À 17 ans à peine Jenny Hollingworth et Rosa Walton, deux adolescentes de Norwich, publiaient leur premier album I, Gemini sous leur alias Let’s Eat Grandma, un album de pop folk gothique expérimentale étonnant ! Deux ans plus tard, elles ont grandi, gagné en maturité et semblent toujours aussi soudées : elles terminent souvent la phrase l’une de l’autre, parlent toutes les deux en même temps et sont en accord / désaccord permanent. Elles livrent leur deuxième opus I’m All Ears, co-produit par l’étonnante Sophie et le ténébreux Faris Badwan (leader de The Horrors), au style tout aussi étrange que le premier, loin des contours de la pop actuelle mais tout aussi fascinant.

Depuis quand vous connaissez-vous toutes les deux ?
Rosa : Nous nous sommes rencontrées sur les bancs de l’école à quatre ans. On dessinait et Jenny a fait un escargot orange et bleu !

Et vous ne vous êtes plus quittées depuis ?
Jenny : Oui. En plus, on était voisines…

Que pensez-vous que vous seriez devenues si vous ne vous étiez jamais rencontrées ?
Jenny : J’aimerais bien le savoir ; j’aurais peut-être mal tourné. Je crois que j’aurais fait quelque chose de créatif mais pas forcément de la musique. Je ne sais pas si j’aurais eu assez confiance en moi pour me lancer vraiment.
Rosa : On y pense parfois mais ça s’arrête là.

Vous avez composé votre premier morceau « Eat Shiitake Mushrooms » à l’âge de 13 ans ; vous saviez déjà que vous vouliez vous lancer dans la musique alors ?
Jenny : En fait, ce morceau n’était pas complétement sérieux. On l’a fait comme ça, pour faire un truc cool, sans se poser de question.
Rosa : On n’a jamais pensé faire carrière dans la musique, c’est venu chemin faisant…

Vous vous connaissez tellement bien ; vous parvenez à être critique l’une envers l’autre ?
Jenny : Je ne montre pas toutes mes idées à Rosa, j’évite donc de lui présenter des trucs nuls.
Rosa : On est toutes les deux très critiques vis-à-vis de nous-mêmes : lorsqu’on présente quelque chose à l’autre, c’est que c’est bon.

Vos deux albums sont assez différents…
Jenny : On a tellement changé entre les deux.
Rosa : Ce qui n’a pas changé c’est qu’on aime la pop, mais on peut s’en moquer en même temps. On n’a pas de barrières du moment que c’est bon – sauf si l’artiste est un connard, bien sûr.

Pourquoi avoir choisi « Hot Pink » comme single, alors qu’il est assez différent du reste de l’album ?
Rosa : C’est notre vision de la pop mais déconstruite.
Jenny : On voulait marquer les esprits avec quelque chose de différent. En plus, c’est une collaboration : on n’en avait jamais fait avant. Le côté agressif est intéressant : on a composé des morceaux sombres auparavant mais jamais avec ce degré d’intensité. C’est un morceau important : il parle du jeu de pouvoir dans les relations humaines. Cela traite également de féminité, de masculinité et des rapports entre les deux, mais aussi du besoin de toujours donner un genre aux choses quelles qu’elles soient.

Que signifie le titre de l’album I’m All Ears ?
Rosa : Cela signifie qu’il est important d’écouter ce que les autres ont à exprimer.

Let’s Eat Grandma ont abandonné le style Cocorosi-esque et abstract folk de leur premier album pour s’essayer à presque tous les styles et inspirations sans se poser de questions ni de limites. I’m All Ears est un album sans règles préétablies, qui fait penser à un exercice de pop déstructurée – mais réussi – où l’on passe sans vergogne de la douceur à l’agressivité, des sonorités synthétiques à l’acoustique, avec pour seul fil rouge : de la pop fun et décomplexée. Et si l’objet fait figure un peu d’ovni dans la masse des productions formatées, c’est très bien comme cela.

Let’s Eat Grandma
I’m All Ears
(Trangressive/Pias)