À l’occasion de la sortie ce jeudi d’Alone With People, le premier EP de Wysteria, nous avons eu la chance de rencontrer cette toute jeune artiste ultra prometteuse.

 

 

Wysteria c’est un peu le cinquième élément. D’abord sa petite bouille fait penser à celle de Milla Jovovich dans le film, mais surtout cette jeune fille de vingt ans est surprenante d’intelligence fondamentale, de maturité et de sensibilité à « fleur » de peau. C’est le cas de le dire car son nom est directement inspiré de la Wisteria, la glycine en anglais. « Ce que j’aime bien avec les plantes c’est que ça symbolise aussi une évolution : soit le fait de grandir, de trop grandir parfois, soit le fait d’être trop arrosée, de se noyer un peu. Je trouve que la vie des plantes est hyper représentative de la vie qu’on peut avoir humainement aussi et j’ai voulu intégrer ça dans mon projet. La symbolique de la glycine, c’est le relationnel, l’amitié, le fait de créer des liens… Et j’ai trouvé que ça marchait super bien avec mes sujets de chansons parce que j’aime beaucoup parler du relationnel de manière détaillée, des passages de vie très spécifiques. »

 

« Musicalement, j’aime bien tout ce qui est un peu sombre. Même dans les paroles, je parle rarement de trucs réellement très joyeux. Si tu chiales à la fin de mon morceau, j’ai tout gagné (rires). »

 

Les titres des quatre morceaux de l’EP – Alone With People, A Mess Like This, Jasmine et Desert – ne baignent pas dans le champ lexical de la positivité… et pourtant, étrangement, ce sont des morceaux qui font du bien à l’âme, irréductiblement pleins d’espoir. « Musicalement, j’aime bien tout ce qui est un peu sombre. Même dans les paroles, je parle rarement de trucs réellement très joyeux. Si tu chiales à la fin de mon morceau, j’ai tout gagné (rires). J’ai pas non plus envie que t’écoutes l’EP et qu’après tu déprimes pendant deux jours. J’ai envie que t’écoutes l’EP, que tu déprimes pendant une heure et qu’après tu te dises “Ok je vais faire des trucs parce que ça m’a donné envie de faire ça, ça m’a donné envie de rappeler machin, ça m’a donné envie d’aller boire un verre avec machin, ça m’a donné envie de gérer ça sur ma vie “. »

On entend et on ressent une profondeur et une spiritualité assez surprenantes de la part d’une si jeune fille. Un parcours de vie particulier pour être si éveillée à seulement vingt ans. « J’ai vécu des choses très très très très dures, très très très très tôt, et d’autres pas aussi dures, mais dures quand même… Enfin, j’ai vécu plein de trucs assez négatifs, beaucoup de positifs aussi évidemment, mais beaucoup de négatifs qui m’ont un peu forgée.
Il y a beaucoup de choses que j’ai un peu terrées. Je suis restée dans le déni pendant très longtemps et j’avais fait un peu comme si ça n’existait pas en me disant “Non mais si j’y pense plus, ça sera plus là et je pourrais vivre une vie normale.” Mais en fait ça m’a un peu rattrapée avec le temps, notamment au niveau de mes relations justement, que ça soit avec les autres ou avec moi-même. Si t’essayes de construire un truc sur une base qui ne marche pas, ça ne va pas fonctionner. Il y a un moment où si tu veux construire une pyramide, tu ne vas pas mettre des cylindres en dessous. Du coup, je suis passée par la thérapie, par la discussion avec beaucoup de gens, par beaucoup d’introspection personnelle. Par exemple, pendant un an, tous les soirs avant de dormir, je prenais dix minutes où je me disais “OK, qu’est-ce que j’ai fait de bien, qu’est-ce que j’ai fait de pas bien, pourquoi j’ai flippé, pourquoi j’ai pas flippé”. Et du coup, je pense que c’est par ces réflexions-là, par ces introspections que j’arrive à mettre des mots dessus. Et c’est parce que j’ai eu ces réflexions-là que je me rends compte qu’il faut en parler, il faut y penser… Ça ne sert à rien de tout mettre sous le tapis. Plus tu mets des trucs sous le tapis, plus ça fait une bosse sur le tapis, et puis tu te pèteras la gueule dessus quand tu t’y attendras le moins. J’ai pensé que c’étaient des choses à partager à travers la musique. Mon but ce n’est pas forcément d’apporter une solution, c’est surtout que les gens se disent “Tiens, il serait peut-être temps d’y penser, il serait peut-être temps que j’y réfléchisse, il serait peut-être temps que je change les choses, il serait peut-être temps que j’essaye au moins de changer les choses.” »

Paris réussi. Musicalement, l’EP est enveloppant et invite à la méditation. Nappes vaporeuses, beats concis et voix chaude sont autant d’éléments qui nous embarquent immédiatement dans son univers. « C’est moi qui écris la chanson, ce sont mes paroles, c’est mon orchestration, c’est quasiment tout le temps mon arrangement, c’est ma chanson techniquement parce que c’est moi qui l’ai créée. Mais en vrai, si toi tu comprends un truc et que ça te touche, ça devient un peu ta chanson.
Je suis née d’un père musicien et d’une mère artiste peintre, illustratrice. J’ai baigné dans le milieu de la création depuis que je suis née. Chez mon père, il y avait plein plein plein d’instruments avec une seule règle : j’avais le droit de tout toucher, de tout essayer, mais de ne rien casser. Ça m’a vraiment donné envie de creuser un peu donc j’ai dit à mes parents très tôt que je voulais faire un instrument et, je sais plus pourquoi, mais j’ai commencé par le violon au conservatoire de Nancy dans lequel je suis restée dix ans. J’ai participé à la chorale du conservatoire pendant quatre ans puis j’ai continué le chant de moi-même puisque j’avais placé ma voix. Je ne sais plus exactement dans quel ordre mais au fur et à mesure j’ai rajouté l’alto, la guitare, le piano et le chant que j’ai toujours “entretenu” jusqu’au jour où je me suis vraiment penchée là-dessus et j’ai développé mon style.
Entre temps, j’ai rajouté le ukulélé, puis on m’a prêté une clarinette que j’ai toujours. Je sais souffler dedans, c’est déjà un bon début, et si je pouvais apprendre tous les instruments du monde, je le ferais, je pense. »

Les compositions de Wysteria empruntent autant à la pop moderne qu’au folk ou à l’électro, portées par une voix à la fois douce et profonde. Cette approche « fusion » fait qu’on la compare déjà régulièrement à Billy Eilish, Vashti Bunyan ou Lana Del Rey. « Rien n’est inspiré directement mais, en revanche, j’ai forcément des influences de ce que j’écoute puisque je passe ma vie à écouter de la musique. Billie Eilish, ça fait tellement longtemps que je l’écoute qu’il y a forcément des grosses influences, notamment au niveau des prods que je fais. Après, j’ai une triplette de groupes passion : Radiohead, Massive Attack et Archive. Je suis allée voir Archive en concert il n’y a pas longtemps d’ailleurs. C’était un rêve d’enfant réalisé, c’était génial. Dans les artistes auxquels je pense, il y a Billie Holiday, Nessa Barrett, The Do… Ah oui, une autre meuf qui s’appelle Billie Marten, qui n’est pas si connue que ça, et je trouve ça un peu dommage d’ailleurs. Elle fait des trucs tout doux, principalement guitare-voix. Elle a une voix super douce, super légère c’est une ambiance toute cosy, un peu réconfortante au coin du feu.»

Hier soir, Wysteria a partagé la scène de L’Autre Canal à Nancy avec trois autres projets présélectionnés, comme elle, pour Les iNOUïS du Printemps de Bourges. Son concert a envoûté le public et on espère la retrouver bientôt au 22 (la salle où se produisent Les iNOUïS). « Jusque-là je tournais en guitare-voix, toute seule, au milieu de la scène, sans bouger. Et là, du coup, il y a deux musiciens en plus qui sont super : Ranga, qui est guitariste et Romain qui fait tout ce qui est synthé et lancement de samples. Forcément ça donne plus de possibilités même au niveau de la mise en scène. Je ne suis pas stressée parce que ce que je me dis que, quand bien même mon projet ne serait pas retenu pour Les iNOUïS, on aura fait un live de fou. J’aurais été sur scène avec deux gars qui sont absolument géniaux, qui ont mis leur âme dans le projet et qui sont vraiment à fond. »

 

Texte Anne Vivien
Photos Frank Loriou