Le groupe parisien Distractions, représenté aujourd’hui par Camille et Quentin est déjà installé alors que nous arrivons (à la bourre) pour cet entretien. En fait, nous retrouvons aussi Marin, frère de Quentin, auteur des textes, Charles, claviers, manque à l’appel.

 

Très vite, nous entrons dans le vif du sujet avec la composition, l’enregistrement et la production de leur 1er album Siècle à paraitre le 2 février prochain. Un album résolument pop, parfois house dancefloor qui n’est pas sans rappeler dans le traitement du son de ce groupe, aujourd’hui séparé, qu’était Paradis.

 

 

Quentin : « À l’époque, quand c’est sorti en 2017, nous on aimait bien, parce que c’était bien. Mais… On ne s’était pas pris le truc comme, je crois, il faut se le prendre. Quand tu captes l’idée qu’il y a derrière, comment c’est pensé, comment c’est fait… Putain, franchement, c’est un chef-d’œuvre, ce disque. C’est un masterpiece de la musique française ». Ce ne fut aucunement dans les têtes du trio, qui revendique plutôt des influences allant de Bon Iver, en passant par Phoenix, à Quincy Jones, ni même dans celle de Victor Le Masne, réalisateur de l’album.

D’ailleurs, comment est arrivé l’homme de la renaissance de Starmania, du deuxième album de Juliette Armanet ou de l’album de Gaspard Augé (Justice) ? Par leur label Because, qui co-produit l’album avec leur propre label Distractions Records. Marin : « On ne le connaissait pas personnellement. Et surtout, on ne se posait pas la question, forcément, de venir travailler avec un réal’. Parce que, déjà, c’est un coût de travailler en studio. On avait travaillé jusque-là que dans le studio de Quentin, ça nous suffisait ». La rencontre a matché immédiatement.

 

 

Douze titres étaient déjà prêts, fruit de leurs deux résidences en 2021 où la couleur générale de l’album s’est dessinée. Quentin : « Il y a un synthé assez spécifique qu’on s’est mis à utiliser, et il y avait tout de suite dans les presets mythiques, un peu kitsch, mais qui nous ramenait vachement à l’Asie, une vision un peu nostalgique, il y avait des couleurs qui nous plaisaient. C’est un Korg M1, très utilisé fin 80, début 90. À l’époque, ces synthés-là étaient utilisés dans tous les génériques de films et de dessins animés quand on était gamin. Donc forcément, quand on est retombé sur ce synthé, on a fait “ah ouais !”. On a décidé de l’utiliser celui-là et quelques autres, mais pas plus ».

Victor Le Masne propose d’enregistrer au studio Motorbass. Marin : « Je crois que cette couleur là, Victor, ça lui plaisait bien. Et du coup, il a tout de suite dit oui. On était un peu impressionnés. Il est d’une intelligence déconcertante, autant humainement qu’évidemment artistiquement. Franchement, c’est impressionnant ». Nouvelle expérience pour le trio qui profite de la chance offerte de trouver à Motorbass, l’empreinte de Philippe Zdar, moitié de Cassius. Quentin : « Les démos étaient boite à rythmes, synthés, hyper synthétiques. Il a amené vachement de corps parce que ce sont des vraies batteries, des synthés, tous les bons synthés de Motorbass, bon… pas tous, car on ne voulait pas que ce soit la course à l’armement ».

 

 

Et voilà que nous reparlons d’instruments, en bon geek que nous sommes. « À Motorbass, il y a un synthé qui s’appelle un 1680, qui est quasi introuvable. Il y en a très peu, et ils valent une fortune. Il est en super état, on en a foutu partout. Victor les gère bien, cela a apporté vachement de profondeur et de densité par-dessus ces nappes un peu japonisantes rétrofuturistes années 90. Il a apporté les pianos et nous a fait pousser encore plus loin les harmonies de voix. Il y avait pas mal de piano à quatre mains avec Charles. Une vraie émulation dans les arrangements entre eux deux s’est installée. Victor a quand même un peu transcendé le truc. »

Une fois les douze titres enregistrés, l’étape suivante est le mixage. Il fallait trouver la bonne personne, plusieurs noms bien connus ont circulé. Le choix s’est arrêté sur Nico Staf sur les conseils de Victor. Quentin : « Ce serait peut-être cool d’aller dans un truc différent, plus assumé pop, sans que ce soit vulgaire. Et il avait 100% raison en fait. Parce que ça donne un mix qui est peut-être un peu plus accessible, un peu plus lisible. Même si en fait, c’est toujours des trucs un peu de puristes. Mais nous, on aime bien. C’était marrant. Puis Nico Staf, lui pour le coup, ce n’est pas le même monde. C’est marrant de discuter avec lui. Il est très sympa. Il est très bien suivi. C’est une drôle d’expérience. » En effet, Nico Staf travaille principalement avec des artistes R&B.

 

 

Laurent, en charge de l’image, quatrième membre de Distractions nous rejoint. Une image toujours colorée qui est en parfaite contradiction avec les propos des textes mélancoliques qui parlent souvent de finitudes. Le choix du nom du groupe fut d’ailleurs un débat. Marin : « Quentin s’est battu pour ce nom. Au tout début, en fait, on s’appelait Ressac. Qui évoquait quelque chose d’un petit peu plus brutal. Finalement, Quentin a bien fait de proposer pour ces raisons-là, Distractions. Ça mène à un contraste. J’ai mis du temps à m’y faire, personnellement ».

Au-delà du nom, des contraintes agitent le groupe. Quentin, ancien membre fondateur du collectif Fauve et membre de Magenta ne souhaite pas apparaitre physiquement dans les images. Laurent : « Sur l’image, on a encore des moments où on hésite sur la manière de nous présenter aux gens. Effectivement, Quentin ne veut pas se montrer physiquement, en tout cas, pas son visage. Et en même temps, il incarne ce qu’est le groupe, car il est très présent sur l’album. Il est donc un peu plus en retrait que sur les morceaux. On a beaucoup réfléchi, on a beaucoup discuté, on s’est même pas mal pris la tête sur les alternatives. C’est le principal sujet d’embrouilles dans le groupe. » Des réflexions autour de maquillages ou de masques ont même été évoquées. Laurent : « Donc, le truc le plus simple fut de mettre en avant Camille », « pour le coup, elle se prend potentiellement un peu les trucs, même si elle est réservée dans la vie », complète Quentin.

 

© The-Quiffs

 

Camille est arrivée plus tard sur le projet. Dans une première version de Distractions, Sandra Nicolle était la voix féminine. Camille : « Je suis arrivée il y a deux ans. La voix féminine avait disparu. Ils sont donc restés qu’entre mecs. » C’est lors d’une de leur résidence que la rencontre s’est faite. « Ils avaient réservé une maison pendant une semaine pour commencer un peu à créer les sons de l’album. Il se trouve qu’avec Laurent, on vivait à côté de la maison qu’ils avaient louée. Du coup, je suis allée les voir pendant un week-end comme ça, pour passer une tête. J’ai posé quelques lignes de voix, parce que Laurent m’a vachement incitée », poursuit Camille. Marin : « On se disait que c’était bien d’avoir une voix féminine, pour balancer le côté un peu rugueux des textes. Et même si Quentin chante bien, ça pouvait amener aussi autre chose ».

Camille a fait l’Opéra de Paris en tant que chanteuse, donc lyrique. Laurent : « Elle est timide, et par elle-même, elle va jamais s’imposer. Du coup, j’étais là, derrière, en mode… “Allez, go, chante, chante, chante”. Au début, Quentin et Martin disaient, bon, on a une note. Mais en fait, ils furent très surpris ».

Revenons aux textes, qui furent la pierre angulaire du projet et l’origine du projet en 2017. Quand Quentin décide de mettre en musique les textes de son frère. Marin : « Les textes datent un peu… Pas que ça date de l’époque d’adolescence. Mais aujourd’hui je n’écris plus de textes de la même façon. J’ai envie, dans mes textes, d’avoir quelque chose comme de la musique qui puisse amener un contraste, une sorte d’équilibre, une douceur, ou parfois enlever le noir pour l’amener vers la mélancolie. Une référence qu’on cite, c’est Aragon. Je ne suis pas dans cet équilibre d’Aragon, mais évidemment, parfois, tu amènes des choses qui sont très profondes, très dures, parfois très mélancoliques, mais en même temps très lumineuses aussi, pleines d’amour, pleines de grandeur, j’ai la bascule un peu moins équilibrée, mais c’est quelque chose à laquelle j’aspire ». Il a fallu néanmoins couper les textes qui étaient très longs, parfois faire des collages.

 

 

Quentin : « Il (Marin, NDLA) écrit des textes qui sont des poèmes. Il y a vraiment des rimes, mais qui ne sont pas sur des structures classiques, mais c’est fleuve et en même temps c’est rimé, mais c’est irrégulier. Chaque texte a un petit peu un truc transversal. En fait, une bonne partie des textes, c’est son narrateur qui va d’un point A à un point B, soit dans la rue, soit dans sa tête, soit un soir, soit le matin. Et c’est un flot de pensées. Ça parle de beaucoup de choses en même temps. Certains, évidemment, sur des thématiques plus précises que d’autres, mais ça reste un peu comme un freestyle de rap d’aujourd’hui par rapport à un morceau d‘IAM en 95 où il y avait une histoire à chaque fois. Mais pourtant, il y a des thématiques qui sont récurrentes, qui sont assez précises. On a un peu essayé de regrouper les thématiques. Après, tout l’été, on les a lues et relues, et on est allés chercher les paragraphes qui parlaient entre eux, entre chaque texte ».

On en revient au contraste qui est la signature singulière de Distractions. Quentin : « Sur l’album, dans les intros, la musique a un côté plus pop, plus solaire quand même. Quand on l’a fait, personnellement, ça m’a fait penser aux Smiths, dans le décalage. Sans du tout que ce soit une référence. Bon, aussi détestable qu’il soit (Morissey, NDLA), il a un truc extrêmement lyrique, très lettré, très rimbaldien. Les textes sont d’une poésie incroyable à tous les niveaux et la musique presque funky ».

 

Siècle artwork

 

Le prochain extrait de l’album prévu Siècle sortira le 2 février prochain. Il sera illustré par un nouveau clip. Laurent : « Je pense que ça va tourner autour de hublots d’avion dans lequel on ne verra pas le visage de Quentin. Nous cherchons encore le moyen de le faire apparaitre malgré cette contrainte. » Ce sont des outils artistiques obligatoires en 2024. Quentin« Quand tu écris des chansons, tu ne penses qu’à faire des chansons. Quand tu dois ensuite le mettre en image, c’est… c’est chiant. Certains font leur image avant de faire des chansons. Bien sûr, il y a plein d’écoles différentes. Il se trouve que nous, on fait de la musique avant de faire de l’image. » Dans le premier clip Vanves et les images qui accompagnent la sortie de l’album, le groupe a utilisé un éventail géant. Laurent : « Cela permet un peu de diffraction qu’on aime bien comme effet. C’est cool en fait. On aimerait peut-être même le reproduire pour des scènes ou les réseaux sociaux. Mais ensuite, il faut le transposer au live ».

Le live prochaine étape. Après quelques dates l’an dernier avec leur tourneur Astérios, un Pop Up du label est prévu le jeudi 29 février 2024. Espérons les voir embraser de leur poésie d’autres scènes très bientôt.

Siècle est un grand disque à l’écriture vive et troublante, intemporel, bercé par les harmonies vocales sensibles de Camille et Quentin.

 

Siècle sera disponible (streaming et physique) le 2 février 2024 via Distractions Records/Because.

Distractions sera en concert le 29 février 2024 au Pop Up du label.