Le terme « K-pop » s’impose comme un cheval de Troie abritant une scène R’n’B prolifique et extrêmement talentueuse. Portrait d’un genre qui creuse son sillon vers le haut de l’affiche.

Le 20 octobre prochain, l’AccorHotels Arena et ses 20 000 places accueilleront l’emblématique groupe BTS, premier ambassadeur de la K-pop à l’étranger. Leur dernier opus s’est hissé à la première place du Billboard 200 (une première pour un album non anglophone), leurs derniers singles squattent le haut de l’affiche et le groupe ne cesse de multiplier les performances scéniques remarquées. Invités sur les plateaux des talk-shows en vogue — celui d’Ellen DeGeneres ou, récemment, celui de James Corden — les sept garçons aux 11 millions d’abonnées sur Instagram s’imposent rapidement et très sûrement.

De l’autre côté de l’Atlantique, à Los Angeles, aura lieu le KCON 2018, réunissant des grands noms de la musique populaire coréenne actuelle. Évidemment, les artistes K-pop répondront à l’appel mais pas seulement puisque Crush, l’une des figures de proue de la scène R’n’B sera aussi présent. Après un début d’année bien amorcé avec des singles comme « Stevie Wonderlust » (en featuring avec Band Wonderlust) et « Bittersweet », le jeune chanteur prévoit une tournée à travers le pays de l’Oncle Sam, passage obligé pour de multiples artistes coréens qui veulent évoluer en dehors des frontières nationales. C’est le cas de Zion.T, annoncé pour la première édition du festival Heads in the Clouds, en septembre, dans le parc historique de Los Angeles. Ceci, après avoir déjà sillonné les routes pour une série de concert au Canada et aux États-Unis. Eldorado d’ailleurs déjà conquis par Dean, qui marque déjà le paysage de sa voix suave. Celui qui est surnommé le « prince du R’n’B » compte à son actif des collaborations avec Syd (chanteuse de The Internet) et Anderson .Paak sur les morceaux « Love » et « Put My Hands on You ». Il était d’ailleurs en concert à Philadelphie le 16 juin dernier.

Véritable arme diplomatique, la K-pop résonne sans fausse note, aussi bien à l’échelle régionale (la Corée du Sud envoyait ses meilleurs éléments chez sa voisine du Nord pour briser la glace et plus si affinités) qu’à l’internationale. S’exportant tout en gardant la marque de sa provenance géographique, elle inclut dans son sillon de nombreux artistes éloignés de cette image stéréotypée (les fans d’amalgames crieront kawaï) de groupes pré-formatés, destinés à être consommés par un public souvent adolescent — synonyme de décrédibilisation assurée. Parmi eux, se trouvent les représentants de la scène R’n’B dont le genre musical semble être tu. Ainsi, s’il peut leur assurer de conquérir plus d’audiences, le terme fourre-tout « K-pop » n’aurait-il pas pour eux des allures de prison dorée ? Dans un genre ultra saturé mais en renouvellement constant, qu’apportent ces artistes à cette plateforme R’n’B mainstream sur laquelle les Américains règnent en toute hégémonie ? De quelle manière remettent-ils en question les représentations de ce paysage musical ?

Déjà en fin d’année dernière, Red Bull Music diffusait un mini-documentaire (réalisé par Andrew Sales) sur la scène R’n’B coréenne en pleine ascension. Le jeune chanteur américain Gallant (dont l’album Ology a été nominé aux Grammys) y rencontrait Lee Hi, chanteuse R’n’B, ainsi que le rappeur Tablo et le producteur DJ Soulscape pour parler influences et origines de cette vague. Alors que les générations antérieures étaient plutôt réticentes aux musiques funk et soul, ces dernières ont gagné en popularité auprès des jeunes. Et puisque de ces genres au R’n’B, il n’y a que quelques pas, le jeune public actuel en est devenu adepte, cherchant à vibrer au gré des performances live de plus en plus recherchées. « La scène coréenne R’n’B qui monte aujourd’hui est devenue visible au cours de ces trois dernières années, mais il y a toujours eu des artistes appartenant à ce genre », explique Tamar Herman, journaliste au Billboard. « À la fin des années 90, il y avait beaucoup d’intérêt de la part du public à cet égard. Ce n’est que maintenant qu’il se manifeste davantage dans le mainstream », rajoute-t-elle. « L’apparition de Jay Park vers 2010 a aussi été un boom. Il ramène du rap coréen aux États-Unis, il a signé chez Jay-Z : c’est super qu’un artiste asiatique puisse être aussi influent », analyse Riddhi Chakraborty, journaliste au Rolling Stone India. En effet, l’arrivée de Jay Park l’année dernière chez Roc Nation a été une nouvelle assourdissante. Originaire de Seattle, le chanteur-danseur-acteur-mannequin-bboy qui a fondé des labels en Corée vient d’ailleurs de sortir le clip de « Soju », en featuring avec 2 Chainz.

« Ils ont commencé en étant inspirés par la musique occidentale : Ne-Yo, Usher, etc. Mais cela ne les empêche pas d’incorporer des thèmes liés à leur société, à leur culture, comme la pression des études », révèle Riddhi Chakraborty. Des thèmes qui jetteraient les lueurs d’une frange d’artistes actuellement invisible. Sans compter que ces influences ne restent pas cantonnées à elle-même : sur le titre « Cinema » de son album OO, Zion.T rafraichissait le genre par ses influences bossa nova. « En 2016, lorsque Dean a dévoilé son premier EP, il a été capable de construire un pont entre les artistes de ces deux univers — K-R’n’B et K-pop. Il incorporait des éléments comme le maquillage à son style », raconte-t-elle. En effet, côté mode les membres masculins de formations K-pop piochent souvent sans complexe dans un look androgyne (maquillage et boucles d’oreilles), notamment inspiré des mangas. Une manière de remettre en cause la représentation occidentale du chanteur de R’n’B, loin du « six-packs » de rigueur ? « Je pense que c’est une erreur de regarder ces musiciens à travers les idéaux de beautés européens. Il s’agit surtout de goûts individuels », commente Tamar Herman. Peut-être la preuve qu’il faudrait cesser tous liens faciles entre les deux univers et clarifier les choses une bonne fois pour toutes : « ”K-pop” est un terme utilisé pour décrire la musique coréenne populaire en Occident. En Corée, c’est de la “idol music”, distincte des crooners R’n’B », commente la journaliste du Billboard. Elle complète : « Mais l’industrie de la musique est très petite, alors il est courant que ces deux mondes collaborent. Heize a récemment produit un morceau pour Wanna One ».

Si la K-pop est davantage un emballage-fusée destiné à l’international plutôt qu’un genre réel, alors pas de quoi sous-estimer le talent de ceux qui font le trajet, scène R’n’B incluse. « Mettre une étiquette “K-pop” sur quelque chose, ce n’est plus ce que les gens croient. Ce n’est pas “Gangnam style” », lance Riddhi Chakraborty.  « Quand on pense R’n’B, on pense directement Amérique du Nord. Là, j’ai l’impression qu’ils font entendre nos voix — à nous asiatiques — dans le paysage populaire R’n’B actuel ». Une manière de remettre l’hégémonie en place, que la barrière de la langue fait souvent pouffer de rire. Peu importe. « Le futur du K-R’n’B est brillant. Je le vois vraiment grandir de plus en plus comme un nouveau genre de R’n’B », déclare la chanteuse Lee-Hi.