Les vélos grincent sur les festivaliers de l’Eurosonic Noorderslag (ESNS) qui découvrent à leurs dépens que la bicyclette est reine aux Pays-Bas. Cette semaine, plusieurs dizaines de milliers de personnes piétinent les allées enneigées de Groningue, ou Groningen pour les intimes. Au Martini hôtel du centre-ville, la petite colonie dépose valises et équipements d’enregistrement. Débuté gare du Nord, le trajet pour atteindre l’eldorado de la musique européenne aura consumé une belle matinée.

 

 

 

Le festival de showcase Eurosonic Noorderslag (ESNS) rassemble quelque 4 000 professionnels de la musique, réunis pour assister aux performances des très précisément 299 artistes. Des îles Féroés jusqu’à celle de Malte, les nouveaux visages de la musique européenne viennent parfois de loin pour investir les scènes, désormais bien connues, des groningois de cœur. La Pologne était d’ailleurs le pays à l’honneur cette année.

En parallèle du festival, depuis 20 ans se déroule les MMEA, une cérémonie organisée par la Commission Européenne qui célèbre les découvertes de l’année passée et à venir. Le charme de la favorite française semble, d’ailleurs, avoir fait effet au-delà des frontières puisque Zaho de Sagazan repart les bras chargés du Grand Prix du Jury ET du public !

D’une assemblée de batteurs portugais jusqu’à un duo punk féministe qui piétine la foule, il y en a eu pour tous les goûts. Voici les artistes qui, à l’instar des croquettes à l’œuf ou aux spaghettis locales, nous ont parfois surpris et souvent séduit.

 

ESNS – J1

L’équipe trempe son premier orteil dans l’aventure musicale par une courte entrevue avec l’éléctro-pop troublante de la polonaise Artificialice ; pour ensuite rapidement s’enquérir des cordes vocales des malicieux punks écossais Humour ; avant de sauter à la rencontre des british Picture Parlour, jeune quatuor indie sympathique aux tailleurs un soupçon large.

Cheveux flottants, la voltigeuse Clarissa Connelly a ensuite déposé son enchantement sur la salle du Stadsschouwburg. Sonorités enracinées dans la mythologie celtique, la nouvelle signature du label Warp emmène le public à la rencontre de son patrimoine dano-écossais le temps d’une promenade aérienne.

L’ensorcellement continue sa course pour atterrir aux pieds d’envouteurs d’un autre type, originaires de contrées plus solaires. AySay, le trio rythmé kurdo-danois commande le déhanchement grâce à leur fusion entre tradition anatolienne et électro.

Les ardeurs de certains ont orienté la suite de la soirée auprès de la douce Jouska. Sur les lieux du crime, l’errance électro-fantomatique de la jeune norvégienne peine à convaincre le public de se laisser emporter à ses côtés.

Direction le trottoir d’en face où une version twistée de Humble de Kendrick Lamar s’écoule de l’entrée de la scène du grand Théâtre. Ce sont les DJ-percussionnistes portugais Bateu Matou qui, parce qu’une ne suffit pas, se sont armés de leurs triples batteries pour ensoleiller les festivaliers.

On se laisse ensuite convaincre pour un dernier crochet et quel uppercut ! Crème solaire c’est un grand oui, le duo suisse polyglotte, aussi bien linguistiquement que musicalement, braille et touche. Intimidant, maquillage aux traits sévères, ils jonglent entre glitch et punk pour hurler leur revendication en robe de poupée.

 

© Ben Houdijk

 

ESNS – J2

La journée du jeudi commence haute en couleur. La grande gagnante des Music Move European Awards, Zaho de Sagazan, a prouvé sa place sur la scène européenne. Elle rafle la reconnaissance des professionnels et d’un public qui l’a d’ailleurs soutenu avec plus de 20 000 votes. Après un discours à l’anglais digne de celui de Louis de Funès dans Les Gendarmes, elle s’empare du Stadsschouwburg avec dextérité et énergie. Le message qu’elle veut refléter : « Regardez comme c’est beau de voir une nana qui est en cycliste, qui danse bizarrement peut-être et qui crie dans son micro ».

 

© Niels Knelis

 

Dans la salle du Simplon, une bulle de douceur s’est composée autour de l’espagnol Pablo Pablo. L’électro épouse délicatement sa voix et pose le décor d’une mise à nu intimiste. Quelques mètres plus bas, le Berlinois Eddington Again touche différemment. Il navigue entre R’n’B et pop alternative et, malgré une prestation un soupçon solitaire, réussit à partager le flow et l’énergie juste.

Le duo franco-américain Pearls and The Oyster investit la salle du We Nut Butter. Ils composent une performance calibrée qui ramène un peu de soleil Californien sur une scène européenne, encore inconnue pour eux. « À ce stade, tout est une découverte », confient Juliette et Joachim. « C’est la première fois qu’on tourne en dehors de la France et de l’Angleterre. Moi je suis dans un truc très matérialiste. On est à perte sur cette tournée, mais c’est important de la faire parce qu’on se dit, il y a des gens qui veulent nous voir en Europe et on a envie de jouer pour eux. »

De retour au Mutua Fides, Ana Lua Caiano performe avec hauteur et esprit. Entourée de ses multiples instruments, la jeune artiste enregistre en live et compose sa musique en interaction avec le public. « Les gens me disent généralement que lorsque j’arrête de chanter, je suis très timide. Sur scène, j’essaie d’incorporer le personnage, s’il est triste, fort, joyeux, avec les mouvements et mon visage. J’essaie de me transformer en ces personnages que je représente. » Grâce à ses interprétations uniques, la jeune portugaise réussit le tour de force de rendre les classiques de son enfance tendance.

 

© Jantina Talsma

 

Après errance et mauvais timing, la musique qui s’élève du chapiteau extérieur accroche notre attention. Le mercure augmente quand les Ukrainiens Kalush Orchestra s’emparent du micro. Ils SONT la fête et ne manquent pas d’interpréter Stefania, le tube qui les a mis sur le podium de l’Eurovision 2022.

Malheureusement, le mauvais sort de la soirée n’est pas encore complètement défait. On lance quelques tentatives pour rompre la malédiction auprès de l’Estonienne Kitty Florentine, qui a du mal à descendre de sa tour pour rejoindre son public. S’ensuit l’espagnol Eurowitch qui, enclavé dans la salle du Mutua Fides peine à composer la potion de l’attraction.

Les chaines sont finalement brisées grâce au Lambrini Girls, un must see absolu. Elles sont déjantées, punk-féministes et n’hésitent pas à piétiner la foule pour asseoir leurs convictions. Coup de cœur pour ce duo iconique de Brighton qui envoie valdinguer toute règle de bienséance. « S’il y a quelqu’un sur scène qui a l’air stupide ou idiot, les gens se diront qu’ils peuvent faire la même chose. Beaucoup de gens ne veulent pas bouger, mais s’ils voient quelqu’un qui a les fesses à l’air sur scène, ils vont se dire, “oh très bien” », racontent-t-elles tout en se barbouillant de paillettes sur les marches du forum.

 

© SE7EN

 

ESNS – J3

Dernière soirée pour nous qui débute gentiment les hostilités avec le groupe Astral Bakers. La nouvelle formation d’Ambroise Willaume (Sage), chanteur du groupe Revolver joue sur scène pour la deuxième fois. Les quatre musiciens s’accordent sur leur rock acoustique comme une évidence. Pour rester en tricolore, retour au Simplon avec la performance du duo fusionnel UTO qui sort le grand jeu, de style et de lumières.

La fusion continue au Stadsschouwburg où le boys band tout feu tout flamme No Guidnce réchauffe la scène. Le quatuor de TikTok lovers synchronise les sourires et les pas de danses avec leurs harmonies tout droit sorties des 90’s.

Transposée dans une version ibérique, l’énergie fait écho dans la salle du Maas. La complicité de la fratrie Expresso Transatlântico réussit à décrocher mouvements de têtes et tapages de pieds grâce à la guitare de fado endiablée du cadet, et la bienveillance de son ainé qui lui envoie des clins d’œil complices. Au premier rang, une festivalière Néerlandaise s’auto-déclare agitatrice de foule, et s’empresse de raviver le public au moindre flottement de la salle.

Les flottements, ils auraient pu être présent lors de la prestation de Jann qui manie à la baguette la rencontre entre opératique et épique. Le jeune polonais a lancé une pop fraîche inattendue sur la scène du Stadsschouwburg, avant de complètement retourner son harnais pour une scénographie sombre et électrisée.

On prend ensuite la direction du Nokia 3310 avec le groupe Master Peace qui s’empare de l’old-school Y2k avec sueur et promiscuité. Le groupe britannique retourne au lycée de Skins, strings, taille basses, bandanas et ça fonctionne.

 

© Stefvan Oosterhout

 

Dernier détour au Grand Théâtre. Le duo suisse Psycho Weazel s’est imposé comme un dernier verre qui réussit à faire taper du pied encore quelques instants.

Bien essorée de ces trois soirées mouvementées, on repart de l’ESNS les tympans sifflotant des milles voix que l’on a hâte de redécouvrir sur les programmations de l’été !