Le mois dernier, on vous annonçait le premier single extrait du nouveau projet de Spoek Mathambo. « The Mountain », qui reprend un titre de Pegasus Warning, résonne encore dans nos oreilles à l’heure où l’EP Badimo est lancé (depuis le 17 juin). Ce dernier constitue le premier pan de la trilogie The Mzansi Beat Code qui regroupera deux EP et un album central qui sortiront progressivement cet été, à la rentrée, puis l’hiver prochain. Une perle dont il nous a parlé.

 

Pourquoi avoir choisi de réaliser The Mzansi Beat Code en trois parties ? 
Pour avoir une communication constante sur cette idée.
Depuis l’album que j’ai sorti l’année dernière avec mon autre groupe, Fantasma, je n’ai pas fait d’album personnel depuis 4 ans.

As-tu pensé à un message global sur tout le projet ?
Il y a plusieurs messages, c’est sûr. Beaucoup d’interviews cherchent une vue d’ensemble, alors que je le vois plutôt comme des pièces.
La chanson « The Mountain », par exemple, est comme une œuvre d’art, un gospel, un bateau sans marin.  Tu vois ce que je veux dire ? C’est une chanson très puissante. Je ne sais pas comment tu l’as abordée, chacun la prend différemment, mais le titre a un sens spirituel et émotionnel. C’est juste ça : humain, universel.
La musique est assimilable au transcendant. En Afrique du Sud, c’est très explosif : on est très compressés puis on explose d’énergie. Pendant les moments difficiles, turbulents, on descend se retrouver pour faire la fête. « Wanna go DOWN ! »

 

 

Qu’est-ce que le label Prospect t’as apporté ?
Je travaille sur le label Teka, et Prospect on bosse ensemble spécifiquement sur la conceptualisation et la promotion en France. L’équipe de Prospect a une réelle passion et un amour fort pour la musique. C’était cool de collaborer avec eux.
C’est mon premier projet personnel sur mon propre label (ndlr : Teka Music), c’était excitant. Ce n’est pas toujours sensé de produire pour les autres. C’est aussi bien d’avoir son indépendance. Je l’ai appris d’Aero (ndlr : Aero Manyelo, producteur et membre de Batuk). Quand j’ai fait mon documentaire Future Sound Of Mzansi, j’ai dû sélectionner plusieurs sons rapidement. Avec Aero c’était très facile car tout lui appartient.

Même à mon niveau, je faisais mon film mais je devais demander à d’autres l’accès à ma musique, c’est fou !

Tu a l’air d’être un artiste complet car tu touches à tout. Y a-t-il une discipline que tu n’as pas exploré et qui t’intéresserait ?
Je ne sais pas… j’apprend réellement avec la musique.
Après mon premier film (ndlr : Future Sound Of Mzansi), je suis sur mon deuxième. J’y parle du groupe sud-africain de hip-hop Dookoom. Le film traite de l’identité des métis (coloured people) en Afrique du Sud, avec la musique comme pièce centrale. On parle à des membres de communautés, gangsters, professeurs, docteurs…

Et l’identité de The Mzansi Beat Code est de regrouper les idées différentes que j’ai explorées dans Future Sound Of Mzansi.
C’est pour ça que je parle de Beat Code : d’une part, la couleur sud-africaine du son que je veux partager avec le reste du monde, d’autre part, je veux documenter ce moment.

 

future sound of mzansi modzik

 

J’ai lu ce livre du 13e siècle, la Quête du Saint-Graal. La littérature germanique, Perceval… cet écrivain a écrit une histoire picturale pour documenter la réalité qui était sous leur nez. C’est comme si tu cachais quelque chose mais que tu le donnais aux gens. Si tu veux que les gens se souviennent de l’histoire de ta famille tu leur en donne l’image pour que tout le monde s’en rappelle. C’est ce que je veux faire avec mon album.
En anglais c’est « hiding in plain sight », c’est-à-dire que tu le dissimule mais que ça reste visible.
Je veux que la prochaine génération trouve la musique des années 50, 60 en Afrique du Sud. Et c’est pas facile. C’est comme perdu et je veux le rendre accessible et montrer la richesse de notre culture. Parce que les gens ne la connaissent pas !

Penses-tu que l’intérêt pour la musique sud-africaine au-delà de vos frontières est juste une tendance ou qu’il est durable ?
Ce fut une mode pendant des milliers d’années. On a du goût, que veux-tu ! Ce n’est pas nouveau. C’est sur ça que s’est basé la colonisation. Ils aiment nos minéraux naturels, notre culture, notre nourriture… beaucoup de choses viennent d’Afrique.

Mais je veux enrichir et connaître notre culture. Je veux qu’on nous respecte.

Qu’entends-tu par « apartheid afterparty » ?
C’est l’explosion de la pression. Depuis tant d’années on a tellement de musique, de tout… qui était très compressée et rabaissée par l’ancien gouvernement. Donc maintenant c’est l’explosion d’une nouvelle culture. Les gens sont libres. C’est ce dont il s’agit : la postapartheid est une après-fête.
Elle a ses conséquences négatives, tu sais que tu vas endommager quelques lieux pendant la fête !
« Célébration de liberté » (dit-il en français).

Penses-tu que les gens sont réellement libres ?
Oui ! Plus que tu ne le pense. C’est une insulte de poser cette question. Sans ça tu ne serais pas capable d’être là. Ils perdaient le droit d’être à tel endroit à tel moment, la petite liberté de boire un verre (il lève sa bière).
Beaucoup de Français me posent cette question : « êtes-vous vraiment libres ? » (qu’il caricature avec une grosse voix pompeuse). Mais eux le sont-ils vraiment ?

Internet est pucé, vos téléphones sont pucés… êtes-vous libres, tu vois ?

 

 

Qu’est-ce qui t’inspire au quotidien ?
Les gens avec qui je travaille, rencontrer des gens comme toi. Essayer de lire et d’apprendre, et de voir des gens différents.
Ce nouveau projet de film est une grande inspiration. C’est l’Afrique du Sud mais une Afrique du Sud que je ne connaissais pas, donc c’est intéressant.

Donc tu étais juste curieux à propos de ça ? Tu es dans l’apprentissage.
Oui l’apprentissage en même temps que je l’expose. Apprendre et documenter, ouais.
J’espère que tu puisses venir un jour en Afrique du Sud. C’est très inspirant ! Des fois en allumant la télé c’est fou parce qu’ils parlent plus de 12 langues, des cultures différentes, des gens qui viennent des 4 coins du monde. Et puis tu voyages à travers le monde et tu t’inspires encore. Le Mozambique est à 5h de route… c’est le paradis : du poisson frais, des fruits de mer, des pieuvres, des calamars ! De la belle musique et un air apaisant et chaud. Et puis l’océan chaud ! Ça, c’est inspirant. (rires)


Crédit photo : Justice Machaba