Clara Luciani, Juliette Armanet et Corine : trois étoiles filantes du renouveau de la variété française que l’on ne présente plus. Et pourtant, pour ce numéro d’été de MODZIK, elles forment une équation simple mais parfaite toutes les trois réunies. Corine, nouvelle sensation de la disco, excelle dans «  Épopée solaire  », une chanson soutenue par Juliette Armanet en featuring. Quant à Clara Luciani, sa première partie pour Juliette Armanet à l’Olympia au mois de mars est restée à tout jamais gravée dans son cœur. Des femmes artistes, fortes et talentueuses, que l’on découvre et redécouvre au fil des paroles de leurs chansons – mais aussi grâce à cette interview croisée inédite.

Corine – Combinaison: Peter Saville x Paco Rabanne; Boucles d’oreilles: Jennifer Fisher; Bottines: Martinez / Juliette Anmahnet – Top, veste et pantalon: Marine Serre; Mules: Pierre Hardy / Clara Luciani – Blouson: Louis Vuitton par Nicolas Ghesquière; Chemise, pantalon et ceinture: Gucci; Bottines: Christian Dior

Parlez-moi un peu de votre rencontre – comment vos relations amicales et musicales se sont-elles formées?

Juliette : Et bien, ce sont des relations musicales qui sont devenues des relations amicales. Ce qui est une bonne façon de devenir amies. J’étais tombée sur «  Pourquoi, Pourquoi  » de Corine et j’ai trouvé ce titre super, donc je lui ai écrit un e-mail en lui avouant que j’avais eu un véritable coup de foudre musical pour elle  ! Concernant Clara, n avait pas mal d’amis en commun et on s’est croisées à une soirée où Clara chantait «  Un Homme heureux  ». C’était sublime  ! Beaucoup d’admiration est née de cette rencontre, en tout cas de ma part.

En parlant d’admiration, que pensez-vous l’une de l’autre, de vos personnalités et de vos chansons respectives ? 

Clara : Ce sont des femmes que j’admire beaucoup. Je les aime autant pour la musique qu’elles font que pour ce qu’elles sont. Je trouve – et c’est un peu triste – que les femmes ne sont pas toujours très solidaires entre elles  ; mais ces deux femmes là sont très bienveillantes et talentueuses.

Juliette  : Tu parles de solidarité féminine  ? Alors pourquoi tu m’a mis des lames de rasoirs dans mes chaussures à l’Olympia (rires)  ?

Clara  : Ça va (rires)  ! C’était une blague  !

Corine : Je rebondis sur ce que Clara a dit. Quand Juliette m’a écrit, j’étais très honorée et vraiment impressionnée car c’est une artiste qui me bouleverse  ! J’ai eu cette idée de duo parce que cela faisait longtemps que j’avais envie d’écrire avec une femme, cela ne se fait pas tant que cela. Il n’y a pas beaucoup de femmes qui ont cette notion de partage dans la musique. On a donc co-écrit un texte un peu onirique sur une rencontre féminine ou une rencontre amoureuse –  sur un coup de foudre en tout cas.

Chemise: Ellery; Pantalon: Gucci

Comme tu viens de le mentionner, Clara, il y a un manque de solidarité féminine dans les industries créatives. Pourtant, les médias parlent constamment de féminisme et d’émancipation via les mouvements tels que Balance ton porc, Time’s Up, est-ce que c’est un sujet qui vous touche  ? 

Clara : Mes chansons sont autobiographiques donc elles sont imprégnées de ce que je suis en tant que femme. J’ai une féminité très assumée donc ce sujet revient souvent dans mes chansons. Est-ce que c’est un combat d’être une femme ? Je ne suis pas du tout «  poing levé  », mais par contre, je pense qu’être une femme ça influence –  on est toutes un peu féministes.

Juliette : Je mets un bémol à tout cela parce que je trouve que c’est un piège dans lequel il ne faut pas tomber sous prétexte qu’on est des femmes et qu’on est féministe. Il faut faire attention à ne pas non plus faire de la discrimination positive  ! Attention, je ne suis pas du tout réac  : je suis très contente de ce qui se passe en ce moment, de ce qu’on a pu vivre  ; mais j’aime autant Clara et Corine que Pépite ou Paradis, je ne me pose pas la question de savoir si ce sont des femmes ou des hommes qui font de la musique. C’est avant tout des sensibilités communes, des esprits qui s’entendent, des façons de voir le monde qui me touchent.

Corine : Exactement, il faut célébrer nos différences et ne surtout pas inciter à la guerre des sexes  ! J’ai mis cinq mecs à poil dans le clip de «  Pourquoi, Pourquoi  » afin de montrer que c’est bel et bien dans nos différences que l’on peut s’accompagner et qu’il faut jouer avec tous ces codes dits féminins et masculins.

Juliette : Je rebondis sur ce que tu dis, Corine, la femme moderne du 21ème siècle n’est pas systématiquement féminine ou masculine, elle n’est pas systématiquement queer ; on peut décider d’être libre comme l’air, sans forcément devoir se définir ou revendiquer une cause ou un genre à tout moment.

Votre public vous définit comme la nouvelle garde française car vous avez chacune cette touche de variété française dans votre musique ; qu’est-ce que vous en pensez  ?  

Juliette  : Oui à fond, je suis pro nouvelle génération  ! Je trouve que c’est beau ce qui se passe actuellement dans la chanson française.

Corine  : Je ne suis pas du tout nostalgique d’une époque. On est tous inspirés par notre héritage culturel d’une façon ou d’une autre ; je n’ai pas l’impression de faire partie d’un revival pour autant. Le scène musicale française actuelle est très riche  ; on a tous des projets différents et bien identifiés.

Chemise: Filles à Papa

Quels éléments de la culture française ont nourri votre amour pour la musique  ? 

Clara : Moi, j’ai eu un déclic avec Les Demoiselles de Rochefort. J’ai l’impression que beaucoup de filles de ma génération ont été touchées par ce film des années 60.

Corine : Je n’ai pas forcément eu de déclic précis. Mais à 10 ans, Madonna m’impressionnait, je chantais ses chansons lors de mes premiers spectacles que je faisais pour mes parents sur notre terrasse. Madonna me fascinait par sa beauté, sa féminité, son attitude de femme forte et sa manière de danser. C’est en voyant ses clips que je me suis dit que moi aussi je voulais faire ça. Et puis Brigitte Bardot (à la belle époque) et le cinéma français, la nouvelle vague en particulier, m’ont beaucoup inspirée.

Juliette : Dans mon cas, je dirais que la musique c’est une histoire de famille  ! J’ai grandi dans la musique, mon père composait toute la journée. Je suis très influencée par ce que j’ai entendu pendant mon enfance. Après, des influences, j’en ai énormément : j’écoutais beaucoup de musique classique parce que ma mère était pianiste, mais aussi beaucoup de jazz, de variété française. Quand je réécoute les compos de mon père aujourd’hui, je me rend compte qu’il pourrait me demander de lui céder les droits d’auteur de mes chansons (rires)  !

Est-ce qu’il y a eu un moment de votre carrière qui vous a tout particulièrement marquées ? 

Juliette : Mon premier Olympia. Je craignais énormément ce moment car il reste un rendez-vous symboliquement très chargé de sens. J’étais complètement étouffée par l’émotion, j’avais du mal à chanter. En même temps, je trouvais ça beau que ce soit difficile d’aller au bout des choses. J’avais du mal à retenir mes larmes : c’était un moment de putain de partage  !

Clara : Le moment qui m’a le plus marquée, c’est le jour de la sortie de mon premier album. C’était comme un accouchement. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, je me suis levée, je suis allée m’acheter des fleurs –  des tulipes précisément. J’ai vécu ce moment comme un anniversaire qui se passe qu’une seule fois dans ma vie. J’avais tellement attendu que mon album sorte que c’en est devenu un moment exceptionnel.

Corine : Le moment qui m’a le plus marquée, c’était le jour où j’ai signé avec Polydor. C’était un jour de grandes émotions  ! On a fini au resto avec toute l’équipe et fait la fête comme des fous. C’était un moment symbolique pour moi, comme un rite de passage unique et important avec une belle maison de disque et une équipe fabuleuse. Cela m’a vraiment comblée –  et ce n’est que le début du chemin.

Est-ce que vous avez un rituel avant de monter sur scène ou lorsque vous composez une chanson ? 

Clara : C’est un peu la honte : je tricote avant de monter sur scène  ! L’année dernière, j’étais toute seule sur la route, en tournée avec Benjamin Biolay, pour qui je faisais la première partie, et j’étais vraiment terrorisée  ! Je ne savais plus quoi faire pour me calmer et je me suis mise à tricoter. J’ai un souvenir de Benjamin qui ouvre la porte de mes loges, me voit tricoter et me dit en rigolant «  Ce n’est plus ce que c’était le rock’n’roll  » (rires).

Juliette : Avec mes musiciens, on chantonne et on picole des petits shots de vodka avant de monter sur scène. Et puis je fais de la boxe dans les loges.

Corine : C’est pareil, je fais des arts martiaux depuis huit ans, j’ai un petit rituel de dix minutes d’exercice avant de monter sur scène et ça me fait beaucoup de bien  ! Puis après, peu avant de monter sur scène, je vois que toute mon équipe est super excitée et j’adore ça  ! Naturellement, on se rassemble tous et on boit un petit shot de rhum (rires) !

Et après le show ? Est-ce que vous avez déjà eu des réactions particulières de vos fans à la sortie de vos concerts ? 

Clara : Une fois à Marseille avec Juliette  !  À la fin du concert, on nous a apporté des petits recueils de poèmes écrits sur nous dans nos loges.

Juliette : Celui de Clara était très réussi mais le mien était très ambigu, si je peux me permettre (rires). Blague à part, je trouve ça super beau ces petites attentions, je les garde précieusement. C’est touchant de voir à quel point les gens sont capables de se livrer sur nos chansons. Comme j’écris des chanson d’amour, on me demande souvent des conseils conjugaux. À la fin d’un concert, on se retrouve souvent dans des situations quelque peu psychanalytiques, quand les gens viennent nous parler et se livrer. Parfois, il y a aussi des fans qui font des demandes étranges ou alors des fans qui font des retours hyper-précis sur la qualité du son pendant le concert. Je trouve que c’est très beau de prendre son temps et d’écouter tout le monde.

Combinaison: Le Studio Pierre; Boucles d’oreilles: Mulberry

Est-ce que vous avez vous-mêmes des relations particulières avec certaines de vos chansons ? 

Clara : Je pense à deux chansons en particulier, je les ai composées le jour même où je me suis faite larguée. Je ne les ai pas mises sur l’album parce qu’elles sont vraiment très sombres mais ce n’est pas pour autant qu’elles ne sont pas importantes pour moi. Elles s’appellent «  Pleure Clara, pleure  » et «  À crever  ». Les chansons, c’est comme des photos qu’on peut consulter et elles nous projettent dans l’état dans lequel on était quand on les a faites.

Corine : J’ai une chanson favorite, c’est «  Cocktail  »  ! Lorsque je l’ai écrite, j’étais sur une île dans le sud de la Sicile. J’ai passé une semaine là-bas, à poil, dans un endroit complètement fou  : seule, sans voisins –  juste moi et la mer  ! C’est une chanson qui parle des dernières vacances en amoureux, quand tu sais que tu ne vas jamais revoir ton amoureux.

Juliette : J’ai une chanson qui s’appelle «  L’Accident  » qui est super triste. C’est une chanson qui a été thérapeutique, que j’ai mis du temps à écrire, environ quatre ans après la rupture… C’est comme si j’avais mûri pendant ces années là et quand la chanson est finalement sortie, j’ai eu un sentiment de libération extrême et de délivrance.

Si vous pouviez donner des conseils à une jeune chanteuse en herbe qui veut percer aujourd’hui, que lui diriez-vous ? 

Clara : Je vais peut être répondre de manière un peu stéréotypée – un peu prof de chant à la Star Académie –  mais je trouve qu’il faut être le plus honnête possible, suivre son cœur et ne pas juste faire les choses pour être à la mode.

Corine : Je dirais qu’il faut se faire confiance, s’écouter, suivre son instinct et surtout savoir bien s’entourer. Et ne pas avoir peur de se prendre des claques, car ça permet d’apprendre et d’avancer. Plus j’avance en tant qu’artiste, plus je me rends compte que j’ai énormément de chance d’avoir une équipe forte autour de moi.

Juliette : Je vous rejoins toutes les deux  ! Lorsqu’on écrit, il faut savoir faire les choses pour soi-même, s’écouter et surtout être libre  ! Il faut oser plonger en soi et se laisser surprendre par sa propre personne…et coucher (rires)  !

Quels sont vos projets pour les mois à venir ?  

Clara : Bronzer surtout  ! C’est ma préoccupation principale à partir du mois de juin.

Corine : Pour moi, ce sera surtout la préparation de mon album ! Et puis j’ai quelques dates à Marseille, Toulon et Deauville avant de partir en vacances.

Juliette : Je vais participer à beaucoup de festivals cet été et j’irai également à Montréal. Ce sera un peu la fin de ma tournée  : je suis hyper excitée et en même temps j’appréhende ce moment parce qu’il y a toujours un côté un peu mélancolique à une fin.

Ceci est un extrait du MODZIK n°56 (été 2018), disponible en kiosque et sur notre e-shop.

crédits:

Photos: Matthieu Delbreuve @Kaptive 

Style: Tiphaine Menon

Direction artistique: Nicolas Dureau 

Maquillage: Yann Boussand Larcher @ Call My Agent

Cheveux: Rudy Marmet @Call My Agent

Assistants mode: Benoit Paquet et Clément Guimard