Brûlée, Annie Clark, ne garde plus que l’important… et Dave Grohl. Dans We All Born Screaming disponible ce 26 avril, l’artiste américaine aux 3 Grammys utilise le rock industriel pour raconter une lucidité neuve. Cet album de dix tracks est le 7ème, premier auto-produit, de celle plus connue sous le pseudonyme de St. Vincent.

 

L’artiste touche-à-tout offre une production dénuée des personas auquelles elle avait initié son public. Annie Clark a snatch la wig blonde de Actors, Masseduction ou Daddy’s Home dans lesquels elle faisait s’exprimer diverses facettes de sa personnalité, forgées par une jeunesse queer et un père incarcéré pendant sept ans.

En 2007, la guitariste se lance en solo, choisit un pseudonyme en référence à l’hôpital où est décédé le poète Dylan Thomas puis surprend avec Marry Me, album home-made créé entre les murs de sa chambre texane. À partir de 2012, elle enchaîne : un album avec David Byrne ; des co-écritures pour Olivia Rodrigo ou Taylor Swift ; ses performances mémorables dont le Rock & Roll Hall of Fame avec Nirvana et son interprétation démente de Krokodil à Coachella.

 

 

 

Une auto-production partagée

Guitariste hors pair, St. Vincent, dont le jeu est considéré comme l’un des meilleurs du XXIe siècle (26e du classement Rolling Stone en 2023), offre des accords électriques en expérimentation. Productrice, elle assemble les pièces de son projet qui flirte avec lignes de basses funk et rock industriel. Il s’y glisse parfois une pointe de reggae et pop. Sans oublier les rythmes volcaniques pour lesquels elle collabore avec le légendaire Dave Grohl dans deux titres.

Le batteur de Nirvana a complété la liste de ceux qu’elle appelle « ses anges gardiens ». Parmi lesquels la productrice écossaise Cate Le Bon dont la touche singulière est venue étoffer la basse du morceau Flea et les chœurs du titre éponyme à l’album. De plus, son travail avec le bassiste Justin Meldal-Johnsen et ses échanges avec le cinéaste Steve McQueen lui ont également permis d’éclairer les phases de doute qui s’invitent en auto-production.

Les « anges », d’ailleurs, font partie intégrante de cet album « de mort et d’amour », aussi bien musicalement que lyriquement. « I watched you all night till the dawn had come and the angels came down and picked you up, breathless » (« Je t’ai veillé toute la nuit jusqu’à ce que l’aube se lève et que les anges descendent te chercher, à bout de souffle » TDR) halète une St. Vincent écorchée dans le morceau Reckless.

 

Un album à froid

À un interviewer, Annie Clark dit « Je me trouve au bord du précipice entre la vie et la mort, et je m’en rends compte ». Son œuvre est chargée et intimiste, les fioritures de la voix y sont rares, la musique, en équilibre, ne s’encombre pas de garde-fous. L’album aux influences de Nine Inch Nails et PJ Harvey, entend dépasser la fonction cathartique pour donner vie au message de St. Vincent.

D’emblée, la tracklist nous fait passer à travers les portes de l’enfer, littéralement avec le single Hell Is Near en ouverture, puis des morceaux tumultueux, là où Reckless peut traduire une agonie de manque, Broken Men, un désir désespéré, fumant, Flea, une avidité gluante et Big Time Nothing, les injonctions d’une société d’image qui creuse. Puis la rupture, comme l’inévitable passage sur le braiser qui succède à la perte d’un être aimé.

 

 

Découle alors une deuxième partie douce-amère aux notes qui, sans être d’espoir, sont tournées vers le jour d’après. Violent Times serait la traduction d’une perversion contemporaine dont l’humain peut s’extraire. The Power’s Out mettrait sur pause une catastrophe urbaine pour en admirer la beauté chaotique. Sweetest Fruit est un tribut pour ceux qui osent, quitte à tomber, hommage à la productrice, chanteuse et DJ écossaise Sophie. So Many Planet parlerait d’une errance où le voyage prime sur la fin. Ce sont finalement les sept minutes de All Born Screaming qui bouclent l’album.

 

Tous nés en criant

Les premières étincelles de All Born Screaming ont d’ailleurs été attisées au Prado, lorsque St. Vincent à fait la rencontre des Peintures noires de Goya. Par son Saturne dévorant un de ses fils, l’artiste espagnol a alimenté la flamme de la naissance, du phoenix qui se reforme toujours de ses cendres. Au lieu d’une descente vers les limbes, il y a – peut-être – dans cette production, dont l’ardeur intimide, un souffle qui balaie la poussière pour entrevoir un demain déjà sur le pas de la porte.

 

 

 

Texte Louise Pham Van