C’est la marque qui a fait fantasmer les années 90/2000 avec ses défilés sexy, ses anges parfaits et ses lignes de lingerie glamour. Victoria’s Secret a tracé sa route vers le paradis sans prêter attention aux changements sociétaux, une erreur qui leur coûte aujourd’hui très cher et dont ils ont du mal à se relever. Entre sexisme, misogynie et bad buzz, le numéro un américain de la lingerie essaye, tant bien que mal, de réaffirmer sa position sur le marché avec un rebranding complet.

 

 

 

Nous sommes en décembre 2018, à Oxford Street, devant une boutique Victoria’s Secret. Un groupe d’une dizaine de femmes en sous-vêtements protestent contre la marque de lingerie, dénonçant des campagnes manquant d’inclusivité et dénonçant une vision de la femme bien loin de la réalité. Quelques mois plus tard, en mai, le géant confirme l’annulation totale du show et Stuart B. Burgdoerfer, directeur financier et vice-président de L. Brands (société mère) annonce officiellement : « Nous pensons qu’il est important de faire évoluer le message. (…) Compte tenu de la baisse des performances de Victoria’s Secret, nous avons considérablement réduit nos investissements dans le défilé, tout en veillant à ce que nos produits trouvent écho auprès des clients. » Mais qu’en est-il aujourd’hui ?

 

Victoria’s Secret, la marque aux mille et un scandales

Victoria’s Secret est une marque à problèmes. Misogynie, appropriation culturelle, hypersexualisation… La marque enchaîne bad buzz sur bad buzz.

 

Appropriation culturelle lors d’un défilé Victoria’s Secret.

 

En 2014, le slogan « un corps pour tous les corps » a remplacé le « corps parfait » sur une campagne polémique de soutiens-gorge. En effet, une pétition demandant à la marque de lingerie de s’excuser pour une campagne composée exclusivement de mannequins extrêmement maigres avait rassemblée plus 26 000 signatures. Des scandales proviennent même de l’intérieur de l’entreprise. En effet, dans de nombreuses images d’archives mais aussi des interviews de mannequins ou de personnes ayant travaillé pour la marque, démontrent que les mannequins ont été victimes de misogynie, d’hypersexualisation et d’exploitation, notamment par l’homme d’affaires américain Les Wexner. Autre problème, mais pas des moindres, Jeffrey Epstein (homme d’affaires et délinquant sexuel accusé de trafic de mineurs) aurait tenté de recruter de jeunes femmes pour son réseau de trafic sexuel en leur faisant croire qu’elles pourraient devenir modèles pour Victoria’s Secret.

On dirait que Victoria’s Secret a mis le pied dans toutes les erreurs possibles, se recréer une nouvelle image n’est donc pas une simple affaire. La marque perd clients sur clients, la situation est critique.

 

L’inclusivité, ça paye pas

Il y a deux ans, la marque avait donc décidée de changer de stratégie et de troquer le rêve inaccessible pour s’inscrire dans le vrai. Désormais, le groupe se compose d’« un groupe hors pair de partenaires avant-gardistes qui partagent le même but : mener un changement positif ».

 

« Nous avons été trop lents à répondre à l’évolution du monde. Nous avions besoin d’arrêter d’être ce que voulaient les hommes pour être ce que veulent les femmes », expliquait au New York Times Martin Waters, directeur général du groupe, « les Anges ne sont plus pertinents culturellement ».

 

Cette année, la marque sort le documentaire The Tour, le retour du défilé annuel en version plus inclusive, disponible sur Amazon Prime Video.

 

 

Un projet qui marche d’ailleurs sur les pas de Fenty qui avait déjà auparavant publié Savage x Fenty Show sur la même plateforme. Cependant, The Tour n’a pas du tout reçu l’accueil qu’il attendait. Un grand nombre de vidéos ont envahis Tiktok, se révoltant du nouveau défilé Victoria’s Secret avec une demande « Bring Back Our Angels ». Sans surprise, il s’agit d’une majorité de femmes blanches et minces, des jeunes femmes bien loin d’être en manque de représentation.

 

Tiktoks de personnes se plaignant de l’inclusivité chez Victoria’s Secret.

 

Le PDG aurait alors annoncé que les initiatives d’inclusion n’étaient pas rentables pour l’entreprise, déclarant : « Malgré les meilleurs efforts de chacun, cela n’a pas suffi à faire avancer les choses. »

 

Retour aux sources

Les retombées de ces nouvelles campagnes n’ont pas eu l’effet escompté. En effet, les ventes de cette année ont chutées de 5% par rapport à l’année dernière. C’est même 15% de moins qu’en 2020, où le chiffre d’affaires de la marque s’élevait à 7,5 milliards de dollars.

Le président de Victoria’s Secret, Greg Unis, a donc déclaré le retour de la marque à la « sexyness ». Lors d’une réunion à New York, le responsable de la marque de lingerie a déclaré aux investisseurs que la nouvelle orientation de l’entreprise est le sexy et l’augmentation de ses lignes de lingerie, de maillots de bain et de vêtements de sport. L’objectif principal du retailler serait désormais d’améliorer sa rentabilité et de récupérer plus de 7 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel.

 

« Le sexy peut être inclusif », a déclaré Unis. « Le sexy peut célébrer les diverses expériences de nos clients et c’est ce sur quoi nous nous concentrons. »

 

Victoria’s Secret se retrouve donc coincée entre deux chaises. Montrer des femmes hypersexualisées ? Problématique ! Rebondir avec des campagnes inclusives ? Problématique !

C’est un phénomène assez étonnant qui s’observe. Fenty, Skims, Chantelle… ce sont toutes des marques de lingeries à succès qui misent sur la diversité. Mais quand on touche à Victoria’s Secret, la toile s’enflamme, les avis se divisent et les réseaux sociaux s’indignent. Peut-être que le problème se trouve aux origines mêmes de la marque. Baser son fond de commerce sur une vision du corps parfait n’est définitivement pas une bonne idée marketing. Victoria’s Secret doit s’y faire : elle est aujourd’hui dépassée par les évènements, marqueur d’une époque révolue et totalement has been.

Dans une dernière tentative, Victoria’s Secret cherche à rebondir avec sa nouvelle gamme de lingerie adaptée au handicap, avec des attaches pensées pour faciliter la vie des concernées.  Cela sera-t-il suffisant ?

Texte Elisa Lamotte