Doria gagne des galons à travers différents projets et featurings qui l’inscrivent au panthéon du rap français. Avec Petite fille, son nouvel album, la rappeuse déploie ses capacités vocales, comme dans le titre Allô, tout en conservant la formule qui fait son succès : le kickage pur et dur à la manière du puissant Émile Zola. Au-delà de l’aspect créatif, le projet s’inscrit dans une démarche d’introspection à travers laquelle Doria explore des sujets qui lui tiennent à cœur, comme celui des femmes battues.

 

 

Pourquoi as-tu décidé d’appeler ton nouvel album Petite fille ?

Parce qu’il représente bien qui je suis. Il y a « petite » qui signifie le côté enfantin, plein d’espoir… Et en même temps, dans l’album, je me confronte aux choses réelles de la vie. Cette dualité se retrouve aussi sur la pochette quand on me voit moi avec une petite lueur d’espoir dans un monde détruit. Donc, c’était ça un peu le sentiment que je voulais partager en l’appelant Petite fille. Et surtout le sentiment d’être une femme qui gardera toujours l’âme d’une petite fille.

 

Et quel a été ton processus créatif ?

Il y a eu beaucoup d’imprévus. En fait, au départ, j’avais un album fini depuis plusieurs mois. Et au dernier moment, je me suis dit : « Non, en fait, ce n’est pas ça ! Il me manque un truc ! » Et je pense que j’avais trop écouté les titres, je les avais trop consommés avant qu’ils ne sortent. Je n’avais pas envie de rentrer dans un truc trop lyrique, avec des prods beaucoup trop douces. Dans les sonorités, c’était beaucoup plus mature, et en fait, il me manquait ce côté foufou que j’aime exploiter. Je suis donc repartie en studio une semaine à peu près avant de remettre les bandes. Et voilà.

 

Tu as tout refait ou tu as juste ajouté quelques titres ?

J’ai refait huit titres. Il y avait des titres qui étaient déjà là et qui, pour moi, ne pouvaient pas bouger. Des titres comme SOS et Lella. Dans Lella, je me caricature comme si je me détestais, et dans SOS, j’aborde une cause qui me tient vraiment à cœur et dont j’avais envie de parler, celle des femmes battues. Parce que c’est triste qu’à notre époque ça existe encore et que peu de monde en parle. Donc, j’avais envie de mélanger des sujets lourds comme des sujets un peu plus légers. Et je pense avoir trouvé mon équilibre dans ce projet-là.

 

«  [Petite fille] C’est très éclectique, mais en même temps, dans une seule et même direction. Un seul ADN avec différentes façons d’exprimer cet ADN. »

 

Et en termes de sonorités, quelles ont été tes inspirations musicales pour ce projet ?

On va dire que je n’ai pas eu forcément d’inspiration sur le coup, mais que j’avais envie de mélanger plusieurs sonorités. J’écoute beaucoup de rap français comme Ninho ou Booba, en même temps, je voulais apporter des touches un peu plus R&B et hip-hop américain. J’aime beaucoup Kanye et Travis par exemple… J’avais envie aussi de belles chansons avec du piano voix, comme du Adèle que j’ai beaucoup écoutée à 14, 15 ans.

 

Donc c’est un peu un panel de ce que t’aimes et de ce que tu sais faire ?

Franchement, c’est très éclectique, mais en même temps, dans une seule et même direction. Un seul ADN avec différentes façons d’exprimer cet ADN.

 

 

Comment tu choisis tes collaborations ?

C’est vraiment au feeling. J’ai rencontré des gens au studio, j’ai entendu certains projets et je me suis dit : « C’est super cool, je vais envoyer un message ». Ou des connexions qui ont été faites par l’intermédiaire de personnes que je connais. Parfois, je suis en studio, je travaille sur un mix, il y a un gars qui travaille à côté, je ne le connais pas, c’est un producteur, mais j’aime ce qu’il faut donc je lui dis : « Écoute, tu peux me le donner ? » En fin de compte, c’est que du hasard et du feeling.

 

En parlant de collaborations, tu as fait un feat. avec Kay The Prodigy. Quel est ton positionnement sur la condition des femmes dans le rap en France ?

Les médias et le public en général laissent plus de place aux femmes. Je pense qu’au-delà du fait qu’on entende souvent qu’il n’y a pas de filles dans le milieu, il y en a ! C’est juste que les gens n’étaient pas prêts à laisser les femmes intervenir. Et tu vois, il y a ce truc qui revient souvent : « Putain, t’es forte pour une meuf ! » On est sous-estimées. Et puis il y a aussi l’effet « post-Diams ». Elle était tellement forte, c’était la boss ! Donc, après, c’était plus compliqué de laisser intervenir d’autres personnes et je pense qu’aujourd’hui les gens commencent à accepter qu’il y ait d’autres nanas qui soient là.

 

« (…) une femme ne peut pas parler de rue, de vie, de vécu… »

 

Et puis je pense qu’il y a beaucoup de personnes dans le milieu, notamment les hommes, qui ont estimé qu’une rappeuse devait être une Diam’s. Une femme qui fait du rap ne peut pas avoir une identité autre que celle mise en avant par Diam’s.

Oui, en effet. Mais je pense aussi que c’est une question d’industrie et de société au-delà d’une question de qualité musicale. C’est plutôt la vision que les gens ont de la femme. Pour eux, « Ouais, c’est cool, mais t’es une meuf et le rap c’est un milieu de mec ».

 

Si on va encore plus loin, dans le milieu de la musique en général…

Et encore, car dans la variété, c’est très différent, une meuf va avoir plus de facilité que dans le rap. Parce que pour eux le rap, c’est la rue, c’est le vécu, donc tu vas entendre des trucs du genre « T’es une meuf, mais t’as vécu quoi ? »

 

Une femme dans la variété ou la pop aura plus de facilité, mais elle n’aura pas pour autant plus de mainmise sur sa carrière et sur ses choix.

Oui, oui, je suis d’accord. Ça va être du driving en mode « Fais ça, mets-toi comme ça, etc. » Mais on va dire que le public aura plus de facilité à l’accepter. « Ouais, c’est cool, elle fait des chansons d’amour », en fait elle a le droit d’en parler, elle peut parler d’amour parce que c’est une femme. Mais une femme ne peut pas parler de rue, de vie, de vécu…

 

Mais y a cette dichotomie parce que même quand tu vas parler de rue, un mec ne va pas vouloir s’identifier…

Bien sûr ! Tu vas entendre : « Elle est qui ? Elle croit qu’elle a fait quoi ? » 

 

Comment la rencontre s’est faite avec Kay justement ?

Je scrollais sur insta, et là, je vois une meuf qui est confiante et qui s’assume. À partir de là, je lui ai envoyé un message : « Qu’est-ce que tu fais comme musique ? Est-ce que t’es chaud qu’on se voie ? Qu’on bosse un truc ensemble ? » Ça s’est fait très naturellement.

 

Il y a d’autres femmes avec lesquelles tu aimerais collaborer ?

Shay, j’aimerais beaucoup collaborer avec elle, je m’entends très bien avec elle ! Lala &ce aussi j’aime bien ce qu’elle fait, pourquoi pas ?

 

Revenons sur Petite fille. C’est un projet plutôt introspectif, qu’est-ce que tu as voulu raconter ?

Que la vie, c’est compliqué, c’est dur, mais au final ça fait de nous qui on est. Ça nous forme, ça nous forge ! Il faut toujours garder espoir peu importe ce que l’on a vécu, ou ce qui nous a traumatisé. Il faut s’en servir plus comme une force. Je pense que c’est dans la continuité de tout ce que j’ai pu dire avant, mais de manière un peu plus poétique.

 

Dans Petite fille, quel est le titre dont tu es la plus fière ?

Je dirai SOS parce que c’est un sujet dur à aborder. Mais c’était comme un exercice et au final, je suis très satisfaite.

 

Tu y explores davantage ta voix, t’as toujours chanté ?

Ouais toujours. J’ai chanté avant de rapper.

 

Un projet 100 % chant serait envisageable pour toi ?

Ouais franchement pourquoi pas (rires) !

 

Comment te prépares-tu avant de monter sur scène ?

Je parle avec personne. En fait, je suis cool, et dix minutes avant de monter sur scène, il ne faut pas me parler !

 

T’as encore le trac aujourd’hui ?

Je suis stressée, mais c’est un bon stress. Je préfère me concentrer sur moi, je vais peut-être réécouter un titre que je viens d’intégrer à mon show. Et puis une fois que t’es lancé, t’es lancé.

 

D’ailleurs, t’es plutôt scène ou studio ?

Les deux. Parfois tu fais des sons en studios en te disant que ça va être la folie sur scène, et ce n’est pas ça ! Et inversement.

 

Quelle serait ta tenue de scène idéale ?

Un cargo, une belle paire de basket, un couvre-chef, parce que mes cheveux gonflent (rires), et soit un hoodie à zip soit un beau t-shirt ou un body. Il faut que je sois à l’aise.

 

Quel est ton rapport à la mode en tant qu’artiste ?

J’ai toujours kiffé la mode. Je pense que j’ai une maladie avec les baskets (rires) ! Et mon rapport à la mode évolue tout le temps. Je ne suis pas quelqu’un qui va être fermé à des styles, je me prête toujours au jeu. Tu vois là, j’ai pu mettre des trucs sur lesquels je n’avais pas forcément bloqué dessus et au final une fois portés ce n’est pas la même chose avec la forme de ton corps, etc. Et puis avant j’étais en surpoids donc la mode n’était pas accessible comme ça l’est aujourd’hui. Mais je trouve que maintenant il y a de plus en plus de marques qui vont faire des efforts et qui vont penser à tout le monde et je trouve ça franchement trop trop lourd ! Parce que moi, je n’ai pas eu cette chance de pouvoir me saper comme je voulais, y avait des trucs qui me faisaient kiffer, mais qui s’arrêtaient au 42.

 

Tu as une styliste ?

Ouais, j’ai une styliste avec qui je bosse fréquemment. J’ai une styliste référente et à côté, j’ai plein d’autres stylistes.

 

Comment vous bossez ensemble ?

Je lui envoi des moods : « Ça, j’aime trop, ça, je kiffe, ça, je ne sais pas quelle marque elle est, est-ce que tu peux la trouver ? » Et elle est très branchée over-size donc elle va souvent trouver des pièces un peu farfelues que je ne vais pas voir sur tout le monde. On bosse plutôt à base de planches. Et au final, je trouve toujours mon bonheur dans ce qu’elle m’apporte.

 

Et comment tu décrirais ton style ?

Street chic, je dirais. J’aime bien les trucs classe, j’aime bien les trucs près du corps mais, je n’aime pas les trucs dénudés. C’est une question d’être à l’aise dans son corps, il y a des trucs que je sais qui ne me vont pas, ce n’est pas une question de « Ouais, je n’ai pas envie de montrer », c’est juste que je n’aime pas. Donc oui je dirais street chic, casual, denim… J’aime bien les trucs cool mais qui vont avoir du style, j’aime les choses drippées, j’aime le flow ! J’aime les belles paires de baskets, j’aime bien sortir des couleurs !

 

D’ailleurs qu’as-tu pensé du shooting d’aujourd’hui ?

Franchement, c’était mortel ! J’ai kiffé les tenues, le photographe était super, les photos sont trop belles !

 

C’était laquelle ta tenue préférée ?

J’ai beaucoup aimé la KenzoKenzo, c’est une marque que je kiffe de base. Le petit haut avec l’espèce de capuche aussi, j’aime beaucoup ce côté Kanye… Le petit gilet vert pomme, trop beau ! C’est le genre de truc que je peux porter tout l’été avec un maillot de bain en dessous et des claquettes, c’est le truc qui t’habille !

 

Pour finir, quel conseil tu aurais aimé donner à la petite fille Doria ?

De rester comme elle est et de ne pas baisser les bras. J’ai jamais baissé les bras, mais de m’auto-motiver. Me dire que « Ouais, même si un malheur t’arrive, c’est pour le meilleur ! »

 

Doria en concert :

 

 

Petite fille disponible via Sony Music France 

Texte Samantha Kiangala

Photos Mathieu Baumer

Stylisme Barbara Boucard

MUA & Hair Karine Marsac