Signée sur le label Sanit Mils, d’emblée la jeune artiste française Bleu Reine a frappé un grand coup avec sa reprise de “The Model”, un classique du groupe allemand électro d’avant-garde Kraftwerk, une tâche ardue donc elle est acquittée haut la main avec brio (voir vidéo ci-dessous). Mais alors que sort aujourd’hui son premier clip “Les Yeux Fermés” , premier extrait de son premier EP Elementaire à paraître cet automne, nous avons interviewé la jeune artiste afin d’en avoir savoir plus et lui avons demandé une playlist afin de mieux s’immerger dans son univers musical entre indie pop et psyché.

Bleu Reine nous explique au sujet de son clip “Les Yeux Fermés” :
Cette chanson, qui s’inspire du film « Le Cabinet du Dr Caligari » (Robert Wiene), revisite la relation entre le somnambule hypnotisé Cesare et la jeune femme qu’il vient enlever, Jane. Entre modernité urbaine et évocations oniriques, le texte suggère ce que le clip confirme : une histoire d’acte manqué, entre une femme qui n’arrive jamais à voir l’objet de ses songes puisqu’il ne vient chez elle que pendant son sommeil. Ils entretiennent un rapport muet bien que chargé de symboles.

Le clip – réalisé par Nissim Norré – est tourné entièrement en noir et blanc sur pellicule. Véritable huit clos entre ces deux figures que l’on devine attachées l’une à l’autre, « Les Yeux Fermés » est un hommage assumé aux canons du cinéma expressionniste, ainsi qu’à l’univers inquiétant et sulfureux d’un certain Dario Argento.

Se faire connaître en reprenant Krafwerk à la guitare c’est assez osé, non?
Si on veut ! Pour moi le parti pris, s’il doit y en avoir un, c’est surtout de renverser un peu la chanson en l’inscrivant au maximum dans mon univers artistique.
Le choix de modifier les paroles allemandes et d’ajouter un couplet en français s’inscrit dans cette démarche, au même titre que le choix d’un format guitare-voix qui est effectivement assez éloigné des synthés de la version originale…

D’où vient le nom BLEU REINE ? Comment est né le projet ?
Le nom BLEU REINE est le résultat d’une recherche assez longue bien que très instinctive. J’avais besoin de me détacher de l’anglais, de proposer des images aux gens de manière beaucoup plus immédiate : BLEU REINE c’est un peu comme deux indices servant à créer cette image, qui peuvent aussi ne former qu’un seul indice si on pense à un dérivé “au féminin” de la couleur Bleu Roi par exemple… Quant à la naissance de ce projet, à vrai dire le nom est plutôt venu comme un baptême une fois les morceaux déjà composés et la direction artistique un peu établie. J’avais travaillé sur des morceaux en français l’automne dernier et une partie de l’hiver, chez moi comme dans un petit laboratoire solitaire, dans l’idée de pouvoir commencer à proposer des concerts solo à partir de septembre. La rencontre avec mon label (ndlr: Sanit Mils Records) en mars a accéléré considérablement le processus et m’a permis de donner chair au projet de manière plus concrète, puisque notre collaboration va nous amener à sortir un E.P. cette fin d’année.

Quelles sont tes influences (musicales ou autres) ?
C’est un peu une question à double-entrée ! J’ai longtemps cru que le simple fait d’aimer des groupes, des univers graphiques, faisait d’eux automatiquement des influences. Comme j’ai principalement joué en groupe, je m’identifiais sans tellement réfléchir à ces premiers émois stoner ou garage un peu psyché (Kyuss, QOTSA, The Black Angels,…). Aujourd’hui je me dis que je suis plus influencée par les premiers PJ Harvey et les derniers Dominique A…en gros, je pars du résultat puis j’essaie de remonter aux ingrédients, comme le ferait quelqu’un de neutre qui découvre ma musique. Plus généralement, je prends autant de plaisir à écouter des chansons françaises à texte (pèle-mêle Murat, Emilie Simon, Françoiz Breut, Bashung…) qu’à écouter de la musique électronique des années 1980 comme Soft Cell… J’aime la façon dont la pop-music a creusé à l’infini la recherche de la mélodie, de l’harmonie, mais j’aime aussi les émotions très animales, très brutes et le côté limite dissonant que peuvent apporter les musiques dites plus ‘extrêmes”. Je n’ai pas la prétention de synthétiser ces deux aspects dans ma musique mais je crois que ma démarche s’appuie vraiment autant sur l’un que sur l’autre.

Tu dis être passée par plusieurs groupes et aujourd’hui tu te présentes en solo : c’est pour éviter les compromis musicaux ?
Oui, peut-être… Au-delà du compromis je pense que c’était surtout une urgence (que j’avais sous-estimée) de me retrouver un peu seule avec moi-même pour mieux voir ce que j’avais dans le ventre. J’ai tendance à travailler plus efficacement si j’ai des contraintes ; celle d’être en guitare-voix au maximum en est une. Disons que ça m’a un peu obligée à aller plus loin dans l’écriture, à ne pas procéder par raccourcis pratiques en me disant que telle ou telle “faiblesse” de composition allait se diluer dans une production rock efficace, par exemple. Je pense aussi que j’ai moins de scrupules à parler à la première personne du singulier si je suis toute seule, plutôt que si j’embarque des gens avec moi… Finalement je suis sûre que cette évolution est très bénéfique car rien ne m’empêche de retrouver des musiciens additionnels pour de la scène avec Bleu Reine dans le futur, mais au moins j’aurais eu la satisfaction de créer d’abord seule et de mieux identifier la direction artistique que je souhaitais prendre.

Outre “Das Model”, ton Soundcloud compte deux autres titres « Worse means better » et « Elementaire », ton projet est donc autant français qu’anglais ?
A vrai dire le projet est plutôt très français, “Worse Means Better” est l’une des dernières chansons composées en anglais. Rien n’exclut d’autres morceaux en anglais bien sûr, parfois je trouve un riff de guitare qui se marie beaucoup mieux avec l’anglais que le français d’ailleurs… Mais j’avais vraiment envie et besoin avec BLEU REINE d’aller chercher un autre vocabulaire, de pouvoir reconnecter un peu la musique avec des sphères plus proches de moi qu’auparavant. J’écoute énormément de musique anglophone donc l’anglais fait partie de mon ADN musical, mais plus je grandis plus je trouve ça excitant de réussir à exprimer à peu près ce qu’on veut en français : disons que comme je trouve ça plus difficile car ça demande de l’engagement, c’est plus gratifiant quand on y parvient !
Et puis je reviens à la question des influences : j’avoue que tous les films ou les œuvres d’art qui m’inspirent sont plus évidents à incorporer dans ma musique si je chante en français plutôt qu’en anglais. C’est le cas avec la chanson “Les Yeux Fermés” qui me permet de me réapproprier le personnage de Cesare (Le Cabinet du Dr Caligari) vu par Jane, en imaginant en quelque sorte la version non-muette de l’histoire qu’ils auraient pu vivre…

Qui sont les artistes que tu suis actuellement ? Avec qui aimerais-tu collaborer ?
Un peu pèle-mêle, j’ai eu un gros coup de cœur ce début 2018 pour l’album “Imposture” d’Alice Lewis que je trouve vraiment réussi. J’aime son côté mélancolique et un peu kitsch, très bien dosé… Dans un autre registre j’ai découvert Laura Cahen que je trouve hyper intéressante aussi. Puis il y a le nouvel album de Slaves, l’actualité de Chelsea Wolfe qui m’intrigue beaucoup car elle cultive quelque chose de très jusqu’au-boutiste… J’aimerais bien collaborer avec un artiste anglophone plus “rock” que moi qui me permette de matérialiser un peu ce pont qu’il y a entre mes différentes influences. Pour finir, depuis plus de 10 ans je suis beaucoup les Queens of the Stone Age qui font partie de mon petit panthéon personnel !