On retrouve la productrice et DJ Sofia Kourtesis, une demi-journée après la fin d’un set qui a duré jusqu’à 5h du matin au célèbre Funkhaus de Berlin. À Paris à l’occasion son live show pour Pitchfork, on a pu prendre un rapide café avec l’infatigable et pétillante productrice pour parler de la sortie de son premier album Madres, salué par la critique.

 

Loin d’être novice, Sofia Kourtesis a déjà sorti deux EPs, produit des remix pour Diplo, Tourist et Jungle ou encore joué sur les meilleures scènes telles que Glastonbury et Tomorrowland.

 

Qu’est-ce qui a changé pour cet album ?

Quand j’ai commencé, je voulais impressionner tout le monde et être cool. En tant que musicienne électronique féminine, il faut toujours être au top et se prouver. Mais maintenant cela a changé, je me suis dit que je n’avais rien à prouver à personne. Je veux faire de la musique avec mon cœur et mon cœur n’est pas du tout parfait. Je suis un peu partout, je suis une personne chaotique et créative qui trébuche tout le temps et qui perd ses affaires.

 

Photo : Dan Medhurst.

 

Peut-être sans surprise, Sofia renverse sans faire exprès tout le sucre dans son café, et on la trahi en mettant un petit lien vers son post instagram de il y a trois semaines.

 

Est-ce que ce chaos est présent dans ta production ?

Quand j’écrivais, je n’essayais pas de mettre tout parfaitement dans l’ordre. Je mettais un petit sample pour perturber la norme et je le faisais fonctionner. Mais je suis aussi une réalisatrice frustrée. Avant d’écrire une chanson, je la vois. Je fais beaucoup de field recordings. Je vais à l’opéra ou, au Costa Rica, j’enregistre des femmes sur leurs balcons. C’est organique, je m’inspire d’un lieu, des personnes que je rencontre, et ensuite je crée autour de cela, tu vois ?

 

« [Manu Chao] m’a dit : “me mola mucho, oui, j’adore ce message, oui tu peux”. Je ne crois pas aux pierres magiques, mais je crois au pouvoir de l’être humain. »

 

Sofia a une détermination infinie. Sa vie a commencé près de Lima, au Pérou, où ses parents étaient tous deux activistes, quelque chose qu’elle a hérité. Madres comporte deux collaborations improbables : l’une avec Manu Chao, l’autre avec le neurochirurgien réputé Peter Vajkoczy, toutes deux réalisées par le biais de lettres

 

Est-ce que tu peux nous donner une leçon sur la rédaction de lettres ?

Je m’ouvre et je vais droit au but. Je leur dis à quel point la situation est importante pour moi et combien je suis reconnaissante qu’ils prennent le temps de me parler. Quand j’avais cinq ou six ans, je suis allée à mon premier concert de Manu Chao. Ses paroles et sa musique m’ont profondément touchée. Ses chansons parlent de la rue, de ces opinions sur l’Amérique Latine. Je lui ai raconté l’histoire de ma mère, de mes parents, je lui ai parlé de mon histoire, de quand je suis allée le voir et pourquoi je voulais le joindre. Je savais qu’il n’aimait pas que l’on touche à ses œuvres mais je lui ai envoyé des petits bouts et je pensais aller lui parler. J’ai eu beaucoup de chance parce qu’il a beaucoup aimé ce que je lui ai envoyé et aussi ce que je disais de la situation en Amérique Latine. Il m’a dit : « me mola mucho, oui, j’adore ce message, oui tu peux ». Je ne crois pas aux pierres magiques, mais je crois au pouvoir de l’être humain. Quand tu es concentré sur quelque chose, tu as une énergie en toi avec laquelle tu peux changer certaines situations. Une détermination positive. C’est comme ça que j’ai contacté Peter Vajkoczy. Si vous savez comment les atteindre, vous pouvez les atteindre et changer votre situation. Mais il faut mettre la bonne énergie dans les mots. Ne pas trop écrire. Ne pas écrire trop peu. Trouver le bon équilibre. Tu devrais essayer. C’est tellement bien. Tu peux changer tellement de choses.

 

Quelqu’un n’a-t-il pas répondu à vos lettres ?

Seules les personnes que je n’aime pas (rires). J’ai écrit une lettre ouverte à la présidente du Pérou, la nouvelle, mais je savais qu’elle ne répondrait jamais. Je ne la connais pas, mais je n’aime pas ce qu’elle fait.

 

Couverture du single Madres dédié à sa mère.

 

Après avoir effectué une opération chirurgicale qui a changé la vie de sa mère, Sofia est restée proche de Peter Vajkoczy, qui a prêté une oreille au processus de production de Madres et a même rejoint la productrice pour une soirée au Berghain.

 

Il danse bien ?

Est-ce qu’il danse bien… Il est très cool. Il a des moves un peu indie techno mais il est incroyable, il vient d’un autre monde. C’est un OVNI amical. Quand je l’ai rencontré, je lui ai dit : « Merci, tu es un héros ». Et il m’a répondu : « Non, ne me dis pas ça, ta mère est un héros parce qu’elle a eu confiance en moi pour l’opération ». Et je me suis mise à pleurer. C’est  le genre de médecin qui écrit toutes les semaines pour savoir comment vont ses patients. Et tu ne vois pas ça souvent en Amérique du Sud. Après avoir quitté la clinique, c’est ciao ! (Rires.) Il est venu à mon concert hier soir avec son équipe et quand sa voix est passé dans la chanson ou je le sample on a eu un petit moment d’émotion ensemble. Tout le monde a besoin d’un Peter dans sa vie. Tu trouveras ton Peter aussi.

 

Revenons à ce premier album, une démonstration fervente de musique électronique émotionnelle avec un mélange complexe de samples et de percussions fraîches. Tu ressens quoi quand tu chantes et joues des chansons aussi intimes en live ?

C’est cathartique. Parfois je deviens très triste parce qu’en chantant, il y a un souvenir qui remonte. C’est encore plus difficile parce que je dois me concentrer et sur des scènes de festival tu peux facilement être submergé par l’énergie. Le public aimera une chanson mais elle sera très triste. Tu fais ce que tu peux pour la rendre belle pour le public mais intérieurement tu as juste envie de pleurer. Je dois parfois contrôler mes émotions, mais j’ai un bon thérapeute, donc tout va bien. Il me demande tous les mardis quand je vais arrêter ma tournée (rires).

 

Couverture de Madres.

 

D’où vient la pochette de l’album ?

Les photos ont été prises en Grèce, d’où vient mon père avant d’habiter avec ma mère en bord de mer à Lima. Ça représente mes parents, mes deux mères, car l’amour d’une mère n’a pas de genre et l’amour d’un parent est si unique (rires).

 

Et les couleurs ?

Le rouge c’est pour le cœur, pour l’Amérique Latine, et le bleu pour la mer, ma famille et l’endroit d’où je viens.

 

Photo : Dan Medhurst.

 

Que dire des images qui accompagnent l’album ?

On a travaillé très dur là-dessus, c’était très créatif. J’ai travaillé avec des stylistes britanniques et un styliste grec qui ont apporté un style magnifique. Il y avait des plumes, des couleurs vertes…

 

Il n’y avait pas trop de vent ?

Oh mon dieu, si ! J’avais l’impression d’être le drapeau grec à un moment (rires). Non, mais j’ai travaillé avec un photographe incroyable, Dan Medhurst, il est tellement fort.

 

Et est-ce que tu as un look particulier sur scène ?

J’aimerais faire plus, mais je suis toujours tellement « Berlin » que je porte toujours des couleurs très sombres. Je ne sais pas pourquoi. Je devrais changer. Ces dernières semaines, j’ose plus, je suis plus créative. J’essaie de travailler avec de nouveaux stylistes.

 

Photo : Dan Medhurst.

 

C’est quand même de la mode, le style berlinois…

C’est de la mode, oui, c’est « Berlin », mais même si tu portes quelque chose de très cool, les gens ne le reconnaissent pas. Ils vont dire que tu portes encore du noir. Je demande : « Mais tu ne vois pas ?
— Non (rires) ». Mais d’ailleurs vous venez à mon show demain ?

 

Évidemment, hâte d’entendre passer Si Te Portas Bonito !

Ah, c’est une chanson drôle avec un bon rhythm. Cette chanson parle de ce jeu, de quand tu te rapproches, je m’éloigne. Il faut que tu te comportes bien si tu veux me voir, parce que je ne veux pas te courir après. Ne joue pas avec moi parce que c’est moi qui commande maintenant. Mais si quelqu’un met plus de trois jours à répondre, « next ! » Cela ne sert à rien.

Mes amis m’ont parlé de Tinder, Bumble, Hinge et je me suis dit que j’allais essayer pour voir. Mais c’est tellement drôle parce que Berlin est une ville cool mais ils adorent ghoster. Mes amis vont rencontrer quelqu’un, tomber amoureux et puis plus rien. Je leur dis d’aller plutôt à une soirée parce qu’en plus, c’est un travail à temps plein toutes ces applis de rencontre !

 

 

Tu as toujours rêvé de diriger tes propres clips et de produire un film pour ce premier album. Où en est ce projet ?

Je suis toujours en train de le poursuivre, mais j’ai besoin de temps. J’ai déjà commencé à écrire le film, alors peut-être au milieu de l’année prochaine, nous commencerons la pré-production.

 

Quelques recommendations péruviennes avant de se quitter ?

Je recommande vivement Susana Baca, elle est assez old school mais sa voix a su résonner avec la nouvelle génération parce qu’elle a une voix vintage tellement belle et unique. J’aime aussi ce groupe Dengue Dengue Dengue, qui fait de la musique tropicale électronique et qui est très arty avec des masques, c’est très beau. Mais ne me parle pas de salsa ou de Bad Bunny, je m’y connais pas du tout !