Parfois, il y a des rencontres qui chassent les nuages d’une journée compliquée. Nous arrivons de manière synchronisée avec Albert Newton dans ce petit bar proche du Moulin Rouge pour échanger sur Twin Earth, son premier album à venir le 9 février prochain. Onze titres qui n’ont pas quitté notre platine depuis octobre dernier. Entretien placé sous le signe d’une certaine spiritualité.

 

Cette terre jumelle qui donne le titre à cet album nous transporte dans une autre dimension, voir « 16 dimensions » comme le titre du deuxième extrait de l’album. Après avoir voulu devenir poète « J’ai toujours écrit des textes, de la poésie. Je travaillais sur un petit recueil, mais je me suis rendu compte assez rapidement qu’aujourd’hui, ça se lit moins. Je me suis demandé, alors, comment trouver un médium pour mes textes. Et c’est là que l’idée de la musique m’est venue ». Quelques mois plus tard, sort un premier EP sous le pseudo de Gussstave qu’il défendra pour la 1ère fois sur la scène de L’international, lieu de la rencontre et de l’amitié avec Léon Vidal, Jonas Landman et Tino Gelli du groupe Abraxas, maintenant Polycool. « Jonas, le claviériste est chercheur en mécanique quantique. Et le bassiste de ce groupe, lui, bosse pour la NASA aujourd’hui. Les mecs sur scène, ils sont en robe, ils font de la musique qui groove de ouf. C’est un groupe hyper intéressant. Tino, c’est un druide, peintre, artiste. Ces connexions, ces rencontres, comme avec Jonas et Léon, m’ont clairement ouvert les yeux sur la réalité dans laquelle on vit. Avant, je pense que j’avais zéro conscience de où est-ce que j’étais. Je vivais ma vie et j’étais un peu dans le truc de “Ok, il faut que j’organise ma vie pour que je gagne des sous, que je réussisse, que je fasse des trucs…” Et je pense que je n’avais pas pris le temps de me dire “Attends, mais d’ailleurs, je suis où dans l’univers ? C’est quoi l’univers ? Qu’est-ce qui se passe ? De quoi on est composé ? Est-ce qu’il y a des liens entre tout ça ?” La même année, je fais la rencontre d’artistes qui mélangent art et science. »

 

©Julia Poncin

 

 

Devenir artiste

Né d’une mère anglaise et d’un père français pour qui la culture était un monde à part, Albert s’est cherché jusqu’à tard. Des études d’histoire de l’Art dans un premier temps sous l’impulsion de son grand-père. « Une période incroyable où tu te réveilles et on va te nourrir intellectuellement. On te dit regarde comme c’est beau ça. L’Homme a généralement fait de belles choses ». Il enchaine sur un job d’assistant conservateur au Centre Beaubourg, puis dans une maison de vente aux enchères. « A chaque fois, soit c’était trop sérieux soit c’était dans un milieu où on parlait de l’art comme une matière scientifique. Et l’autre côté, on parlait que d’argent. On ne parlait jamais de l’émotion qu’il y a derrière tout ça… Mon adolescence clairement a duré jusqu’à mes 24 ans, je me suis dit “ouais je vais trouver une place dans l’art”. » Il s’était toujours refusé à devenir artiste, professionnellement. « Je pensais que c’était des gens qui étaient touchés par la grâce de Dieu. Je n’avais pas compris que c’était un truc que tu pouvais travailler. J’ai eu la chance de croiser le chemin de deux trois amis qui faisaient de la musique et qui m’ont justement un peu ouvert les yeux là-dessus. »

 

©Nicolas Despis

 

Une place dans l’Univers

La rencontre avec les musiciens de Polycool et ces artistes sont à l’origine du cheminement d’Albert dans sa découverte de ce qui nous entoure et notamment de la mécanique quantique. « À ce moment-là, en 2020, c’est le moment d’introspection. Toutes ces découvertes, ces lectures, ces conférences sur la science, sur ce monde m’ont apporté tellement de joie, de compréhension sur moi-même. Regarder des petites molécules, comment elles fonctionnent. Il faut bien comprendre que nous ne sommes que de particules. En mécanique quantique, une particule tourne dans le sens de l’aiguille d’une montre et dans le sens contraire en même temps. Donc notre propre façon de réfléchir ou d’être peuvent avoir des fonctionnements un peu magiques. Cela peut permettre d’être un peu moins dur avec soi-même, je pense, et d’être conscient de l’étrangeté de l’être et de sa magie. Ca me permettait de prendre des distances, du recul sur ma vie. »

 

Une démarche singulière

Commence alors l’idée et la composition de Twin Earth, un vrai challenge. Des pop songs aux lyrics entre rêves et réalités vont être accompagnés d’un court métrage en cinq parties dont l’intégralité sera révélée le 9 février. Il est réalisé par deux artistes vidéastes : Sandro BerroySeunghyun Park, qu’il a rencontré par le biais de Florine Fourastié, la responsable de Byebye Records, son label. « La priorité sera d’avoir une œuvre où on ressent l’histoire d’un gars qui traverse des dimensions, à qui arrivent des choses un peu particulières. Une vraie œuvre qui pourrait vivre toute seule sans ma musique. » Démarche singulière. « Aujourd’hui, j’ai l’impression que les gens ne regardent plus trop les clips. On regarde mais il n’y a pas vraiment d’interaction avec le spectateur d’où cette idée de découper. Plutôt que de se dire avec les petits moyens de label, on va bidouiller cinq ou quatre clips qui font trois minutes pour l’album, en tirant des ficelles à droite ou gauche, on a fait un autre choix, celui d’une vidéo en connexion et résonance avec les textes et la musique de l’album. » Nous vous conseillons de découvrir cette vidéo incroyable du duo Berroy & Park, Un beau soir, où l’on voit défiler au crépuscule de faux artéfacts sur une route militaire. « Tu as l’impression que tu es en train de voir des milliers d’années de civilisations. C’est hyper cool. Et eux ils ont vraiment ça. C’est un duo qui est vachement intéressé par tout ce qui est un peu fausses archéologies. Du coup, je savais qu’on allait être connecté un peu intellectuellement et ça a été le cas. »

 

 

Un univers pluriel

Twin Earth est une épopée moderne, duelle, métaphysique où l’on traverse un trou noir, Hello Black Hole, qui va surprendre par sa touche métal « Il fallait que ce soit ça parce que c’est une réalité aussi qui nous entoure. L’univers est violent. Si un corps humain devait le vivre, on est certain que ce ne serait pas très doux » pour aller jusqu’à Somewhere in the Dark, titre le plus pop des onze titres. « C’est une amie DJ qui m’a dit “quand est-ce que tu vas faire un morceau à plus de 120 BPM ? Tu fais chier avec tes trucs à 80” ». Je suis rentré, et pour lui faire limite une blague, j’ai commencé à composer un truc, c’était pas mal. Du coup, je l’ai gardé sous cette forme pop. Quant aux paroles, il y a un premier niveau de lecture. Un mec ne voulait pas aller à une teuf, il va pourtant y rencontrer une meuf. Comme quoi, le meilleur est dans le noir quelque part. Mais il y a des subtilités. Je dis justement que je ne voulais vraiment pas aller à cette teuf, etc. Mais je suis bête, j’ai oublié que le monde est fait de façon quantique et qu’il tourne de façon étrange. Cette fille s’appelle A.L.I.C.E. (nom d’une expérience menée au CERN en Suisse pour sonder les origines de l’univers, NDLA). L’idée est d’essayer de pointer du doigt les choses incroyables qui se passent aujourd’hui. Je pense qu’on n’a jamais eu autant de nouvelles découvertes et de choses excitantes qui se passent dans la science, dans l’histoire… Il y a vraiment tout le temps des choses. S’il n’y avait pas eu Einstein, il y aurait pas tout ça. » (D’où le nouveau prénom choisi par Henry, son vrai prénom ?, NDLA).

 

Cover de Twin Earth

 

Se sentir utile

Parlons de ce morceau tout en douceur au titre énigmatique qu’est Yimtyk. « C’est un morceau que j’ai écrit pour ma mère. Je travaillais au 38 riv’, un club de jazz en plein cœur de Paris. je finissais à quatre heures du matin. Je prenais le noctilien pour rentrer chez moi. C’était le moment où je venais de sortir mon EP Bedroom Posters et je recevais des messages de gens qui me disaient à quel point ma musique les touchait. Dans le bus, je croisais des gens ivres morts, des gens qui allaient travailler, des personnes sans abri. L’idée est partie de là. Sans leur présence, cette chanson n’aurait pas existé. C’était vraiment pour leur dire, quoique tu fasses, je te garantis que tu inspires beaucoup plus que ce que tu penses. Cela m’a fait aussi penser à ma mère qui est aide aux personnes âgées. Elle a toujours un truc d’humilité, même dans la vie familiale, pour elle, c’est l’autre qui a de la valeur. En fait, c’est ma façon de lui dire qu’elle m’a aussi énormément inspiré. »

 

 

Laisser respirer le silence

Quant à Kuuki Yomenai, « En vrai, c’est une expression japonaise. Au Japon, tu dis, ah, cette personne, elle est kuuki yomenai… Tu sais, il y a des gens qui, genre, s’il y a un silence inconfortable à table, ils doivent tout de suite le combler. Donc, ils ne laissent jamais respirer le silence. J’avais trouvé l’expression incroyable. Cela m’a inspiré ce morceau. Enfin, les premières phrases, l’idée d’apprends à lire le silence, justement. Plus jeune, c’est quelque chose que je n’ai pas toujours fait, laisser juste respirer le silence. C’est vraiment le morceau qui a été le plus dur à écrire. C’est vraiment là où je me sens le plus nu. Le pardon de soi-même, c’est un truc que j’ai du mal à faire. Le pardon du monde, aussi. Tu vois, la violence de l’homme, j’ai du mal à l’accepter. Quand je le joue, aujourd’hui, c’est le seul morceau où je rentre vraiment dedans. Si les auditeurs de l’album devaient retenir un truc de tout ce que je raconte, c’est vraiment ça, je pense : le pardon de soi-même, et apprendre à écouter un peu le silence. C’est méga fort, quoi. Je trouve qu’on est très durs avec nous-même, surtout aujourd’hui. Avec le monde des réseaux, on est tous à courir après une sorte de perfection. »

 

 

Twin Earth album concept ?

« Je ne suis pas parti en me disant que je voulais faire un album concept, mais tout est connecté. Même si ce n’était pas l’intention au départ, finalement c’est un peu arrivé ». Un album qui rend aussi hommage. « Par exemple, pour moi l’ouverture c’est Frank Ocean, c’était ma référence. La fin, Earthrise 2b, c’est Philippe Glass. C’est le premier morceau que j’ai écrit pour l’album. » Et entre les deux Gravity Shop, très inspiré de Tame Impala. La production de l’album a été confiée à Max Baby (Goldie Boutilier, Ichon, Hannah Jadagu).

 

Live à La Boule Noire novembre 2023, ©LFC

 

Nous terminons nos verres, prenons la direction de la station de métro la plus proche en poursuivant notre conversation sur Philippe Glass et Max Richter. La journée s’achève plus paisiblement qu’elle a débuté.

 

Twin Earth, disponible le 9 février 2024 (en streaming et en physique).

Albert Newton sera en concert à Paris, le 10 avril 2024, à la Maroquinerie.

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing