Après son premier album The Book Of Law comprenant de nombreuses collaborations avec Angel Olsen, Marissa Nadler, Kristin Kontrol, Soko ou Kim Gordon (de Sonic Youth) mais également d’incroyables vidéos toutes signées de la réalisatrice Floria Sigismondi (des clips pour David Bowie, réalisatrice du film The Runaways), le californien fantasque Lawrence Rothman aux multiples personnalités (ses fameux ‘alters’ comme il les nomme) est de retour avec un mini-album dont le titre étrange semble avoir été emprunté aux Pet Shop Boys : I know I have been Wrong, But Can We Talk?, un nouveau projet musical où il se trouve cette fois seul maître à bord, avec son frère Yves Rothman à la production.

Et alors qu’il est toujours signé sur le label Downtown records (Tommy Genesis, William Fitzsimmons, Mura Masa…), il vient de créer son propre label Kro records avec son frère Yves Rothman et Justin Raisen dont la première sortie est un EP d’Aleka’s Attic, le groupe fondé par le regretté River Phoenix et sa soeur Rain. 

Nous avons eu l’occasion de rencontrer et réaliser cet édito mode lors de la dernière venue parisienne de Lawrence. 

Photographe : Anne Piqué @ The Art Board
Video Director : Anthony Gallizia
Styliste : Noémie Beltran
Production : Amandine Weppe
Hair Stylist : Nicolas Philippon @ Call My Agent
Make Up Artist : Samuel Ruffin Hendrix

Remerciements : Hotel The Hoxton, Paris

Veste et chemise, Dior

Quelle était l’idée maîtresse derrière l’enregistrement de ce nouveau mini-album?

The Book Of Law était un heureux accident de collaboration avec des personnes que j’aime et il était très organique. Je ne lance jamais dans un album en pensant à des collaborateurs, c’est plutôt une méthode qui consiste à suivre la chanson et à se laisser porter par elle de manière naturelle. Lors de l’enregistrement et de l’écriture du matériel, mon dernier opus était très insulaire. Le producteur Yves Rothman, qui est également mon frère, était la seule autre personne impliquée dans ces enregistrements. J’ai toujours plus de 50 chansons à divers stades de finition, certaines ne voient jamais le jour, mais je suis toujours en train d’écrire et d’enregistrer. c’est une forme de thérapie pour moi.

Le titre de ce mini-album I know I have been Wrong, But Can We Talk? est-il destiné à quelqu’un en particulier ?

Deux événements qui se sont croisés m’ont touché vers le mois de mars de l’an dernier. Mon père, avec lequel je n’avais plus de contact depuis 4 ans, m’a envoyé un message dans lequel il était écrit: «Je sais que j’ai eu tort, mais pouvons-nous parler?». Nous avons eu beaucoup d’incompréhension tout au long de ma vie, lui et moi. Il ne comprend pas que mon identité de genre et il est déconcert par mes choix de vie, de carrière, etc. Avec ce message, il voulait, je suppose, faire amende honorable en quelque sorte. Je dois avoir regardé ce message pendant des semaines sans y répondre. Les 9 derniers mois, je me sentais enfin guéri, j’ai co-produit et mixé l’album de Marissa Nadler For My Crimes dans mon studio, j’écrivais des tonnes de ma propre musique, j’étais également en tournée et je travaillais sur un scénario d’un pilote pour une série télévisée. Ce texte m’a de nouveau fait revivre la colère et le traumatisme que j’ai subis avec lui au fil des ans. Je l’ai évité d’y penser autant que possible et me suis distrait l’esprit en écrivant et d’enregistrant des tonnes de musique. Mais ce qui est survenu ensuite, je ne pouvais pas m’y préparer.

Mon meilleur ami, Bobby, que je connais depuis que j’ai 17 ans, s’est suicidé. Je ne peux pas écrire de mots pour expliquer ce que je ressentais et ressent encore. Je n’avais jamais eu quelqu’un de proche se suicider. Il n’y avait aucun signe d’avertissement évident et il cachait très bien ses pensées de ceux qui lui étaient les plus proches. Lorsque je repense à certaines de nos conversations, je peux identifier le moment où il a laissé entendre ces pensées, mais je suppose que je les ai ignorées ou que j’étais trop aveugle pour voir l’écriture sur le mur. J’ai écrit quelques chansons pour cet EP avec lui et l’une d’entre elles figure sur le mini-album aujourd’hui. La dernière conversation que j’ai eu avec lui a été de débattre de mon film préféré, The Outsiders. Ensemble, pendant toutes ces années, nous étions deux étrangers qui se comprenaient parfaitement à un putain de “degré”. Il a beaucoup souffert avec son père et sa mère, du fait que son éducation religieuse s’opposait à son inclination sexuelle.

La vie est de plus en plus rapide et imprévisible. En mai dernier, j’ai pris le téléphone et appelé mon père. Nous avons commencé à essayer de nous comprendre. Ce qui, je suppose, est la première étape.

Veste, Saint Laurent
Top, Tibi
Pantalon, Givenchy
Chaussures, Personnelles

Le ton général de ce nouvel album semble plus positif et fluide que celui de tes travaux précédents : qu’est-ce qui a changé pour que cette évolution se produise?

C’est drôle : pour ma part,  je n’entends pas beaucoup de différence.  J’ai enregistré au même endroit que mon album précédent, mon studio à Laurel Canyon, en Californie.

Sur le morceau «Decade», par exemple, il y a un soupçon d’influences 80’s : es-tu conscient de cela ?

“Decade” a un peu l’ambiance de Roxy Music rencontrant le Bowie des années 80, c’est ce qui m’a été dit à plusieurs reprises. Personnellement je n’écoute pas beaucoup de musique des années 80 mis à part Arthur Russell et The Cure.

Veste, Saint Laurent
Top, Tibi
Pantalon, Givenchy

Bien que ce nouveau mini-album soit à 100% Lawrence Rothman, tu incorpores 3 nouveaux alters (ou personnalités) à ton projet : Orion, Courtney & Tommy. As-tu l’impression de les utiliser moins pour te cacher que de te montrer finalement plus que jamais en pleine lumière?

Mes alters sont différentes versions de mon vrai moi. Chacun de nous a des côtés différents que nous montrons à différentes personnes. Vous avez une version que vous montrez à votre maman et à votre papa et qui est différente de ce que vous montrez à vos amis dans un bar ou votre patron au travail. J’embrasse tous ces aspects de moi-même et je les amplifie visuellement à travers mon art. Pour être le plus authentique possible, je dois le montrer dans mon art. Je change toujours d’apparence depuis mon enfance.

Pensez-tu qu’un jour tu te débarrasseras de tes alters ? Ou est-ce que jouer à cache-cache est trop amusant pour s’arrêter?

Les alters sont une réflexion de ma propre personne. Ils sont mon plus grand défaut amplifié. Mais je pense que tout le monde a ses propres alters, je choisis juste de les mettre en avant physiquement.

Manteau, pantalon, Maison Margiela
Chemise, Bourrienne Paris X
Bottes, Calvin Klein

As-tu une perspective sur l’évolution de ta musique dans le temps? Et comment vois-tu cette évolution dans un futur proche?

Ce que je crée est un instantané de ce qui me passionne à un moment donné. Je ne peux donc jamais prédire ce que ce sera. Cela peut être de la musique ambiante, du psych folk, de l’électro pop, de la musique vocale expérimentale. L’avenir de ma musique est ce qui me passionne le plus, car j’aime tant de formes de musique que je veux toutes les expérimenter.

Faire de la musique est-il un processus de guérison pour toi ou bien test-ce complètement autre chose?

Ces chansons sont le compte rendu de l’état dans lequel que je me trouvais au moment où mon ami Bobby a repris sa vie au début d’année dernière. J’en ai écrit la plupart durant la semaine qui a suivi sa disparition afin de trouver un moyen de faire la paix avec son décès. L’art peut s’avérer aussi curatif que méditatif : j’aurai pu prendre le même chemin tragique si je n’avais eu ma musique dans ces moments sombres et les techniques de méditation transcendantale que m’a enseigné la Fondation David Lynch en 2012. Et je ne serais peut-être pas en train de répondre à tes questions aujourd’hui.

Manteau, Gucci
Chemise, Just Cavalli
Pantalon, Ami
Bottines, Roker X Charles Jeffrey Loverboy

Penses-tu que ta versatilité de genre te rende plus fort ou plus faible ? Peut-être cela dépend-il de la situation ?

A mon sens ce qui compte c’est votre habilitation à être votre vrai moi, peu importe ce que le monde extérieur pense. Le monde évolue rapidement et l’identité sexuelle des personnes sera mieux reconnue. Je suis ici pour faire partie des nombreuses voix qui aideront à inaugurer ce changement.

Quelle est ta philosophie de vie en quelques mots ?

La vie est une aventure et il faut en embrasser les hauts et les bas, c’est ce qui rend votre histoire unique.

Quel est ton point de vue sur le poids écrasant des médias sociaux dans nos vies actuelles, en tant qu’artiste, mais aussi en tant que personne?

Les médias sociaux sont comme le monde parfait d’Andy Warhol. Tout le monde est une star, mais pas tout le monde!

Et pour mémoire, quelques uns des plus fameux alters de Lawrence Rothman :

Lawrence Rothman : I Know I’ve Been Wrong, But Can We Talk ?
(mini-album on Downtown Records)

tracklist :
1. Oath 3:59
2. Bobby Drama 4:21
3. Decade 4:21
4. Kodak Face 3:43
5. Party Boy 4:13
6. Untouchables 4:09