Chrysta Bell a sorti son nouvel album solo We Dissolve le 9 juin dernier. Produit par John Parish, cette errance éthérée et pop colle à la peau de l’amie de David Lynch et aurait parfaitement sa place dans la B.O. de la nouvelle saison de Twin Peaks. Le réalisateur a d’ailleurs amené à l’écran sa partenaire de studio pour la saison 3 de la plus mémorable série télévisée. Rencontre avec cette muse et artiste accomplie qui chante entre deux mondes et marche avec le feu.

Robe, manteau et top ESTEBAN CORTAZAR

Comment passe-t-on de deux collaborations avec David Lynch en 2011 et 2016 à un album solo produit par John Parish ?
Chrysta Bell : Je voulais passer à une autre étape sans m’éloigner de David Lynch car, après une telle collaboration, la transition doit être envisagée avec soin. Je le vois comme une progression, proche de ce que je faisais avant, mes fans ne se sentiront pas abandonnés. J’ai été ravie de travailler avec John Parish grâce à ma manager. Il était en haut de ma liste et je n’espérais même pas que ça arrive. C’est un beau signe du destin finalement. Après 19 jours d’enregistre- ment, nous avions un disque.

L’album joue sur des styles musicaux variés et des thèmes ambivalents ; comment as-tu réussi à assembler tout ça de manière cohérente ?
CB : Ce n’est pas réfléchi, on est juste témoin de cette alchimie. Sur l’album, plein d’éléments ont permis de mêler mon existence et mes influences à la musique. Peu importe l’état d’esprit ou les épreuves traversées, l’important est de laisser son âme s’exprimer dans la musique. Les musiciens présents ont permis de donner des directions spécifiques sur le moment : soudain on a plus d’éléments rock que jazz et c’est ce que la musique demandait pour se réaliser. Comme quand on met par hasard une ceinture rouge qui rend la tenue parfaite.

Top ACNE STUDIOS / Bustier ELLERY

On te voit souvent comme une femme fatale, c’est un archétype qui te convient ?
CB : Souvent je reste dans mon jean taille haute préféré avec une blouse et une veste en cuir. Pour la scène, je dois rester pragmatique et pouvoir bouger. Tout doit avoir l’air parfait, quoique que je fasse. De manière générale, j’aime les tenues qui attrapent la lumière et mettent en valeur la silhouette. J’adore le côté classique de la sirène hollywoodienne, à la Rita Hayworth ou Marilyn Monroe. Aujourd’hui, les shootings sont plus naturels, sans doute parce que la mode a changé. En général, j’essaie de ne pas m’imposer car j’aime me glisser dans le personnage qu’on m’attribue, comme la femme fatale, mais je reste curieuse des autres facettes.

Comment t’es tu retrouvée impliquée dans Twin Peaks ?
CB : J’ai pris des cours de théâtre enfant, puis joué dans un lm chinois il y a vingt ans, dans des publicités et dans mes clips mais rien du niveau de Twin Peaks. C’est un bond considérable, à des années-lumière de ce que j’ai fait avant, grâce à David. Je n’ai pas vraiment auditionné pour la série, il m’a dit : « Je pense que ce rôle [Tamara Preston, agent spécial du FBI ndlr] est fait pour toi ». Je voulais donner le meilleur de moi-même. J’étais nerveuse mais j’ai fait confiance à l’instinct de David.

Boucle d’oreille ADELINE AFFRE

Qu’est-ce que ça fait de jouer dans une des séries les plus inoubliables de l’histoire de la télévision ?
CB : Twin Peaks ouvre la porte à d’autres dimensions par le divertissement. Dans la série, le héros très pragmatique, Dale Cooper, utilise des éléments comme le rêve de manière scientifique pour résoudre un mystère. Les esprits maléfiques de la série élargissent aussi nos conceptions et notre expérience du monde. C’est une série puissante qui va au plus profond de nous. Et à côté de cet uni- vers parallèle terrorisant, il y a les histoires d’amour et les ruptures qui font le quotidien d’une petite ville. C’est époustouflant.

Parmi toutes les histoires d’amour de Twin Peaks, laquelle te touche le plus ?
CB : On ne peut pas les séparer, elles appartiennent au même endroit et montrent toutes les facettes de l’humanité. J’aime l’amour, être amoureuse, chérir mes liens avec ma famille, mes amis. Les relations de Twin Peaks montrent le plus bel amour qui soit et la plus grande pitié face aux épreuves de la vie. C’est aussi un avertissement : « Fire walk with me », c’est jouer avec le feu avec des conséquences. Parfaite en surface, Laura Palmer est un des personnages les plus tragiques que la fiction ait imaginé. Est-ce que Laura Palmer a été abusée ou a-t-elle ouvert la porte au mal parce qu’elle était déjà habitée par les ténèbres ?

Robe NEITH NYER / Boucle d’oreille KIM MEE HYE

Et quelle histoire d’amour raconte We Dissolve ? L’ambiance de l’album est finalement assez romantique…
CB : À l’image de Twin Peaks, il contient tous les aspects de l’amour. La nostalgie, le mystique et l’amour sont des états d’esprit que j’aime. L’écriture déploie une idée jusque dans l’intériorité, avec une part cosmique. We Dissolve, c’est se fondre l’un dans l’autre ou disparaître ensemble de l’univers pour ne former plus qu’un. On se dissout aussi concrètement dans la mort en redevenant poussière. Mon père m’a légué un cimetière et la chanson éponyme parle de ça avec une certaine douceur : un fantôme rend visite à son aimée venue se recueillir sur sa tombe. C’est une balade mortuaire avec une libération, la beauté est au cœur de la tragédie. Je voulais montrer qu’il y a toujours un horizon qui nous tend la main, même si on est désespéré.

Photos Manuel Obadia Wills – Style Tiphaine Menon – Interview Florence Abitbol
Maquillage Cyril Laine – Coiffure Yumiko Hikage – Remerciements et cœur avec les mains à Sarah Ababsa