Inspirée de l’Allemagne et du réel, GmbH était la bonne surprise avec sa présentation automne-hiver 2017 à l’occasion de la dernière Fashion Week homme à Paris. Après avoir visité les backstages de leur présentation, nous avons rencontré Serhat Isik et Benjamin Alexander Huseby. Ils ont fondé ensemble le collectif GmbH, dont le nom en français est l’équivalent de SARL (société à responsabilité limitée). Interview par Elisabeta Tudor.

Qu’est-ce que vous faisiez avant GmbH ? Comment vous vous êtes retrouvés à travailler ensemble ?
Serhat Isik : Je suis designer et auparavant j’ai travaillé pour différentes compagnies. Je travaillais sur mes projets personnels et j’ai fini ma première collection à Berlin.
Benjamin Alexander Huseby : J’ai travaillé plusieurs années comme photographe de mode. C’était un de mes rêves d’avoir ma propre marque, de fabriquer des vêtements et d’avoir un processus de création. Puis j’ai rencontré Serhat et il avait son studio où il était possible de donner vie à des idées de créateur. Au début, je suis arrivé avec plusieurs idées et il m’a aidé à les fabriquer en petite quantité, comme une collection capsule. On a tout simplement réalisé que nos envies étaient très similaires et on a décidé de lancer GmbH ensemble.

Pour beaucoup de jeunes designers et de marques indépendantes, c’est difficile de se lancer d’eux-même, c’est le bon moment pour travailler avec un partenaire créatif.
BA : Être deux fait vraiment la différence. Il n’y a pas seulement nous, mais aussi plusieurs amis impliqués dans le processus créatif.
SI : C’est comme ça que l’idée de collectif est arrivé. Beaucoup de gens nous on appelé ainsi, du coup on s’est habitué.
BA : Parfois on nous appelle un collectif, parfois une famille…
SI :  C’est littéralement comme une famille. Nos proches ont été intégrés à cause de leur talents ou de leur compétences. En fin de compte, ça c’est terminé en collectif.
BA : Les premiers à nous appeler collectif ont été Dazed. Finalement, c’est un mélange de tout ça : une groupe de gens travaillant de façon très libre. On n’a pas de rôle particulier ou de position spécifique. Tout le monde est libre dans sa contribution.
SI : Ça a été un vrai appui, on n’aura pas pu arriver à faire tout ça sans les autres.  
GMBH AW17 4 GMBH AW17 8 modzik Pourquoi le nom GmbH (“société à responsabilité limité” en français ndlr) ?
BA : On voulait un nom qui ne soit pas lié à nous et évoque l’anonymat, éloigné de cette célébration des personnalités dans la mode. Parfois, il y a trop d’attention portée sur les individus, pour en faire des célébrités, alors que d’autres préfèrent largement rester en retrait. En tant que photographe, je peux avoir une carapace, j’ai toujours souhaité rester en arrière plan et je crois que nous aimons tout les deux ça.

De manière générale, la mode change de plus en plus son système, il y a de moins en moins de designer star, de photographe star ou de top-model.
SI : C’est aussi parce que notre génération aime être impliquée de manière égale partout, avec ses capacités, sans que ça soit de manière prédéfinie.
BA : La célébration d’une seule personne commence à être dépassée. J’ai toujours travaillé comme ça, sans que ça soit focalisé sur ma personne. En tant qu’artiste, j’ai collaboré avec d’autres artistes et collectifs, notamment avec le Bernadette Corporation de New York. Tout est centré sur l’énergie et le travail produits à travers la collaboration. Pour le nom GmbH, évidemment si on est allemand, ça sonne un peu étrange car c’est lié au monde du travail. Par contre, si on vient d’ailleurs, on ne sait pas forcément de quoi il s’agit à la base. Quelque part, ça connecte les personnes à une certaine approche de l’Allemagne.
SI : On voulait être allemands, car on y vit, on vient de Berlin.

Cette approche de l’Allemagne, vous la comprenez comment ? Car Berlin est quand même à part par rapport au reste du pays.
SI : Berlin reste très allemande jusqu’à un certain point, même si on ne peut pas la comparer à d’autres villes allemandes sur beaucoup d’aspects. Un exemple : les gens parlent anglais là-bas.
BA : À Berlin, vous pouvez oublier que vous êtes en Allemagne, jusqu’à ce que vous ayez affaire à l’administration. Et là, vous réalisez que vous êtes bel et bien en Allemagne !
SI : On travaille aussi à partir de cette esthétique administrative et bureaucratique. Notre communiqué de presse reprenait la mise en page d’un document légal. Il s’agissait en fait d’un texte rédigé par un de nos ami, écrivain et philosophe, qui travaille sur des critiques d’art. Il a écrit ce texte existentialiste, qui est son interprétation du thème sur lequel nous travaillons, de manière abstraite et intéressante.  

Une vidéo publiée par GmbH (@serhat__isik) le

C’est une approche conflictuelle entre la liberté de l’esprit et quelque chose de plus corporate, lié au monde de l’entreprise. Pourquoi associer ces deux thèmes qui sont en contraste très fort ?
BA : On aime les contradictions, les contrastes et juxtapositions. Nous sommes tous les deux issu de l’immigration, mais nous aimons jouer avec cette culture allemande dans l’identité de notre marque et de notre design. Nous jouons sur les contrastes de matière, doux et rêche, brillant et rugueux, synthétique ou très naturel. Ou l’idée de quelque chose d’industriel et en même temps fait à la main. Certaines pièces sont très artisanales, faites à la main, une à une au studio. On s’est vraiment plongé dans cette idée d’opposition.

La nouvelle génération ne travaille plus sur des inspirations irréelles, des femmes ou des hommes qui n’existent pas. Il y a un nouveau mouvement créatif beaucoup plus proches du réel, de la rue, moins prétentieux et à l’encontre des structures de pouvoir.
BA : La vie de tous les jours est notre plus grande inspiration. Il suffit de marcher et tu vois un mec ou un détail qui va t’inspirer par exemple. À propos de notre collection, Vogue a parlé de “meta-mundane” (“meta-sans intérêt”) et c’est exactement ça. On traite ce qui est sans-intérêt, mais ça devient méta car c’est tellement sans-intérêt que ça devient autre chose.  

Comment vous travaillez tous les deux sur une collection ?
SI : En tant que designer mode, j’ai travaillé pour des marques françaises et allemandes, puis j’ai ouvert mon propre studio de consulting et de patron de conception. Comme j’ai tous les équipements pratiques et les machines, je suis plus dans la partie pratique de GmbH.
BA : On ne se contente pas d’être à la direction créative. D’ailleurs on n’utilise pas vraiment ce titre au sein de la compagnie, c’est comme ça que ça marche. Nous parlons ensemble des idées et on les modifie après. Du coup on se demande quel type de vêtements on veut, comment tout devient tout un look puis, on modifie et on réfléchit à comment angler tout ça.
SI : En fait on discute beaucoup ensemble.
BA : On parle, on dessine en partant du type de matériaux que nous trouvons, que ce soit du recyclage ou des stock inutilisés. On travaille en pensant à ce qui est déjà là, déjà réel. Parfois on a envie d’un truc précis comme un top biker en velours avec une fermeture éclair. La dureté du style biker avec la douceur du velours.
SI : Nos tâches se divisent sur des points évidents. Benjamin s’occupe des photos, moi des patrons. Mais nous sommes tous les deux également impliqués dans le processus.
BA : J’ai des idées précises et il sait comment faire pour les mettre en pratique. Nous discutons de comment les mettre en place, car je n’ai pas vraiment le savoir-faire technique concernant la fabrication. Bien sûr, je travaille sur la fabrication d’images, pas seulement de manière concrète comme photographe, mais aussi en construisant une identité. Nous travaillons tous les deux là-dessus.
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Quand on regarde cette collection, on trouve beaucoup d’essentiels : la chemise, la veste basique, le pull-over. Pourquoi vous avez choisi d’être aussi spécifique ? Pour le coup ça fait très “GmbH”, avec un côté un peu strict.
SI : Je dirais qu’on ne travaille pas vraiment de look, on ne part pas de rien mais de pièces qui nous intéressent déjà, qu’on a trouvé quelque part. Et puis, je suis assez fan du travail continu. Par exemple une veste de notre toute première collection, on l’a faite évoluer en une autre veste pour la nouvelle collection, elle est aussi devenue un sweatshirt. C’est tout un processus de recherche où les formes sont connectées, mais chaque vêtement reste distinct. Ce sont des vêtements qui sont très réels, sans vraiment de fantaisie. C’est pourquoi on ne commence pas vraiment par des tenues, on compose des vêtements puis on assemble tout et travaillons à partir de là.
BA : On voulait avoir cette continuité, pas commencer chaque nouvelle collection en faisant table rase. On est vraiment dans la construction de quelque chose.

Beaucoup de pièces sont unisexes.
SI : Toutes les pièces sont unisexes exceptées quelques unes.
BA : Certaines sont des pièces faites pour aller aux femmes, mais pas dans le sens habituel.

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C’est une façon éthique de travailler pour vous ? Beaucoup de designers sont fatigués de se renouveler.
BA : On ne voulait pas être coincé dans cette dynamique de changement, mais être dans un flot continu où on ajoute à chaque fois des pièces et des idées.
SI : Il y a plusieurs styles qui nous intéressent beaucoup et qu’on porte dans la vraie vie. Le bombers très taille haute porté avec un jogging, le genre de tenue avec laquelle n’importe quel jeune va en club. C’est un style réel pour nous, qui intéresse et qu’on a intégré dans notre casting.
BA : La moitié de nos modèles sont des amis à nous de Berlin. Certains sont DJs, d’autres travaillent avec nous à GmbH, comme notre studio manager et les filles qui ont fait le casting avec un autre mec. Et puis évidemment on a eu un peu de casting sauvage de Paris.

Quels sont vos projets pour la suite ?
BA : On va prendre des vacances en Norvège chez ma famille, pour faire du traîneau de chien avec des huskies. Ensuite je pense qu’on est juste très impatient de travailler sur la nouvelle collection et nos nouvelles idées. On en a tellement, on doit les explorer.