L’un est canadien natif de Montréal. L’autre, britannique issu de la petite ville d’Huntingdon. L’un puise sa sève dans le funk et la soul des eighties, quand l’autre, tâche de faire renaître tout un pan de la New wave dans une électro chic et teintée de luxe. Côté coéquipiers, on trouve Zombie Nation avec qui Tiga forme le duo ZZT, puissant hommage aux années rave alors qu’en face, Jamie Lidell opère lui avec Christian Vogel sous le pseudonyme de Super_Collider, toujours plus funkexperimental à chaque opus du tandem. Les deux rivaux du jour on la tchatche facile, un bagout démesuré, plutôt beaux gosses de surcroît et énormément de talent à revendre, dans un univers propre à chacun mais pourtant remplit d’accointances. Le combat qui s’annonce ici, s’apparente plus au choc des titans qu’au simple crêpage de chignon ! Alors get ready… LET’S FIGHT !
Jamie Lidell (ou Jim pour les intimes) se place en agitateur de conscience. Pas vraiment dans le sens politisé mais plutôt comme un touche-à-tout capable d’à peu près tout et n’importe quoi (incluant le meilleur, comme le pire). Ses débuts chez Warp Records marquent une attirance pour le chaos avec la sortie de Muddlin’ Gear en 2000, O.V.N.I musical à des kilomètres (quelques milliers…) du registre actuel du chanteur. Cependant sur cet album, quasiment inabordable si l’oreille n’est pas éduquée à ce genre de sonorités, on décèle des prémices du style soul, que Jamie amorce avec son deuxième opus Multiply. Sur ce second projet, c’est un Jamie Lidell transformé en soul man, balançant sa voix sur des titres empruntés à l’univers funk avec une pointe de modernisme, comparable à un Jay Kay en forme, qu’on le (re)découvre avec surprise tant le gouffre avec Muddlin Gear est immense. A tel point que le titre éponyme de l’album est utilisé par la série Grey’s Anatomy et que A Little Bit More lui fini dans des publicités pour les magasins Target. Avec quelques collaborateurs de renoms dont Gonzales, Jamie finit d’enterrer l’expérimental avec la sortie en 2008 de Jim, pièce maîtresse de la transformation du crooner. La funkitude à ses plus belles années résonne dans ces dix titres pleins d’âme et d’amour, servis par un Jamie Lidell plus R&B que jamais. Mention spéciale pour Figured Me Out aux synthés acérés redoutablement efficaces. Quand en 2010, alors qu’on croyait cette fraction totalement disparue, Jamie Lidell déterre ses machines pour revenir à ses premiers amours, sans pour autant oublier le chemin parcourut jusqu’ici. Au final, c’est une musique un peu plus brute de décoffrage que nous sert Lidell. Moins lisse mais surtout moins ronflante, elle laisse s’exprimer une hybridation qui aura mise du temps à trouver son équilibre. I Wanna Be Your Telephone fera le pont entre lui et Tiga qui viendra ajouter une touche un peu plus 90’s, quelques détails qui permettront au morceau d’atteindre l’apothéose. Le sommet de son art réside dans son dernier album, sobrement intitulé Jamie Lidell, qui reprend tous les codes énoncés ci-dessus pour définitivement sceller le style propre au bonhomme, perdu entre passé et présent.
Tiga lui, possède également un curriculum vitae long comme le bras. Le monde de la nuit lui ouvre ses portes très jeune puisque son père était lui aussi DJ, sans pour autant avoir une grande influence dans les futures productions du gamin. Initiateur d’une scène rave totalement sous-représentée chez nos cousins d’outre-atlantique, il a participé à l’émergence de la techno canadienne avec la création du Solstice, première rave party de la Belle Province en 1993. C’est mal connaître le monsieur que de penser qu’il allait s’en tenir à ces quelques faits d’armes, puisqu’il fonde trois ans plus tard le SONA, boîte d’after pour les technophiles en manque de sensation dans la métropole québécoise. Après la boîte, le festival et le magasin de disques (ah oui, il a aussi ouvert sa boutique, DNA Records), Tiga se lance dans la production avec Turbo Recordings qu’il créer en 1998. Parmis les artistes du label, on retrouve Chromeo, Gesaffelstein, Duke Dumont ou encore Jesper Dahlback… Remixeur de renom, il retravaille des morceaux des Scissors Sisters, Felix Da Housecat ou plus récemment Justice. Quand vient le temps du premier album solo, c’est les poches remplies de New Wave que Tiga se lance. Assisté des deux frères Dewaele, qu’on connaît mieux sous le nom de Soulwax, Tiga sort son premier projet intitulé Sexor, ode aux années 80 mais qui évite habilement de tomber dans le revival vide de sens. On y trouve des morceaux électro aux accents New Wave, définitivement tourné vers le futur, sublimés par la voix glamourous du très chic canadien. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, on retrouve les deux belges derrière son second opus ironiquement intitulé Ciao! qui marche dans les pas de son ainé, mêmes sonorités 80s et même goût du luxe mélangé à des sonorités un peu plus ravesque. Tiga confirme les attentes placées en lui avec cet album qui rencontre un succès critique international. La force de Tiga réside dans ce mariage heureux entre techno 90s et New Wave 80s, qui aurait pu facilement tomber dans l’ersatz électronique cheap sans grand intérêt. C’était sans compter sur le talent et les 30 ans de musique qui ont imprégnés et pour le meilleur, un désormais grand nom de la musique techno.
A l’heure des comptes, c’est Tiga qui remporte, non pas haut la main mais quand même avec une tête d’avance ce combat épique. Plus complet que son compère anglais Tiga, joue avec des codes presque ancestraux pour mieux se les réapproprier et sortir un son propre à son image, celle d’un chic type plein de bon sens.