Comment marier le rap à la variété française ? Être viril, tout en restant sensible ? Nostalgique, sans être passéiste ? Jouer avec le kitsch, sans tomber dans la «  ploukitude » ? Myth Syzer a trouvé les réponses à toutes ces questions. Et ces réponses, il les vocalise sous forme de punchlines dans son album Bisous, sorti ce printemps, tout en renvoyant la balle à la panoplie d’artistes francophones qui l’accompagne sur ses morceaux aux tonalités inédites (Doc Gyneco, Jok’air, Hamza et Lolo Zouaï, pour n’en citer que quelques uns). Beatmaker respecté et tête pensante du jeune label Bon Gamin, Myth Syzer aurait pu se reposer sur ses lauriers. Au lieu de cela, il a décidé de chambouler ses propres codes en s’affirmant au micro pour chanter ses peines d’amour. Avec Bisous, Myth nous a donné le mot de passe de son cœur – ou presque. On attend la suite avec impatience –  «  Le Code  » numéro 2, please ! Myth se livre à nous, accompagné de quelques uns de ses talentueux acolytes, dont Bonnie Banane, Aja et Loveni.

Qu’est-ce qui a changé depuis que tu as commencé à produire de la musique pour toi-même et plus seulement pour les autres ?

Je me sens de plus en plus libre. C’est un processus créatif qui est beaucoup plus spontané. Je pose sur des prods, je n’attends plus rien de personne, aucun retour, aucune discussion. Je me suis rendu compte que je pouvais enfin créer et avoir un produit musical que je compose de A à Z par moi-même et pour moi-même, c’est là que les choses deviennent intéressantes.

Pourquoi as-tu décidé de franchir le cap et de passer de beatmaker et producteur à chanteur ? 

À l’époque, j’étais heureux de simplement produire, mais j’ai évolué. Il n’y a pas vraiment eu un déclic précis. Je commençais à m’ennuyer de ne faire que des instrus, je ne me sentais pas accompli. J’avais envie d’essayer de chanter, de voir comment cela allait se passer, alors je me suis lancé avec «  Le Code  » [ndlr  : avec Bonnie Banane, Ichon et Muddy Monk]. Au début, je ne pensais pas forcément faire un album, c’est «  Le Code  » qui m’a donné envie d’aller plus loin.

Est-ce une manière de te rendre plus vulnérable  ? 

Oui car je me livre plus que jamais. Mon prochain album sera beaucoup plus profond, beaucoup plus sombre. Je compte me livrer plus et parler de choses plus personnelles ; pas que de l’amour. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant…

En parlant d’amour, je dirais que tu as réussi à réconcilier le rap et l’amour grâce à ton premier album Bisous. Ton album a vraiment ce côté mi-garçon sensible, mi-gangsta love

Avec cet album, je voulais faire le Première Consultation de Doc Gynéco, mais en 2018. Quand Doc Gyneco a sorti son album, le résultat était beaucoup plus gangsta love que rap pur et dur. Aujourd’hui, j’ai envie de rapprocher le rap de la variété, comme lui a su le faire. C’était d’ailleurs génial de l’avoir en featuring sur «  La Piscine  » [ndlr  : sur l’album Bisous, avec Clara Cappagli]. C’était un réel défi de baser mon premier album sur l’histoire d’une rupture amoureuse. J’avais peur que ça tombe dans le cheesy, que l’on trouve un côté plouc à ma musique –  car on est souvent confrontés à ce genre de reproche en France quand on parle d’amour.

Quand tu parles de variété française, qu’est-ce qui te touche dans cet héritage musical ?

Pendant une période, j’écoutais beaucoup de morceaux d’Étienne Daho et d’Alain Souchon, entre autres. Je me suis dit qu’il y avait un truc à faire dans cette catégorie car  dans la variété française aujourd’hui on n’entend plus ce genre de musique. Cela dit, je ne cherchais pas spécialement à être nostalgique – ou peut-être un tout petit peu. J’essaie de transformer cette nostalgie de la variété française en quelque chose de contemporain, qui fait que tu retrouves un peu cette sensation de l’époque, tout en écoutant quelque chose de nouveau.

«  Cœur brisé  », «  Voyou  », «  Sans toi  »… Tellement de paroles de chansons qui défendent une virilité sensible. Est-ce qu’il y a des chansons sur cet album qui te tiennent particulièrement à cœur ? 

Franchement, je n’ai pas de chansons préférées sur mon album. C’est un tout et chacun peut associer ses propres interprétations et sentiments aux paroles de mes morceaux. J’essaie d’exprimer mes sentiments de manière légère, pas trop prononcée, pour faire quelque chose qui parle aux gens.

Comment composes-tu un morceau de A à Z ? 

Cela me vient comme ça, tout naturellement. J’écoute un son et s’il m’inspire, les paroles viennent toutes seules. C’est une question de feeling avant tout, plus qu’une question de concept. Sur scène aussi, c’est vraiment du freestyle, je ne me mets aucune pression. Je n’ai pas de formule quand je monte sur scène ou quand je fais un son. Tout est inné,  je suis moi-même.

As-tu été confronté à certains défis en produisant Bisous ?

Oui complètement ! Tous les morceaux de cet album sont un défi à part entière. Je voulais que chacun d’entre eux sonne presque joyeux. Mon idée, c’était d’essayer de transformer une rupture en quelque chose de cool, léger et ensoleillé. C’était compliqué parce qu’à la base je fais de la musique beaucoup plus sombre. Les bonnes comme les mauvaises expériences m’inspirent, mais je suis plus inspiré quand les choses se passent moins bien car j’ai envie de me lâcher, d’extérioriser.

Tu as réussi à créer une véritable famille musicale autour de toi, un mouvement musical presque.  

Je voulais avant tout préserver mon identité de beatmaker et donc aller chercher plein de gens avec lesquels j’avais déjà collaboré. J’ai conçu cet album comme un album de producteur avec différents artistes qui apportent leur propre touche. Donc oui, même si ce n’était pas une revendication au départ, c’est un album qui fédère un groupe d’amis et d’artistes que j’aime, plus qu’une compil qui rassemble les gens. C’est difficile de réunir tout le monde. Mais le vrai défi est surtout de rassembler les artistes en featuring sur un même morceau sur scène !

Ta volonté de réunir les artistes français sur un son inédit me fait penser à un renouveau de la «  French Touch ».

Je suis conscient que cela apporte du nouveau parce qu’il y a peu de synergies entre les jeunes artistes ou beatmakers en France, ils veulent tous faire un projet qui sort de l’ordinaire. Mais la «  French Touch », je ne vois pas trop ce que cela signifie ; si j’en fais partie, tant mieux, c’est cool  !

Est-ce qu’il y a d’autres artistes, francophones ou non, avec lesquels tu aimerais travailler dans un futur proche ? 

Lio  ! Je l’ai rencontrée d’ailleurs. Pour être honnête, je me tourne plus vers les «  anciens  » artistes, les nouveaux artistes ne me touchent pas énormément. Lio est charismatique, c’est un véritable personnage  ! J’aime beaucoup Damso aussi. Il y a également Sade, dont je suis absolument fan. Dans le rap, je pense surtout à Future et Kendrick Lamar.

Si tu devais donner un conseil à un jeune beatmaker, que lui dirais-tu? 

Je lui dirais de travailler un maximum, de ne jamais baisser les bras, mais surtout de bien  réfléchir à ce qu’il fait en pensant sur le long terme. C’est important de savoir où tu veux aller, de réfléchir à ce que tu peux apporter à la musique.

Quels sont tes prochain projets ? 

Je travaille encore avec des rappeurs et également sur mes prochains sons, mais j’essaie d’être plus seul sur mes morceaux : instru, couplet, refrain, je veux tout faire tout seul.

Ceci est un extrait du MODZIK n°56 (été 2018), disponible en kiosque et sur notre e-shop.

crédits: 

Photos: Fabien Montique
Style: Nicolas Dureau
Mise en beauté: Margaux Jalouzot
Cheveux: Paul Duchemin
Assistants style: Clément Guinamard et Pia Boulous