Modzik a rencontré Mathieu Fonsny et Alex Stevens, les deux hommes derrière la programmation du Dour Festival – considéré comme l’un des meilleurs d’Europe, afin de discuter du (super) line-up, des nouveautés et des changements de cette année – mais aussi de la finale de la Coupe du Monde.

Modzik : Bonjour vous deux. Vous nous disiez l’année dernière lors de notre interview concernant l’édition 2017, que vous travailliez déjà à l’élaboration de l’édition 2018. Comment ça se termine finalement ?

Alex Stevens : C’est assez paradoxal. Notre travail s’en est trouvé facilité par des confirmations très rapides de certains artistes, dès septembre notamment. Mais le revers de la médaille, c’est que le travail est concentré sur une période de temps raccourcie, ce qui le rend très intense. Cette affiche a été plutôt facile à réaliser en termes de négociations – les artistes avaient envie de venir, beaucoup pour fêter la 30ème édition avec nous, d’où le grand nombre de propositions reçues. On est très fiers de cette année.

Une édition spéciale puisque c’est la 30ème. Quelles seront les nouveautés ?

Alex Stevens : On a décidé de garder le même nombre de scènes (7) qui changeront simplement de place, sur le même site que les années précédentes – on a eu à repenser la disposition car des entreprises vont bientôt s’y installer, des travaux y sont entrepris toute l’année et des voiries vont être construites sur le site. Pour l’instant on a encore l’occasion de s’y installer. Et donc pour la 30ème, on a prévu une énorme surprise que l’on n’a pas encore tout à fait dévoilé, mais c’est surtout en terme d’infrastructures qu’on a mis le paquet : deux nouveaux chapiteaux, du nouveau plancher partout également. On a vraiment upgradé l’accueil du public cette année.
Mathieu Fonsny : Et contrairement à l’année dernière où le mercredi se déroulait sur la Last Arena et un chapiteau pour les changements de plateau, on a décidé cette année d’ouvrir les trois grands chapiteaux et le Labo et de faire 4 soirées à thème : la soirée Diplo avec Mr Oizo, King Doudou (beatmaker de PNL, ndlr), la soirée Deewee, qui est le label des frères Dewaele (2 Many DJ’s/Soulwax, ndlr) qui présenteront leurs artistes et découvertes, la soirée “urbaine” avec Action Bronson, Lil Xan et DJ Premier et la soirée “electro” avec Modeselektor et Jon Hopkins.

On ne peut que s’attendre à un record d’affluence, sinon de diversité, pour un mercredi à Dour.

Mathieu Fonsny : C’est toi qui le dis ! Mais ça prouve que tu as compris ce que l’on voulait faire avec ce nouveau mercredi, qui permettra aux gens de passer d’une soirée new-yorkaise à un délire plus berlinois, en passant par des sonorités jamaïcanisantes.
Alex Stevens : Le mercredi est une représentation de tout le festival, il en est la colonne vertébrale en quelque sorte.

On se demande comment vous pouvez encore améliorer la scénographie, surtout après avoir dévoilé la nouvelle scène Red Bull Elektropedia Balzaal l’année dernière.

Mathieu Fonsny : L’occupation des espaces est l’une des problématiques les plus importantes à nos yeux, puisque directement en lien avec le confort du public. Ce n’est pas tout d’avoir un bon concert, il faut que tu puisses bien le voir et que tu te sentes bien en le regardant – vous pouvez vous attendre à un bien meilleur confort. Que ce soit sous chapiteau ou sur les scènes à ciel ouvert, on essaie aussi de représenter visuellement la musique qu’on y fait jouer. Pour la Red Bull Elektropedia, on a un spécialiste du VJ qui fait le tour toute l’année afin de nous ramener les meilleurs mixeurs vidéo du circuit.

Qu’est-ce que vous répondriez aux nombreuses personnes qui se plaignent à propos de l’acoustique de certaines scènes, notamment de la principale : la Last Arena ?

Alex Stevens : C’est plus complexe que ça n’y paraît. Le son d’un concert dépend de l’installation sonore sur scène, de l’ingénieur du son (qui est souvent celui de l’artiste) mais aussi des conditions météorologiques, comme le vent. Si le mec derrière la console est pas réveillé et que le vent tourne dans le mauvais sens, c’est certain que l’acoustique ne sera pas optimale.

C’est aussi une bonne idée de se mettre dans l’axe des enceintes, ce qui n’est un secret pour personne ! Autre événement particulier cette année : la Coupe du Monde de football, et sa finale qui tombe le dimanche et dernier jour du festival. Quelles dispositions vous avez pris ?

Alex Stevens : Les personnes attentives au line-up auront remarqué que la programmation de la Last Arena le dimanche est plutôt courte, avec seulement trois prestations – c’est justement en prévision d’une finale qui intéresserait le plus grand nombre telle qu’un France-Belgique. Si la finale est beaucoup moins attendue, alors on réajustera les scènes afin de la diffuser sur une plus petite.

Le hip-hop est roi encore cette année avec la présence, pour ne citer qu’eux, de Action Bronson, L’Entourage, Denzel Curry, Big Boi, Joey Bada$$ ou encore votre coup de génie selon moi : Booba.

Mathieu Fonsny : Le hip-hop est roi, oui et non. Beaucoup de gens sont induits en erreur par la domination du hip-hop dans les médias c’est certain, mais on a aussi beaucoup d’électronique, de guitares en folie et des noms grandioses comme Alt-J, Thee Oh Sees, Beth Ditto – une belle programmation sur la Caverne aussi.
Alex Stevens : Concernant Booba, on est super fiers car il n’a annoncé que deux dates cet été (Cabaret Vert, ndlr). C’est l’année de l’album, de son concert événement à la U Arena. Il était programmé en 2006 mais avait dû annuler à la dernière minute. Ça faisait tout de même 13 ans qu’on essayait de le faire revenir.

Quel est selon vous le plus gros coup de cette année ?

Alex Stevens : On a eu beaucoup de difficultés à avoir l’Entourage, qui sera au complet et qui n’a annoncé aucune autre date, en prime sur la Last Arena. On aurait pu faire venir Orelsan, qu’on aime beaucoup, mais il avait annoncé trop de dates à notre goût, on a donc préféré miser sur eux.
Mathieu Fonsny : On aime aussi beaucoup l’anticipation, comme pour Honey Dijon – on en reparle dans six mois, car elle aura le statut d’une Black Madonna à mon avis.

Et votre plus belle surprise ?

Alex Stevens : Sans hésiter, Tyler, the Creator, que tout le monde s’arrachait et qui a décidé de venir chez nous après avoir annulé en 2014. Il débutait sa tournée par son passage à Dour et n’a pu prendre son vol qui le menait de Vancouver à l’Europe. Cette année, on est au milieu de sa tournée européenne, peu de risques qu’il annule donc !

Est-ce que le fait d’avoir bouclé la programmation très tôt ne laisse t-il pas la place au risque de changement de programme de la part des artistes, ou des managements ?

Mathieu Fonsny :  Je vois plutôt le problème dans l’autre sens : Imaginons que les Daft Punk décident de tourner et qu’on n’ait pas de place pour les programmer ! On serait vraiment déçus.

J’aimerais discuter de votre rôle de curateur. Vous avez misé sur le rap belge depuis plusieurs années et tout le monde est d’accord pour dire qu’il ne s’est jamais aussi bien porté. Vous avez longtemps misé sur DC Salas, qui viendra cette année jouer en full live band. Je me souviens également de votre action caritative avec Caballero & Jean Jass dans des orphelinats en décembre 2016. Bref, vous vous posez en tremplin aussi bien pour l’avant-garde belge qu’internationale.

Alex Stevens : Ce sont des artistes qui savent pertinemment comment communiquer, ils sont très présents et novateurs en terme de contenu, que ce soit dans leurs projets respectifs ou sur les réseaux sociaux. Et ce sont des artistes qu’on suit depuis très longtemps, comme Roméo Elvis qui avant de jouer chez nous pour la première fois en 2014 était un festivalier assidu.
Mathieu Fonsny : Juicy, Krisy, Isha en hip-hop, mais aussi DC Salas ou Cellini. C’est des artistes qu’on programme car on croit en eux plutôt que pour dire de les mettre en warm-up.
Alex Stevens : Comme Amelie Lens, qui a débuté par des warm-up chez nous et qui chaque année joue de plus en pus tard.

On parlait de football tout à l’heure – c’est aussi une manière de vous tester :  quel est l’artiste le plus capé de la programmation ?

Mathieu Fonsny : Tu connais la réponse ? Lomepal est déjà venu 3 fois…
Alex Stevens : Paul Kalkbrenner doit en être à 4 apparitions. Je me souviens de sa première venue, j’étais en backstage et mon téléphone n’arrêtait pas de sonner, autant dire que j’étais dans le jus et un mec me dit “Où sont les navettes pour retourner dans les loges ?”, je lui demande sèchement qui il est… il me répond Paul Kalkbrenner ! On en a bien ri et on est devenus très copains. Amelie Lens en est à sa 3ème fois aussi…
Mathieu Fonsny : C’est Dave Clarke enfin !
Alex Stevens : Exactement, Dave Clarke est venu 7 fois je crois – en tant que non-résident évidemment, car il y a Lefto qui gère une scène chaque année, mais qui de ce fait est considéré comme résident.
Mathieu Fonsny : On peut parler en terme de fréquence ou d’amplitude également. Amelie Lens était présente les trois dernières années, je ne crois pas qu’un autre artiste l’ait déjà fait – De la Soul a participé à la 3ème édition et était présent pour la 29ème l’année dernière, Dave Clarke a fêté sa première venue en 1997, et revient encore au bout de 21 ans.
Alex Stevens : Il faudrait jeter un œil aux musiciens aussi, qui viennent avec des formations différentes. Guillaume de The Blaze me disait qu’il venait depuis dix ans à Dour, je pensais que c’était en tant que festivalier, il m’a répondu que non ! Trois fois avec Panda Dub, deux fois avec Lone.

Comment on brise la routine quand on est programmateurs depuis 5 à 10 ans comme vous l’êtes ?

Mathieu Fonsny : A nos débuts, on envoyait quelques demandes avant la pause de Noël et on bouclait souvent la programmation entre mars et mai. Cette année, on avait tout bouclé avant la pause de Noël, donc en terme de monotonie on ne se fait pas de souci. Concernant la musique, les tendances changent sans cesse, de nouveaux artistes émergent, de nouveaux genres également. On est toujours très excités à l’idée de programmer. Quand l’excitation ne sera plus au rendez-vous, alors ce sera peut-être le moment d’arrêter.

Est-ce que vous diriez qu’au fil du temps, votre flair s’est aguerri ? Je pense à Jean-louis Brossard (programmateur des Trans Musicales depuis 40 ans, ndlr) qui peut estimer le potentiel d’un artiste qui joue devant 10 péquenots dans un bar du fond de l’Angleterre, et le faire jouer devant 30.000 personnes à Rennes le mois de décembre venu.

Alex Stevens : Nos exemples à nous pourraient être I Hate Models, on savait qu’on voulait le faire jouer sans savoir où, quand ni comment – ou Blu Samu, que Mathieu a vu dans un bar, m’a de suite parlé de son côté DIY et m’a dit qu’on devait absolument la programmer. Elle a déjà pris du gallon depuis.

Vous pensez faire ça longtemps encore ? On parlait de Jean-louis Brossard qui avoisine les 70 ans maintenant.

Mathieu Fonsny : Je ne fais pas ça pour un bénéfice personnel, ça définit déjà beaucoup ma vision de la chose. Je suis très heureux quand un concert commence et que je vois les gens heureux avec moi – je ne veux surtout pas finir en vieux aigri qui ne comprendrait plus les métamorphoses, les enjeux ou les besoins de la musique et de son industrie. Je préférerais aller vendre des gaufres de Liège dans un food-truck à Ouagadougou plutôt que de finir comme ça.
Alex Stevens : On note généralement toutes les belles phrases qu’on sort pendant la promo, ce sera la première de cette année !


Modzik vous fait gagner tout un tas de goodies du festival. Rien de plus simple pour participer, envoyez vos nom et prénom à jeu@modzik.com avant le 30 mai 2018 avec la mention DOUR en objet. Bonne chance !

Retrouvez toutes les informations et la billetterie sur le site du festival.