Comme chacun sait, le rap n’est pas le courant musical le plus gay-friendly que la Terre aie porté. Cependant, cela n’empêche pas les sentiments, et après le coming out de Frank Ocean, issu du très hardcore collectif Odd Future, une lueur d’espoir apparaît au bout du tunnel de trente ans d’homophobie primaire chez les MCs. En témoigne deux artistes de la scène queer-rap (mêlant culture vogue des années 90 et productions hip-hop futuristes) le talentueux Michael Quattlebaum aka Mykki Blanco confronté dans cette battle au non moins génial Zebra Katz.  

Artiste transformiste, Mykki Blanco tire son nom du double de la très sulfureuse Lil Kim, Kimmy Blanco. Mykki est le versant féminin du new-yorkais d’adoption Michael Quattlebaum, 27 ans, rappeur, poète, acteur et auteur. Le personnage prend forme en 2010 sur Youtube, dans des performances artistiques que livre Michael dans sa chambre en rappant devant sa webcam. Le touche-à-tout sort en 2011 un recueil de poésie qu’il joue sur scène en tant que Mykki Blanco, et après avoir pas mal tourné dans les clubs underground new-yorkais, sa carrière s’envole. Sur des prods aux accents Footwork (genre musical mélangeant ghetto-house de Chicago et beats complexes plus nord-européens), Mykki distille un rap cru digne des MCs les plus hardcore. Quattlebaum manie avec brio l’art de détourner les codes provocateurs du hip-hop pour se les réapproprier et les insuffler dans son personnage trans-genre. Autrement dit, un gros coup de pied dans la fourmilière machiste du rap game. Mykki Blanco continuera de faire parler d’elle l’année prochaine notamment comme mannequin pour la campagne Diesel réalisé par Nick Knight, ainsi que la préparation d’un premier album aux côtés de Tricky, Renaissance Man, Brenmar…A suivre de très très près.

Dans le même microcosme, on trouve Ojay Morgan a.k.a. Zebra Katz, 27 ans lui aussi et ancien chippendale, adoubé par Rick Owens après que le créateur ait choisi de passer son morceau Ima Read l’année dernière pour son défilé lors de la fashion week parisienne, morceau reprit ensuite par Azealia Banks lors de son showcase chez Karl Lagerfeld. Aujourd’hui signé sur Jeffrees, filiale de Mad Decent le label de Diplo, Zebra Katz n’avait rien prévu de cette gloire soudaine. Manager dans une entreprise de restauration à la sortie de ses études, Ojay prend le rap comme un hobbie entre pote, rien ne le prédestinant à vivre d’une carrière d’artiste. Le style envoûtant de Katz puise ses inspirations dans le voguing, à mi-chemin entre Grace Jones et Missy Elliott, ses instrus minimaliste de deep techno, ralenties jusqu’à ce qu’en sorte un beat hip-hop, collent parfaitement avec la voix grave et nonchalante du rappeur. S’il réfute le terme “queer rap” qu’il juge réducteur par rapport à ce qu’il aimerait faire passer à travers son art, Zebra Katz continue de faire bouger les lignes du monde misogyne et homophobe qu’est celui de la société en général en prônant l’usage de sa sexualité comme un outil plutôt que de laisser les autres s’en servir comme une arme.

Sur un point de vue purement musical, Zebra Katz sort gagnant. Les sonorités sont plus accessible que chez son homologue Mykki Blanco, dont l’univers reste un peu plus obscur si vous ne possédez pas une solide éducation ghetto rap. Sur le plan esthétique, Zebra Katz officie dans un style plus futuriste, sorte de néo-voguing, que son adversaire préférant lui la grosse artillerie drag. Mais les deux ont du talent à revendre et feront à coup sûr parler d’eux en 2014 tant ils apportent de la fraîcheur dans ce rap game parfois suffoquant.


 Par Roméo Husquin