Née sur les réseaux sociaux, la Kétamine Chic se propulse sur le devant de la scène mode. Devenue mainstream, cette tendance – qui à l’origine porte un message politique fort – reflète l’image de cette société capitaliste et consumériste.
Une tendance hybride aux multiples facettes
Cette nouvelle tendance avec un nom pour le moins questionnant, remet à l’ordre l’idée que l’on se fait du fashion « bon goût ». Née à Londres dans les soirées underground des clubs émergents tels que Swagchella, Yassification Party et Trash Pharmacy, la Kétamine Chic opte pour une esthétique inconventionnelle. Des pantalons parachutes, des lunettes de soleil enveloppantes, coupes mulet, pantalons taille basses, caleçons apparents façon sagging, des hauts seconde peau sous plusieurs couches de chemises oversize ou hoodies, des faux ongles ornés de strass, ou encore des chapeaux en peluches anthropomorphes, des pulls aérographes, de mini-jupes camouflages, des jeans pointus et des T-shirts Bob l’éponge définissent la Kétamine Chic. Cette tendance hybride est influencée par plusieurs sous-cultures notamment l’univers émo, les colliers de tatouages des années 90, les mini sacs des années 2000, les baskets etnies, les bottes Harajuku hirsute ainsi que du fameux filtre de chien Snapchat.
Selon Madmoizelle magazine, les figures de proue Kétamine Chic « accessoirisent souvent leurs accumulations vestimentaires étonnantes d’un sac et/ou de chaussures de maisons de luxe facilement reconnaissables pour les yeux avisés qui comprennent que leurs dégaines procèdent d’une réflexion stylistique et non d’un chaos vestimentaire dicté par la précarité ». La Kétamine Chic ne reflète donc pas une faute de goût, mais assume son look scrupuleusement étudié.
La tendance émerge sur les réseaux sociaux, et s’inspire du mouvement « Héroïne Chic » apparu dans les années 90. Contrairement à son prédécesseur, la Kétamine Chic reprend le nom d’une drogue, utilisée dans certains traitements médicaux liés aux troubles mentaux, comme la bipolarité ou la dépression. Bien qu’elle porte le nom d’une drogue, certains – adeptes de ce style – refusent de promouvoir l’usage de la drogue. D’ailleurs la Kétamine Chic produit d’autres micro-tendances : Namecore, Barbiecore, Weird Girl, Blokecore. Dans une interview pour Fashion Network Amélie Zimmerman (Alias Fashion Quiche ) considère que le milieu de « la mode, le cool a souvent été associé à l’usage de la drogue. Il est régulièrement lié à une attitude désabusée, mais est aussi symptomatique de l’état de la jeunesse qui peut en dire long sur notre époque. Il y a une forme de repli sur soi et de cynisme vis-à-vis du monde dans lequel on évolue ».
Kétamine Chic : l’art de revendiquer ou de se révolter à travers les vêtements
Elle a été fondée à partir d’un cercle de jeunes londoniens comme @guccisamo, @oatmilkandcodeine, @babydoublecup ayant cette même particularité : dénoncer la société capitaliste, tout en promouvant une nouvelle manière de consommer la mode. Leurs manières de s’habiller porte un message clair : adopter un style vestimentaire qui souhaite se libérer des codes conformistes.
« J’aborde la vie comme une blague. La façon dont nous consommons ne nous rendra jamais heureux, alors être capable de trouver l’ironie dans tout cela vous rendra éclairée » – @oatmilkandcodéine (Dazed)
Interrogés par le magazine Dazed au sujet de leurs styles vestimentaires Kétamine Chic, @guccisamo décrypte son style ainsi « J’aime acheter les choses les plus stupides que je puisse trouver dans les centres commerciaux parce que j’ai une fascination morbide pour la façon dont la culture de consommation est insensée et déroutante ». Pour @babydoublecup « je trouve des choses dans les vide- greniers et les marchés, j’aime juste porter des choses que je trouve amusantes. Je ne prête pas beaucoup d’attention à la mode sur les réseaux sociaux – regarder l’ère Tumblr et Coachella sur Youtube a probablement plus contribué à ma façon de m’habiller ». @oatmilkcodéine dépeint son style comme « Méta-ironique, Kétamine Chic, ambiance Pinterest », « A vrai dire, je n’y pense pas beaucoup, mais j’ai l’impression qu’il s’agit de rendre attrayant ce qui est traditionnellement considéré comme laid ». Nés au début des années 2000, ces jeunes adultes se réapproprient le genre de pièces mode que les millénials qualifieraient d’embarrassant comme les UGG, les casquettes COMME des FUCKDOWN, les produits Starbucks et les pyjamas Patrick l’étoile de mer (dans Bob l’éponge).
« J’aime acheter les choses les plus stupides que je puisse trouver dans les centres commerciaux parce que j’ai une fascination morbide pour les choses insensé et déroutante issus de la culture de la consommation » – @guccisamo (Dazed)
Amateur des soirées londoniennes énoncées plus haut, @Guccisamo partage son point de vue sur cessoirées qui sont des « scènes musicales où repose une sorte d’approche satirique, induite par la drogue de la mode. Une grande partie est née de la culture emo, où tout le monde est un paria de toute façon, donc les gens se sentent libres de s’habiller aussi bizarrement qu’ils le souhaitent ».
Victime de son succès, la Kétamine Chic se popularise malgré elle. Si à son origine elle pose une critique sur la société de consommation – et est issue de la classe moyenne –, elle trouve néanmoins un « écho auprès des adolescents ou des jeunes adultes, appartenant à une classe sociale aisée qui pratiquent des métiers perçus comme étant “cool” ». « DJ, mannequins, stylistes ou influenceurs rivalisent de créativité pour construire leurs looks », comme nous rapporte Fashion Network. Beaucoup d’influenceurs et stars internationales accélèrent sa reproduction. Leurs styles vestimentaires, sont influencés par cette mouvance de manière directe ou indirecte. Véritable niche, les réseaux sociaux popularisent à excès cette tendance, au point de perdre son message initial. Conséquence d’une société obsédée par l’image.
Une « normalisation » qui contraste avec cette idée de « voyager à travers les décharges de la dernière décennie, fouillant dans ses détritus pour trouver leurs bien autrefois aimés ». Il est question maintenant de « marquer une différence, et se démarquer des autres et de la norme, cette revendication passe forcément par les vêtements, car il n’y a pas plus efficace que la mode pour parler d’un sujet et revendiquer une image. Les personnes concernées se sentent généralement en décalage avec les valeurs culturelles hégémoniques », explique Amélie Zimmermann pour Fashion Network.
En France nous avons également des ambassadeurs influencés par la Kétamine Chic : terriblementntm, maoui2saintdenis, rubi pigeon, mv tiangue.
Des réseaux sociaux aux podiums des défilés
Après les réseaux sociaux la Kétamine Chic s’invite sur les podiums de défilés. @Guccisamo celui qui s’autoproclame « Kétamine Chic CEO », a rejoint la troupe de mannequins – notamment Bella Hadid et Hansi Schmidt – défilant pour Balenciaga, sous une tempête de neige artificielle, lors de la saison automne-hiver 2022-2023. De nombreux créateurs et maisons de luxes, ont repris les éléments stylistiques de la Kétamine Chic pour leurs collections. Glenn Martens directeur artistique de Diesel s’est inspiré de cette tendance, pour son vestiaire printemps-été 2023. Il a proposé des silhouettes en denim déchiré, effiloché ou encore délavé.
La marque Miu Miu dont la collection automne-hiver 2023-2024 trouve son originalité. La jupe se voit remplacée par la culotte en strass, qui se porte désormais par-dessus le collant. Eté 2022 Balenciaga sort son sac Trash Pouch représentant un faux sac poubelle. Alors fashion faux pas ou juste Kétamine Chic ?