Nous avions envie de rencontrer Manon David Club, d’une part, car nous avons adoré son EP Wonder Jazz et d’autre part, car son esthétique nous avait vivement intéressé. C’est donc dans un bistrot du coin que nous l’avons retrouvée pour parler musique, couture et mode.

 

 

 

Manon David Club est un trio : Manon David au chant et à la basse, Vincent Audusseau aux claviers et Charly Saulay à la batterie et aux percussions. Manon, autrice-compositrice, est la pilote du trio et des 7 titres mais aussi désigner. Tout a commencé à l’adolescence. « Mes parents m’ont offert une machine à coudre quand j’étais ado. J’ai bidouillé comme ça au début. J’ai dû leur dire que ça pourrait me parler ils l’ont fait et puis après j’ai vraiment geeké. Je n’ai jamais abandonné. J’ai toujours vraiment adoré me costumer que ce soit avec du tissu ou autre chose. Ca, c’est présent depuis longtemps. Ça fait parti vraiment de mon activité, on va dire. Je l’ai donc complètement intégré aussi à la musique, prétexte aussi à faire des costumes et à les montrer. J’adore ça. J’ai fait plein de trucs pour le groupe Obscur (son premier groupe NDLA) », ce qui est concrétisé en 2019, par l’obtention de son CAP.

 

 

Moment propice pour lui demander quels créateurs l’inspirent. « Je suis très fan de Kansai Yamamoto, assez connu pour ses collaborations avec Bowie. Les couleurs franches et vives, les énormes motifs, le matelassage, j’aime tout ! Je trouve ses créations pleines de vie, de liberté et de joie. La première collection de Charles de Vilmorin, qui m’a ramenée à ces références, m’a aussi particulièrement plu. Je pense aussi à Schiaparelli en général. Historiquement, les anciennes collections d’Elsa Schiaparelli(elle a collaboré avec des artistes comme Dalí, Cocteau, Man Ray et Giacometti, NDLA) sont à couper le souffle et je trouve que celles de Daniel Roseberry (Designer de Schiaparelli depuis 2019, a habillé Beyoncé, Kim Kardashian et Lady Gaga, NDLA) tiennent la promesse, comme par exemple les printemps-été 2021 et 2022. Du noir, du doré, des gris-gris et des symboles, mes anciennes amours obscuriennes ! Et puis je pourrais ajouter Balmain, pour tout le travail autour de l’armure, de la broderie, du cannage et de la passementerie. »

 

g à dte : © Tajima Kazunal/ Bowie Archive – Charles de Vilmorin – Schiaparelli by Daniel Roseberry – Elsa Schiaparelli, Manteau du soir (automne 1937) © Philadelphia Museum of Art

 

On peut noter que ces designers ont tous travaillé avec des artistes musicaux. « Je me suis toujours dit que le centre était la musique. Après, on l’habillait en terme de scéno, de costume. Ça prenait du sens avec les concerts où je parlais beaucoup d’armure. Le costume est une façon de mettre en valeur la musique. » La musique, Manon, ne l’a pas apprivoisée, elle l’a appris en commençant par la guitare classique au Conservatoire de Saint Nazaire, d’où elle est originaire. « Au conservatoire de Saint-Nazaire t’es amené à faire différents trucs. J’avais un peu essayé la basse mais, je n’avais pas creusé vraiment. C’est complètement une autre perspective quand tu fais de la guitare classique, tu joues seul c’est une vision de la musique très étrange. Tu n’as pas cette conscience que la musique est faite pour être jouée avec d’autres gens. C’est arrivé très tard dans ma vie. » C’est à Rennes qu’elle rencontre les membres qui l’ont entouré dans le groupe Obscur et notamment Johan Dargel et Quentin Bodin, bassistes tous les deux et propriétaires du studio Soupape & Turbo, chez qui elle a enregistré une bonne partie de Wonder Jazz et qui lui ont donné envie de se mettre vraiment à la basse. Ce qui nous donne l’occasion d’échanger autour de ses goûts musicaux et de son amour immodéré pour Marcus Miller, ancien bassiste de Miles Davis.

 

https://youtu.be/cAZK3dbKLtI?si=K6BBAKTol6HSGdzV

 

« Ma culture musicale s’est faite par la discothèque de mes parents, j’ai tout écouté. Mon premier groupe préféré était The Police, que j’écoutais sur mon Walkman. le côté chorus des guitares, un son quand même typique, m’a marqué ; c’est un peu le truc auquel je reviens tout le temps. » Il y eut aussi Kraftwerk et Neil Young… Toute une culture musicale en décalage avec les camarades du collège. « J’ai écouté des choses qu’on écoutait autour de moi mais qui n’étaient pas du tout actuelles. Au collège j’étais fan des Doors. J’ai tout écouté. J’ai découvert que tardivement la musique de ma génération, notamment du Néo Metal. C’est quand même cocasse d’être toujours en décalage. Avec le temps, j’ai réalisé qu’on n’était jamais en décalage par hasard, même si ce n’est pas forcément conscient. » Son deuxième groupe préféré, découvert récemment, est définitivement Prefab Sprout, groupe des 80’s emmené par le génial mélodiste qu’est Paddy McAloon.

 

 

Un décalage qu’on retrouve aussi dans le son et les instruments utilisés, notamment deux synthés le Roland JB800 et le Yamaha DX7 des années 80 qu’elle a trouvé sur le Bon coin. « J’adore le matos comme beaucoup de gens qui font de la musique, je suis toujours en train de créer un nouveau besoin. J’ai essayé plein de trucs surtout qu’il y en a plein. Pour rentrer dedans, c’est assez technique. Il faut connaitre son délire. Je me suis dit ce synthé a l’air d’être à ma portée et en même temps d’avoir des possibilités assez vaste. J’ai tout composé dessus. C’est son son qui colore tout l’EP. Il y aussi le son de piano qu’utilise Vincent. On l’a couplé à un autre. Il a un côté métallique et très brillant. C’est le JD 800 qui a amené la cohérence musicale de l’EP. » On peut noter un vrai retour du son des 80’s avec pas mal de fantasmes sur cette époque. « Si tu interroges tous les gens de mon âge qui ont geeké sur la musique des années 80, ils n’ont pas connu ces années là, donc c’est clair que c’est un délire. Quand j’en parle avec mes parents ou des gens plus âgés, ils sont complètement hallucinés parce que ce n’est pas du tout la vision qu’ils en ont. C’est le même rapport qu’on peut avoir avec années 2000, notamment du point de vue vestimentaire. Des trucs qu’on mettait au collège, on n’aurait jamais cru que ça puisse revenir à la mode. En fait, tout revient mais revisité, c’est ça qui est cool et surprenant. »

 

À la différence que nous sommes passés à une société de l’image, de millions de titres qui sortent tous les jours un peu plus formatés. « C’est sur. On n’est plus animé par les mêmes choses aujourd’hui. Globalement, il y a un truc plus égocentrique, un désir d’exister en tant que personne à part entière. Je pense que c’est ça qui prime sur tous les champs de la création en général. Même les personnages politiques aujourd’hui sont animés exactement de la même chose : vouloir devenir des stars. C’est pour cela qu’il faut se retrouver avec soi- même, sinon tu ne peux pas suivre. Ce n’est pas du tout humain. Revenir au pourquoi tu fais de la musique, à la motivation première. Qu’est-ce qui te fait kiffer, toi ? c’est une question qui revient régulièrement. Tu vois que t’as passé six mois sur un projet de clip, tu as composé la chanson, t’as mixé. C’est monstrueux comme travail. Ton potentiel résultat risque de voir ta vidéo se perdre parmi des milliards d’autres, d’obtenir des petits commentaires qui te disent que c’est bien. Donc, ça ne doit pas être ça. Ça ne peut être le moteur. Ce n’est pas possible, personne ne peut se contenter de ça. Donc faire de la bonne musique, c’est juste ça. »

 

©-Lise-Dua

 

D’où l’importance des réseaux sociaux. « J’en suis souvent découragée. Pour moi, c’est assez compliqué mais je pense un peu comme tout le monde. Je fais l’effort d’essayer de comprendre comment ça fonctionne, de montrer les choses mais je sens bien que ce n’est pas ma façon de faire, ce n’est pas mon média. Je montre ce que je fais sinon ça resterait très secret. Je ne suis pas née avec ça. Il m’a fallu un petit apprentissage, je pense que je suis carrément à la masse mais après je fais l’effort. Je trouve néanmoins que de devoir se plier à des normes de communication uniformise le propos, et puis la culture de l’immédiateté ne sert souvent pas sa qualité. »

En tout cas, deux lieux où se trouve bien Manon sont le studio et la scène. « J’aime bien le monde de la prod, du studio. Je ne suis pas forcément dans un trip, il faut restituer ce que je peux donner en live. J’aime bien l’idée que tu puisses passer vraiment du temps en studio, à trafiquer, à chercher, à faire quelque chose que t’aurais pas joué comme ça. Mais en même temps, j’aime bien l’idée de ne pas chercher à le reproduire en concert. Ce qui pour moi fait aboutir à des concerts complètement chiants. C’est pourquoi, je me dis que je peux proposer quelque chose de beaucoup plus organique en live, beaucoup plus vivant parce que quand je vais voir un concert, j’aime voir qu’il se passe des trucs, j’aime voir qu’il y a des erreurs. Je suis quand même old school du live. » Un live prévu dans quelques jours à Paris, un autre à Rennes qui les verront jouer d’autres titres, car Manon compose de manière assez continue, ce qui challenge le trio.

 

© Maud Pellletier

 

Nous espérons y retrouver les trouvailles vestimentaires et scénographiques découvertes dans le premier clip illustrant Manteau de Nuit, clip tourné complètement à l’envers en plan séquence. Idée qui trouve son origine dans la conjonction de deux faits : d’un côté un live au Point Ephémère à Paris et un rouleau de tissu. Il fallait trouver une idée originale et peu onéreuse. On en connait le surprenant résultat. « J’essaye toujours d’apporter une idée originale pour dépasser la fonction “ornementale” de l’image à la musique. Faire du plan séquence en ayant un concept alambiqué avec les moyens dont je dispose, ça m’amène à trouver plein d’astuces. Le côté performance me stimule pas mal. Ça me fait aussi paradoxalement, en tant que control freak, relativiser l’idée de perfection. Les erreurs et imprévus apportent de l’émotion. » Le prochain clip est déjà en route pour Chanson De La Fin, dernier titre de Wonder Jazz.

 

 

En attendant, Manon a créé avec une amie costumière, Marine Chandelier, une couverture pour la version physique de ce premier EP, seulement disponible en 150 exemplaires. Une broderie unique imaginée d’une image d’un clip de Peter Gabriel mais mettant en scène le trio Manon, Vincent et Charly.

 

(c) Marine Chandellier

 

Manon David Club, en concert le 13 février 2024 au Sunset/Sunside Paris et à L’Étage le 22 février 2024 (Rennes).
Wonder Jazz disponible via Midnight Special Records (streaming et physique).

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing