La musique de Pierre Mottron est une odyssée introspective et ses morceaux alliant sensibilité et impressionnisme font penser à des tableaux où il revient  modifier la lumière, les couleurs et l’atmosphère, à la manière d’une sorte de Léonard de Vinci contemporain, retouchant sans cesse son oeuvre. Véritable stackhanoviste musical, sa musique est aussi ciselée que celle d’un orfèvre : chaque détail y est savamment distillé de manière extrêmement pointue. Giants est le résultat de 12 ans de travail seul dans son studio à peaufiner chaque détail avant de pouvoir le présenter au public, mais l’attente en valait la peine.

Mottron a également composé la BO de Judith Hotel (2018), 1er court-métrage écrit et réalisé par Charlotte Le Bon et deux autres de ses morceaux figurent dans la saison 2 de la série espagnole Elite (Netflix).

Après avoir teasé méthodiquement la sortie de son album avec 4 vidéos successives qui forment ensemble un court métrage intimiste (voir ci-après), Mottron publie aujourd’hui une nouvelle vidéo (voir plus haut) réalisée par Charlotte Le Bon sur le titre “Walk Away” produit par Benjamin Lebeau (artiste/producteur et moitié du duo The Shoes). Charlotte nous explique sa vision :

« Dès la première écoute de WALK AWAY, j’ai imaginé une créature non-genrée, baroque et un brin menaçante. Une histoire s’est peu à peu tissée autour de celle qu’on a appelé la Reine-Mère, composée de rêves, de quêtes et de miroirs. Le tout, pour moi, est un cocktail d’inspirations éparses, allant de Velasquez à Agostino Arrivabene, au film culte The Reflecting Skin de Philip Ridley. »

l’interview :

Tu es totalement autodidacte : cela explique-t-il en partie le temps que tu as mis pour définir ton univers sonore ?
J’ai mis longtemps à trouver quelque chose qui me ressemble et dont je sois sûr. Entre le style, la couleur, la voix, les instrumentations, c’était très compliqué de trouver ce qui me représentait. Du coup j’ai beaucoup travaillé tous ces aspects avant de me « rendre public ». Quand à l’album ça fait depuis 2015-2016 que je travaille dessus.

Quel a été le déclic entre toi et la musique ?
Ca été la production au départ. J’ai débuté par le biais du hip-hop : c’est ce qui m’a lancé et cela me paraissait plus simple pour moi. Le déclic ça a été de trouver un moyen d’expression, un langage qui n’appartenait qu’à moi, que je pouvais contrôler. C’est la première fois que j’avais quelque chose dans les mains qui ne dépendait que de moi. Et j’ai arrêté mes cours pour ne me consacrer qu’à ça.

Ta musique est à la fois acoustique et électronique : par quoi as-tu commencé ?
N’ayant aucune formation tout ça c’est beaucoup de pratique et d’expérimentations pour des choses bien spécifiques : je ne sais jouer que ce que je sais jouer ! Je n’ai aucun savoir de réserve. Du coup, je cherche, je trouve, je devine de manière assez naturelle et en me laissant surtout guider par mon intuition.

Et ta voix ?
C’est venu bien plus tard ; j’ai fait beaucoup d’instrumentaux pour commercer et la question de la voix c’est arrivé progressivement, très lentement .. avant de la placer en position centrale comme elle l’est maintenant. Aujourd’hui ma voix est le personnage principal de ma musique. Comme elle est désormais placée au centre, je peux me permettre une plus grande liberté de composition et d’arrangement. Vers 2014-2015 j’ai commencé à me familiariser avec la composition et de là, l’élément voix s’est imposé. Tout s’est mis en place comme une sorte d’architecture sonore. De là j’ai commencé à écrire une narration incluant la partie vocale.

Quels sont tes héros musicaux ?
J’aime beaucoup David Sylvian mais celui qui m’a le plus influencé concrètement c’est Robert Wyatt.

Pourquoi avoir choisi ton nom Mottron pour présenter ton projet ?
Parce que c’est moi tout simplement. Parce que je ne suis pas un groupe.

Coté production, tu es seul aux commandes également ?
J’ai tout fait seul, y compris le mixage. J’ai passé beaucoup de temps à renverser les choses, à les réorganiser de façon à ce que cela sonne : j’ai plus épurer mon son qu’autre chose en fait. J’ai essayé d’enlever tout ce dont je me laissais pour arriver vraiment à l’essentiel.

As-tu ressenti le danger de perdre l’essence d’un morceau à force de le retoucher ?
J’ai expérimenté ce danger mais la maturité joue alors un rôle non négligeable. A un moment donné il est impératif de savoir s’arrêter. Aujourd’hui on a l’avantage non négligeable de ne pas avoir la contrainte temporel des studios oldschool comme par le passé : le home studio donne vraiment une incroyable liberté aujourd’hui.

A quel moment as-tu senti que l’album était terminé dans sa forme finale ?
Je ne souviens pas quand exactement mais lorsque j’ai eu cette sensation c’était très clair pour moi. Je ne sais pas si c’était parfait techniquement mais j’ai senti que j’étais parvenu à exprimer ce que je souhaitais. Je suis arrivé à ce que je voulais en terme d’intention.

Pourquoi l’album s’appelle Giants ?
Chaque chanson a été très compliqué à finaliser : chaque titre s’est avéré une épreuve pour moi. Chaque track m’obligeait à apprendre quelque chose : une interprétation, une façon de composer,… comme un géant que je devais combattre et apprivoiser.

Ce disque c’est aussi beaucoup de montagnes russes… même au sein de chaque titre parfois, qui mêlent à la fois pop moderne, un coté musique de films et quelques touches jazzy.
Je ne sais pas pour le coté jazzy dont tu parles mais j’ai un rapport à l’harmonie qui est assez libre : je ne réfléchis pas en terme de style mais en terme de narration. Pour simplifier, si c’est beau et que ce cela fait sens, alors je le fais, je ne me pose pas de questions. Ce disque c’est à la fois beaucoup de travail mais aussi d’intuition. Je souhaite que ma musique soit une fenêtre vers un imaginaire….

Tu nous as dit être solitaire sur ce disque à quelques invités triés sur le volet près toutefois…
J’ai eu la chance que des artistes au top de leur domaine soient d’accord pour participer : Lionel Marchetti, musicien de musique concrète, Nastasia Paccagnini (du groupe Thé Vanille) et Tujiko Noriko, chanteuse de la scène laptop tokyoïte. Chacun m’a apporté quelque chose d’unique en acceptant de sortir de sa zone de confort.

L’univers visuel autour de ta musique est assez singulier : tes vidéos ont un coté clair obscur, avec des couleurs presque cramées…
On a réfléchit à la manière de mettre en image cette musique sachant que dans les morceaux il y a beaucoup de paysages, de couleurs différentes…. Quelle est la bonne manière de synthétiser tout cela ? On voulait quelque chose qui fasse très tableaux, un coté Edward Hopper, avec des scènes très organisées géométriquement, très construites, très lentes et à la fois très contemplatif. On avait deux inspirations cinématographiques : d’un coté Ozu et de l’autre David Lynch…

Quand à la pochette, on te voit sans te voir … c’est presque un jeu de cache cache…
Je veux qu’on sache que c’est moi qui chante mais pas au point de me montrer de façon frontale. La série photo est signée Asger Carlsen.

Video Quadrilogy (réalisée par Olivier Groulx) inclus : 1/”Lighter” 2/”They Know” 3/”Fire” 4/”Run”

Playlist de Mottron : « Divagation, songe et autres sentiments intermédiaires. »

Une playlist déroutante qui joue à cache cache avec la musique contemporaine.

Pour écouter et se procurer l’album de MOTTRON : Giants

©&℗ 2020 LE LABEL – [PIAS] / THE ART CHAMBER / FLYING PEACH PRODUCTION