon dans quelque chose. Jay, notre batteur, n’était pas sur le premier album et ses compétences en matière d’enregistrement et d’ingénierie ont absolument influencé notre façon de travailler, le fait de pouvoir travailler en étroite collaboration avec lui plutôt qu’avec un ingénieur que nous ne connaissons pas nous a donné un environnement d’enregistrement vraiment confortable. Ensuite, j’ai l’impression que Sam apporte des arrangements que moi et Ryan ne pouvons pas articuler ou ne pouvons pas entendre et cela nous apporte une nouvelle dimension. Et puis Ryan est vraiment doué pour ne pas trop réfléchir, ce que je fais. Et l’un ne fonctionne pas avec l’autre. Donc si j’étais le seul à m’en occuper, ça deviendrait le bordel et si Ryan était le seul à s’en occuper, ça ne serait pas complètement formé. Abandonner une idée et réaliser que quelqu’un d’autre va la remodeler et peut la détruire ou l’améliorer, c’est précieux.

 

Vous venez de sortir votre single et tout d’abord, quelle était l’idée derrière la pochette de l’album ?

James : Notre ami Homie travaille principalement en noir et blanc, mais nous avons pensé que son style en couleur fonctionnerait et nous lui avons envoyé les paroles de l’album, qui était presque terminé à l’époque et c’était assez pour envisager quelque chose. Il en a fait dix très rapidement et celle-ci faisait partie des dix premières. J’ai l’impression que la pochette de l’album porte une sorte d’essence naïve d’excitation et de calme, elle vous saisit, le visage du squelette saut aux yeux, mais quand vous regardez vraiment la pochette de l’album, qu’est-ce qui se passe ? C’est une explosion.

 

 

Et le titre Where’s My Utopia, que dit-il ? 

James : Je pense qu’il résume le fait qu’à l’ère de l’homme, les choses peuvent être meilleures. Qu’elles le soient ou non, je ne sais pas.

 

Quelle a été l’influence de Remi Kabaka Jr (Gorillaz) sur l’album ?

Sam : C’était un homme merveilleux à côtoyer, l’une des choses les plus brillantes qu’il ait faites, c’est que lorsque vous enregistrez, vous avez souvent des problèmes musicaux qui demandent beaucoup de travail et d’énergie et qui conduisent souvent à un arrêt du flux de travail. Et il était la voix dans la pièce qui disait toujours quelque chose de simple et d’utile à essayer. Le flux de travail ne s’est jamais vraiment arrêté lorsqu’il était là.

James : Oui, il a apporté cette approche selon laquelle rien n’est jamais trop important pour s’y attarder, on peut toujours y revenir de toute façon. Donc on a jamais stagné en stressant sur des problèmes, il n’y avait pas de peur de l’erreur. Il nous a simplement donné la confiance nécessaire pour le faire. Il était très : « Ne vous laissez pas effrayer », ce qui semble idiot parce qu’on était assis dans un studio bien chaud. Mais c’est la raison pour laquelle beaucoup de gens ne se pensent pas capables de peindre ou de jouer d’un instrument à cause de la peur de l’échec et en fait il faut juste le faire et l’accepter. Il avait aussi une énorme collection de disques, il a apporté tellement de musique incroyable dans nos vies et c’était toujours dans le partage. Parfois, cela servait à tirer un son ou une idée d’une chanson qu’il entendait et que nous essayions d’imiter, mais dans l’ensemble, c’était juste pour partager, il est vraiment passionné par la musique.

 

Le titre We Make Hits, c’est un titre qui n’est pas un tube. Est-ce qu’il y a un message derrière ?

James : Il s’agit plus du sentiment de faire un tube. Si tu échoues, ce n’est pas grave, c’est l’action qui compte. J’ai sincèrement eu l’impression quand nous l’avons écrite et quand nous l’avons enregistrée et que la chanson a pris vie que c’était un tube et c’est aussi important que de vraiment faire un tube. Une fois que vous avez décider de l’écrire, le reste va suivre. Il ne faut jamais regarder directement la source d’énergie, car on la tue. Il faut toujours se distraire, et assumer cette structure et cette sorte d’autodépréciation. Ou peut-être pas.

Sam : Cela me fait penser à Blink-182. Ils avaient cet énorme album qui s’appelait Enema Of The State, il était très accrocheur et très dangereux. Ils voulaient faire un album sérieux, et l’idée que Blink-182 fasse ça est assez amusante. Ils ont écrit tous ces morceaux sérieux et les maisons de disques leur ont dit qu’ils devaient écrire des hits, et ils étaient tous les deux livides, et l’un d’entre eux est parti et a dit « vous voulez un putain de hit, je vais vous donner un hit ». Et en voulant leur donner les pires chansons de tous les temps ils ont sorti Rock Show et The First Date, qui étaient en faite deux chansons géniales.

James : (Rires), il n’y a pas de mal à être cynique parfois !

 

 

Vous êtes en tournée pour votre dernier album, mais quel est votre meilleur souvenir de concert ?

Sam : Oh. Mon meilleur concert était dans un parc à Paris, ou il y a des sculptures rouges. C’était un spectacle merveilleux.

James : Nous avons joué à Hong Kong dans un festival appelé Clockenflap, c’était un grand festival et à Glasgow, au Barrowlands, c’était génial. Et puis lors de la dernière tournée, je pense que Bristol a été le meilleur concert.

 

Et quelle est votre définition du succès ?

Sam : Je dirais que le succès n’est pas définitif, le succès survient lorsque vous êtes capable de vous reproduire de façon continue, je pense.

James : Oui, j’ai l’impression que l’idée que l’on a tout accompli est effrayante.

Sam : Je pense que les humains aiment imaginer qu’ils vont atteindre un but et qu’ils se sentiront vraiment bien, mais ensuite ils l’atteignent et c’est pas comme ils l’avaient imaginé. C’est un peu comme le contenu des paroles de cet album.

 

Ma dernière c’est, quelle est votre relation avec la mode en tant qu’artiste et comment gérez-vous l’image que vous projetez aux gens ? Est-ce calculé ?

James : Je pense que le style est vraiment important, et j’avais l’habitude d’être anti-style à cause de la scène musicale par laquelle je suis passé, je ne comprenais pas vraiment que c’était une forme d’expression de moi-même. Et je suis probablement l’un des membres les moins aventureux du groupe.

Sam : Un jour en Belgique quelqu’un a dit que je ressemblais à Obélix (rires), et j’ai répondu : « Oui, je sais ce que tu veux dire », avec les cheveux roux et les bretelles, etc.

James : C’est quelque chose qui m’intrigue de plus en plus, surtout quand je repense à la musique que j’aime, et je me dis, pourquoi n’ai-je pas regardé comment Grace Jones s’habillait ? Pourquoi n’ai-je pas regardé cela quand j’écoutais les disques de Grace Jones ? Lors de cette tournée, nous avons réfléchi à notre image et à la façon dont nous nous habillons et je pense que tout cela fait partie de l’identité, de l’expression et de la connexion.

 

 

 

 

Texte Charline Gillis

Photo Phoebe Fox