Deux ans après le poétique Nice To Meet U, la douce et espiègle Pi Ja Ma dévoile enfin son nouvel album, Seule sous ma frange. Accro au romantisme des vieux films poussiéreux à l’eau de rose, elle nous livre la bande son magnifiée de sa vie, rythmée d’histoires d’amour ratées, d’incertitudes, et des joies de la solitude. 

Tantôt douce, tantôt farfelue, tantôt seule dans l’immensité du monde, mais également illustratrice et compositrice ; l’œuvre révèle la pluralité de Pi Ja Ma. Album personnel et complet, Seule sous ma frange témoigne des douces contradictions de l’artiste, qui, accablée par le temps lui filant entre les doigts, est bien déterminée à tout expérimenter pour s’accomplir.

Entrevue introspective avec Pi Ja Ma. Au programme : risibles amours, drames personnels, fantasmes et drôleries.

Interview Pi Ja Ma sortie Seule sous ma frange Modzik

Il s’est passé 2 ans depuis Nice To Meet U. J’ai cru comprendre que c’est la première fois que tu te lances dans l’écriture et la composition. Qu’est ce qui t’a motivé à passer ces étapes ?

Oui, avant ça je n’avais jamais vraiment composé et j’avais écrit quelques phrases sur le premier album. Ça ne m’intéressait pas trop, puis ça me faisait peur, parce que j’avais l’impression que ce n’était pas mon talent. Axel, avec qui je travaille depuis toujours, ça fait vingt ans qu’il fait ça. Il retranscrivait en chanson ce qu’on se disait. Puis, il y a eu un moment où j’ai essayé. Même si ça me terrorisait, j’ai fini par envoyer des maquettes à des amis qui m’ont énormément encouragés. Au fur et à mesure, je me suis rendue compte que j’adorais ça. Écrire en français aussi, je n’avais jamais exploré cette piste donc j’y suis allée à fond. Plus j’avance, plus j’ai envie d’être indépendante en musique et me rapprocher de ce que j’aime vraiment. 

Est-ce que tu penses que ça donne une nouvelle dimension à ton projet ?

Dans le premier album, je me suis vachement amusée mais sur celui-là, ça parle vraiment de moi. Il n’y a plus vraiment de différences entre Pi Ja Ma et moi, Pauline. Et je le ressens en interview en ce moment. Quand j’en ressors, je suis un peu remuée parce que je parle de sujets très forts, qui sont importants pour moi et me touchent beaucoup. Je me dis « Attends, je viens de parler des 4 trucs les plus importants dans ma vie » et je les ai mis dans un album. Tout le monde peut les entendre et tout le monde peut y répondre. Il y a une dimension beaucoup plus émotionnelle dans cet album-là. 

Ce projet te rend presque vulnérable en fait ?

Oui, puis j’ai l’impression qu’il a été créé à la suite de tout ce que je construis depuis des années, sur les réseaux sociaux ou avec mes dessins. Ce qui me fait rire et me fait du bien, c’est que je ne mets aucune barrière. Je me montre sans aucun masque sur mes réseaux sociaux. Je peux prendre la parole après avoir fait une immense crise d’angoisse, ou parler de ma dernière relation amoureuse un peu foireuse. C’est ce qui me connecte le plus aux gens. Et ça me permet de faire de l’humour et de la poésie. Je me suis dit que je pouvais faire un album dans cette lignée là, sans me prendre des tomates. Quand je rencontre des gens qui me disent qu’ils aiment ce que je fais, ça englobe mes blagues pourries sur Instagram mais également l’album. Pour eux, ça forme un tout logique et ça, c’était ma mission. 

La manière dont tu te confies sur les réseaux, c’était le point de départ de cet album ?

Oui, c’était la liberté totale en fait. Quand je rencontre quelqu’un, j’ai toujours besoin d’avoir un rapport super honnête, en lui posant pleins de questions, en faisant des blagues. Ça me permet de désamorcer le monde extérieur, qui me fait peur en fait. Dans ma musique, j’avais envie de retrouver ça. Dans certains morceaux par exemple, leur structure est super chelou mais moi, ça me parlait. Quand je le réécoute aujourd’hui, j’ai envie de ne rien enlever. Comme tout a été une folie, je ne peux pas regretter.

Justement quand tu parles de liberté, ça me fait penser au titre Bisou. Il y a une question que je voulais te poser : Comment on se remet d’une déception amoureuse ? Parce que dans la tracklist du projet, on passe de Should I Call U Baby à Bisou. Est-ce qu’il faut se bourrer la gueule et embrasser un inconnu ?

C’est marrant parce que ces chansons ont été un peu écrites à la même période. Je passe très rapidement de déception amoureuse à très amoureuse ; parfois les deux en même temps, parfois j’ai plusieurs histoires à la fois. Dans mes chansons, il y a ce truc où je me plains d’être toute seule, mais être toute seule c’est aussi la liberté. J’ai mis longtemps à apprécier être toute seule, donc maintenant je me demande s’il faut que je me remette en couple ou pas. Ce sont des questions que je me pose quotidiennement, donc l’album est teinté d’histoires d’amour et de ruptures. Mais en même temps dans ces histoires, il n’y a pas ce truc d’amour dévolu.

En fait, je n’ai jamais vraiment été amoureuse. C’est juste que j’adore les films romantiques et je me crois dedans en continu. Toujours avec humour, dans Bisou, je voulais dire que tu peux embrasser un inconnu un soir, et que ça peut compter. C’est une petite histoire d’amour, qui a compté 24 heures.  

Interview Pi Ja Ma Seule sous ma frange pour ModzikTu dis quelque chose d’intéressant sur le morceau Seule sous ma frange : « Tomber amoureu.se.x, s’ennuyer, vouloir être seul.e et puis finalement avoir peur de finir seul ». Est-ce qu’il n’y aurait pas une forme de fatalisme ? Est-ce qu’on finit toujours par s’ennuyer dans une relation ? 

En fait, je me pose tellement de questions que je n’arrive pas à vivre les choses. Et la vie est tellement courte pour tout expérimenter que je n’ai pas le temps de me focaliser sur une seule chose, un seul métier, un seul mec. J’ai envie de tout faire, de tout expérimenter, de tout vivre dans la même journée. S’ennuyer à deux, j’ai adoré ça ; m’ennuyer toute seule, j’aime bien ça mais s’ennuyer avec une personne dont je ne suis pas amoureuse, c’est l’une de mes phobies. Il y a aussi un autre truc qui m’effraie, c’est finir seule. Je n’arrive jamais à être satisfaite, à rester avec quelqu’un. Mais en même temps, je vois des femmes plus âgées qui sont seules et qui le vivent bien, donc je me dis que ça ne doit pas être si terrible.

Entre temps, pendant l’écriture de cet album, j’ai connu l’amour des chiens car j’ai un chien maintenant. Ça ne vaut peut-être pas l’amour romantique, mais ça t’apporte tellement de bonheur et de drôlerie au quotidien, que je me dis qu’au pire je serais une vieille mamie avec…quatre chiens !

Pourquoi lui avoir donné autant d’importance au sein de ton album d’ailleurs ?

Elle est un peu partout, sur ma couverture d’album, dans mon prochain clip. Je n’arrive plus à la sortir de ma vie, elle est même dans mon travail maintenant. Evidemment sur le prochain album, il y aura des chansons sur Sasha…au moins une !

Tu as même mis des petits aboiements de chien dans ton titre “Nouveau canapé” ! 

Oui, mais de toute façon je suis obsédée par les chiens depuis que je suis petite. Comme je suis illustratrice, j’ai toujours dessiné des chiens. En fait, j’ai toujours dessiné des filles et des chiens. C’était mon rêve quelque part. Sasha est rentrée dans ma vie à un moment où j’étais en grosse dépression. C’était cet été. Quand on l’a adopté, je ne pensais plus à ma dépression, j’avais un truc sur lequel me concentrer ; son bien-être. J’ai quand même dû avoir un accompagnement médical, mais elle m’a motivée à me lever le matin. C’est une espèce de bout de vie qui m’a dit “mais viens, c’est chouette la vie !”. 

La solitude, c’est un thème assez récurrent dans ton album, c’est même une honte sur America. Comment tu la vis toi ?

A l’image de l’album, c’est vraiment un rapport amour-haine, qui change tout le temps. C’est un sujet qui m’obsède tellement que j’ai décidé d’en faire une BD après cet album. Je vais partir, pour la première fois, en voyage toute seule pour la faire. En fait, depuis que j’habite à Paris, j’ai eu ce déclic assez violent de me rendre compte qu’il y a une espèce de silence quand tu habites seule. Quand j’ai découvert cette solitude-là, ça m’a complètement terrorisé, je n’arrivais plus à dormir. En allant chez un psy, j’ai compris que ce n’était pas la solitude mais le sentiment d’être abandonnée. Une fois que j’ai analysé ça, j’ai compris que les moments de solitude choisis, je les adorais et j’en avais besoin. Et en même temps, les moments de solitude contraints, c’est des moments où je panique car j’ai des sensations d’abandon. J’ai eu besoin de beaucoup en parler, en chanson puis bientôt en BD, pour exorciser ce mal.

J’ai l’impression que ce projet, c’est un peu ta psychanalyse. Tous les sujets que tu abordes viennent de discussions et questionnements que tu as eu lorsque tu te faisais accompagner par un psychiatre et un psychologue. Je trouve ça super beau de voir que toutes ces séances ont donné le fruit de cet album.

Merci! En vrai, je devrais payer plus cher ma psy parce que j’extirpe beaucoup de ces séances. Et je pense qu’on devrait tous aller consulter un psy, parce qu’on peut avoir pleins de révélations, comprendre pleins de choses et moins se punir. 

Interview Pi Ja Ma Modzik Seule sous ma frange

Par rapport à tes chansons qui parlent d’amour, elles sont souvent tristes – J’ai oublié, Should I Call U Baby. Quand elles sont heureuses, elles sont souvent courtes – Bisou, Destination l’amour, qui me fait penser à un amour de vacances. Pourquoi ? L’amour, c’est éphémère selon toi ?

C’est drôle parce que sur Destination l’amour et J’ai oublié, je parle du même garçon. C’est un garçon avec qui je suis partie en vacances et de qui je suis tombée amoureuse. Puis j’ai découvert que c’était un garçon assez toxique, qui m’a dit au bout de deux semaines que j’étais en surpoids, et m’a critiqué de toute part. Je sais qu’il y a pleins de gens qui tombent amoureux de personnes vampiriques comme ça, mais tu restes parce que tu crois que tu dois réussir à convaincre la personne. 

Mais c’est fou, ton album c’est un peu le film A Tous les garçons que j’ai aimés

Ce qui est drôle c’est que le nombre de fois où j’ai souffert par amour se résume à 2 fois, alors que le nombre de fois où j’ai quitté des mecs, parce que je n’étais pas amoureuse, c’est beaucoup plus que ça. J’ai beaucoup plus été la personne qui fait du mal, alors que les deux fois où on m’a blessé, j’en ai fait des trucs énormes, je t’en fais des chansons et tout ! 

C’est un peu une lettre pour eux finalement, ce projet.

C’est ça. Et c’est même le cas dans le morceau La Forêt, qui est une chanson de fiction. Il y a cette métaphore où je rencontre quelqu’un, un garçon, qui me raconte la vie, qui me fait oublier mes problèmes et avec qui je finis par m’envoler loin. Il y a un truc un peu Miyazaki dans cette chanson. Ce n’est pas un garçon que j’ai aimé, mais c’est un peu un fantasme, une fantaisie imaginaire. 

La Forêt c’est mon morceau préféré, et j’avais espoir qu’il ne parle pas d’un garçon mais que ce petit être magique dont il est question, ce soit une projection de notre voix intérieure qui finit par nous guider.

Il y a pleins d’interprétations possibles ! Dans mes prochains albums, il y aura certainement quelque chose de moins centré sur les garçons. Mais j’avoue que c’est l’une de mes addictions. 

Je lisais une interview où tu disais que le projet Pi Ja Ma “repose beaucoup sur le second degré”. Comment tu fais pour aborder des thèmes aussi sérieux et douloureux que les relations toxiques dans J’ai oublié ou le suicide dans Conquête ?

C’est marrant parce que quand tu fais un album, tu te rends compte à la fin de pourquoi tu l’as fait et comment tu l’as fait. Souvent, ça sort de toi de manière urgente. Par exemple, la chanson Conquête, les gens pourraient penser que ça parle de la vie en général. Mais j’insiste pour dire que ça parle du suicide avec des métaphores de jeu vidéo parce que je n’ai pas envie que ce soit un sujet tabou. C’est une chanson d’espoir aussi, parce que je dis “je ne veux pas abandonner la partie comme ça, ça vient juste de commencer”. Je sais que quand tu es mal ou en dépression, il n’y a pas grand chose qui te fait du bien mais s’il y a une personne qui peut interpréter cette chanson en se disant “il faut que je tienne le coup” alors c’est important.

Ma manière de retranscrire tout ça, c’est soit de façon fantastique ou bien humoristique. C’est ce que je fais quand je poste parfois sur mes réseaux des petites BD où je parle de sujets intenses avec des personnages plutôt mignons. Le fait de faire de l’humour ou de la poésie, c’est une carapace mais j’ai l’impression que ça parle à tout le monde. 

J’aime bien le fait qu’on termine l’album sur Les questions où tu conclus que la vie c’est un peu n’importe quoi. Nos drames personnels, on en ferait pas toute une montagne finalement ? 

En fait, c’est surtout qu’encore une fois c’est inspiré d’un truc très réel. J’ai grandi avec ma mère, je n’étais pas très proche de mon père. J’étais un peu blessée de pas avoir pu grandir avec mon père. Alors un jour, on a décidé de se voir et de déjeuner ensemble à peu près toutes les semaines. Plus on se voyait, plus on se rendait compte qu’on se ressemblait. Et je lui posais pleins de questions. J’arrivais avec mes drames de la semaine et mon père rigolait en me disant “Tu es beaucoup trop angoissée, arrête de te prendre la tête !”. Il a désamorcé tous mes dramas, il faisait beaucoup de blagues. Il me ressemble beaucoup sur ça aussi, lui aussi il est très angoissé. Mais depuis que je suis petite, j’ai la vision que les parents c’est un peu ton refuge sensé te rassurer. Même si eux savent que c’est la merde. Ils sont toujours cette voix réconfortante.

J’ai donc proposé à mon père d’être sur l’album, il était super touché, super content. Il est venu en studio avec ses habits de bureau, c’était marrant. On a enregistré en une heure. La prochaine étape, c’est de le convaincre de monter sur scène avec moi à la release party du disque ! C’est la prochaine étape de sa nouvelle carrière de star. 

Fruit de ses névroses, qu’elle n’hésite pas à partager sur ses réseaux, Seule sous ma frange est un condensé romanesque des peurs et des addictions qui tourmentent la vie de la chanteuse. C’est à cœur ouvert que Pi Ja Ma se livre au fil des productions pittoresques, aux allures de comédies musicales. Teinté de nostalgie VHS, l’album sort ce vendredi 20 mai 2022. Il est accompagné d’un livre pour enfant Sous les paupières, créé en collaboration avec Pomme