Vêtu d’un imper beige, guitare dans le dos, Jim Bauer nous rejoint entre deux rendez-vous promo pour son album BB98, sorti le 2 février dernier. Album où il expose ses propres failles et ses combats.

 

 

De l’influence des filles

« J’ai eu tendance à trop être timide, à être trop fasciné par elles dans ma jeunesse. Maintenant, c’est moins le cas. Mais par contre, j’écris sur cet état de fait. C’est beaucoup les filles qui drive avec moi. J’aime bien cela. Je suis un garçon qui a été élevé par des femmes. Il y a un truc où je me laisse embarquer un peu. Je trouvais intéressant de le dire. Les mecs, aujourd’hui, dans les albums, c’est beaucoup “je suis le plus fort, je suis le plus beau, je suis le meilleur, je suis un super-héros”. En fait, c’est un peu la culture dans le rock. Tout le monde est dans une sorte de délire d’être le patriarche ultime. Aujourd’hui, tu vois que les hommes font un peu plus leur part de taf dans une relation. Ils mettent un peu plus leur propre fragilité, leur propre timidité, leur propre sensibilité en avant. Ce n’est pas dévoiler ses faiblesses, c’est être fort. Même si je n’aime pas trop le terme “déconstruit” que je trouve péjoratif, je pense que les hommes doivent être un peu reconstruits, réconciliés avec leur part de sensibilité. Car il y a une certaine assignation au fait d’être un homme avec tous les stéréotypes qui vont autour. Aujourd’hui, c’est ce qu’on essaie un petit peu de changer. Ce n’est pas parce que tu es une femme que tu dois être ça. Ce n’est pas parce que tu es un homme que tu dois être ça. Je dis que je suis timide, et je dis que je suis amoureux quand je suis amoureux, et je dis que je suis touché quand je suis touché, et je dis que j’ai peur d’agir quand j’ai peur d’agir. C’est bien d’arriver à le dire en tant qu’hétéro, car cette façon d’agir est toujours associée à un changement d’orientation sexuelle. Moi, je trouve ça bien de dire que dans le monde, c’est aussi le cas du mec hétéro, mais ce n’est pas très présent dans le discours. Aujourd’hui, ils sont culpabilisants, les mecs hétéros. »

 

 

S’éloigner de soi, pour mieux se retrouver

Tout démarre par un plan foireux. « Je devais juste faire un road trip en Corse et notamment à Albi avec une tournée de quinze dates en début août 2022. La veille du départ, j’apprends que ça n’existe pas. Je venais de bosser comme un acharné. J’avais fait de la musique pour deux séries pour Amazon Prime notamment. Là, j’arrivais au truc, ok, je n’en ai rien à foutre. Cette expérience ne sera pas négative. J’ai pris un billet pour la Tunisie. Les quinze jours, je les remplace par ça. Je suis parti à Djerba. Comme je n’aime pas trop les ambiances touristes, je me suis mis en mode road trip. Je suis parti trois jours dans le Sahara, ce que je rêvais de faire. À Djerba, je me suis retrouvé dans une sorte d’ambiance un peu chelou; dans le Djerba underground à traîner avec les DJs de Djerba, à chanter avec une chanteuse, dont le frère est un DJ cool, qui mixe à Berlin ». Plusieurs retours à Paris, entrecoupés de séjours à Berlin, en Thaïlande avant le départ pour Londres. L’album s’écrit lors de ses multiples voyages.
« En me retrouvant là-bas, je réalise qu’en fait, j’ai toujours 17 ans. Une fois qu’il n’y a plus l’enjeu, plus de thunes à gagner, plus de gens à séduire, au sens professionnel du terme, je rallume Final Fantasy, Pokémon, je réécoute Nirvana. J’ai 17 ans. Je n’ai pas bougé. En fait, j’ai juste vécu une sorte de doctorat du capitalisme entre 17 et 28 ans. En fait, tout le système nous désincarne beaucoup. »

 

Extrait du court métrage The Misfit Boy (2017)

 

Retour au rock

« Si je ne m’étais pas barré, j’aurais fait un album de pop électro. Je sais que c’est dans l’air du temps, que j’aurais fait kiffer mes potes à Paris, que j’aurais été cool auprès des meufs, des directeurs artistiques ou des médias. Je me suis retrouvé en Espagne, dans un pays qui écoute encore du rock. J’ai réussi à trouver une sorte de courage à être moi-même et à continuer d’aimer la guitare. Même si je suis aussi un mec qui a grandi avec le rap, avec l’électro et que j’ai envie d’en faire. Il y en a dans ma mixtape (Jim, NDLA). Seulement là, je ne sais pas, j’ai reconnecté avec le gamin qui écoutait Archive ».  L’album est enregistré au studio La Briche en campagne tourangelle. Un album au cahier des charges précis.

« Je voulais limiter le temps, l’équipe, le matos, pour créer un son sans qu’on ait à penser au style. Je me disais il faut qu’il y ait une cohérence. Je ne voulais pas que ce soit le style de musique la cohérence. » Unicité de temps, de lieu et de matériel. « Il n’y a qu’un Jupiter 8 en guise de synthé, il n’y a qu’un Minimoog en guise de synthé basse, il n’y a qu’une TR-808 en guise de drum machine, il n’y a qu’une batterie, il n’y a qu’une basse, il n’y a qu’une guitare acoustique, il n’y a que deux guitares électriques, mais toujours la même en avant et la même en arrière, et il n’y a qu’un orgue et un piano. » Klem Aubert, bassiste qui accompagne Jim, explique la méthode de travail ici.

 

Jim et Klem Aubert © Simon Gosselin

 

L’album a été mixé à Londres par Dimitri Tikovoï. « Ça fait très longtemps que je le connais entre guillemets. J’étais allé le voir à Londres quand j’avais 20 ans. Ça fait longtemps qu’il est un peu dans la boucle. Vu qu’il n’est pas donné, je n’ai pas pu bosser avec lui avant (Dimitri a travaillé avec Placebo, Sophie Ellis-Bextor, The Horrors, Purple Disco Machine, Shakira…, NDLA). » Chacun a fait un chemin pour que la collaboration ait lieu. « Je voulais que l’album soit un peu fat. Je voulais qu’il y ait un son type brit pop, un peu 90’s avec une gestion des fréquences actuelles. Je ne voulais pas que ce soit non plus vintage, juste que ce soit les bonnes distorsions. À l’époque, on était sur des plages de fréquences assez médium. Là, je voulais qu’il y ait un peu des trucs Imagine Dragons dans la gueule. »

Le mastering se déroule à Los Angeles sous la houlette de John Greenham (Billie Eilish, Angèle, LP…). « Lorsque je reçois les masterings je me dis qu’il y a ce truc un peu cynique, mais que j’aime bien, des Américains, qui te font un mastering pour que ça sonne plus fort en stream. La vérité, j’aime bien quand ça tabasse. Les américains ont une vision « straight to the point ». L’authenticité se passe à la compo, à la prod, à la prise de voix. Le mastering, c’est une sorte d’abandon. Je veux que ça fasse sonner le truc fort. »

 

 

Craig Walker, une rencontre essentielle

Christophe, le chanteur, fut le go-between posthume entre ces deux-là lors d’une soirée hommage à Juvisy en juin 2022. Craig Walker (ex Archive) chantait Les Mots bleus, Jim Aline. « Il y avait genre six heures d’attente en backstage. Je me retrouve dans une sorte de cuisine à l’intérieur de la mairie, avec tout le monde qui se servait au catering, du riz dans des assiettes en carton. Je vois Craig Walker. Je lui fais “By the way, I’m a big fan”. C’était gros pour moi ! Archive, c’est au même rang que Radiohead, Coldplay ou Jeff Buckley. Et du coup, je passe huit heures à discuter avec lui. J’ai tout de suite senti un truc très naturel avec lui. On a ensuite bossé ensemble à Berlin (Craig Walker y vit, NDLA) sur plusieurs titres. Ce qu’il aime, ce qu’il a tendance à valider, c’est un petit peu ce que j’ai tendance à vouloir faire. » De nombreux titres sortiront de cette séance berlinoise, seulement deux figurent sur BB98 dont le duo Reverse. « Il reste neuf morceaux qui ont été faits à la Briche aussi, mais qui n’ont pas été finis. On s’est rendu compte qu’ils marchaient ensemble. On s’est posé avec Marc (Marc Colin, Nouvelle Vague mais aussi à la tête du label French Parade, NDLA). Il m’a dit “Mec, en fait on va faire deux albums”. Il y a un peu plus d’anglais que dans l’album. Ce sera la partie 2 de BB98 », avec notamment un titre de 8 mn 15 intitulé Princess of Sahara.

 

 

Retrouver la scène

Un set d’une heure trente est déjà prêt, mais en jouant les tous premiers titres de Jim extraits de The Misfit Boy. « J’aimerais bien arriver à un set de deux heures, deux heures et demie avec les nouveaux titres. De plus, on ne fait pas toujours le même set à l’image de Radiohead. On a un truc sur scène un peu chelou où on joue en mode Nirvana : Power Trio, pas d’ordinateur. » Cela promet pour la Boule Noire du 31 mars 2024. Le live, Jim l’a connu tout jeune, tout d’abord dans la rue, le métro mais aussi avec Nouvelle Vague ou Bristol.

Il nous livre quelques anecdotes. « Un jour, nous devions faire un concert d’une heure. On  fait un peu moins traîner les fins de morceaux et on enlève trois titres. On a tenu le pari, 45 minutes en moins. Tu vois, pour te dire à quel point on fait n’importe quoi. On est assez punk en live. On y va sans avoir jamais répété, exception faite pour le premier concert. L’avantage est que ça fait des années qu’on joue ensemble. Bon, il faut quand même que je fasse gaffe. Il y a eu un concert où j’ai fait de la merde. J’ai oublié Marilyn in You, j’ai oublié le morceau. Heureusement, c’était le rappel ». Ce morceau comporte treize accords, il ne l’avait pas joué depuis deux ans. « Je commence le morceau et là, je ne connais plus les accords. Klem (Clément Aubert, bassiste, NDLA) voit que je suis en galère, mais il croit que je bluffe un peu aussi, que ça va. Puis il prend le micro pendant que je cherche. On l’a juste joué 2 000 fois. Moi, j’étais là et je me suis dit, mec, ne fais pas cette blague-là. Parce qu’en vrai, là, vraiment, je ne l’ai pas. Et je ne l’ai pas eu. On a fait finalement autre chose. J’étais désolé. Et je ne l’ai retrouvé qu’à l’hôtel. Et c’était un putain de Do. Heureusement, c’était un « petit » concert avec beaucoup d’habitués qui m’avaient vu déjà vingt fois en concert… C’était plus drôle qu’autre chose. Ils ont plutôt rigolé. »

 

© Simon Gosselin

 

Découvrir l’acting et la danse

« Je jouais dans la rue tout le temps, je jouais dans le métro. On me parlait tout le temps de mes parents. Je me suis dit “ok je veux faire autre chose, je veux avoir ma propre vie”. Comme l’acting m’intéressait, j’ai fait le Cours Florent. C’était super cool et super fun. La première année, je faisais 45 heures de cours par semaine. Mais il y a un moment où dans le cursus c’est plus vraiment de l’apprentissage. Y’a une ambiance un peu chelou. » Chaque élève calcule les alliances à faire dans l’objectif d’avancer plus vite et sortir du lot. Jim quitte donc le cours avec l’aval de son professeur Xavier Florent. « C’est une super école. J’ai même fait 18 heures de danse par semaine pendant six mois. Aujourd’hui, je ne sais toujours pas danser. Il y a des trucs qui ne sont pas en moi. Mais quand même il y a une vidéo qui traîne sur Internet où je joue John Travolta. J’avais 20 ans. »

 

La nécessité de se structurer

Jim a son propre studio et créé son label : Cody’s Creative sur lequel il a sorti Jim (Mixtape) avec deux objectifs : disposer d’une structure pour ses autoproductions, disposer des éditions lors de ses productions et compositions pour d’autres artistes ou de musique à l’image, deuxième corde à son arc qu’il a débuté tout d’abord avec un pote. Qu’il a continué en solo notamment sur des courts et moyens métrages. « Je viens de re-bosser sur un film qui va sortir dans six mois, un an, avec Laurent Pérez-Delmar, qui est un grand compositeur de musique de film. Il a eu la gentillesse de m’inviter au mixage dans une salle de cinéma faite pour ça. C’est un peu une dinguerie. »

 

 

L’expérience télé

« Au moment de The Voice, j’étais déjà structuré. J’avais mon propre label, mon propre studio. Je pouvais assurer tout seul derrière. Je n’avais pas besoin de me faire repérer par qui que ce soit. De toute façon, je sortais d’un contrat avec Warner. Je l’ai fait parce qu’il était nécessaire qu’il se passe quelque chose pour moi. Imagine, tu sors des sons, t’as 10.000 vues, ça ne bouge pas. Tout le monde s’en branle. » L’expérience télé change tout. « En vrai, j’ai kiffé. C’était une super expérience parce qu’on te met des équipes que tu n’auras peut-être plus jamais entre les mains. Ils m’ont laissé faire tout ce que je voulais. J’y suis arrivé comme un boulet de canon. Je leur avais pré-enregistré toutes mes étapes. “Si vous me prenez, c’est ça jusqu’à la finale. Je me fais peut-être virer entre temps, mais en tout cas, tant que je passe, ça continue avec ce plan-là”. Et du coup, vu que je suis arrivé jusqu’au bout, on a tout fait. »

« L’image est prépondérante sur The Voice. T’es à la téloche, du coup, les gens te voient comme une image. Tu passes dans ce programme, tu as six millions de personnes qui te voient toutes les semaines. Tu as un milliard de médias qui parlent de toi pendant six mois. Tu passes un peu dans le cap. Il faut être un peu plus indulgent avec les gens qui font ce programme parce qu’ils ont tendance à être vus aujourd’hui comme des sortes de candidats de télé-réalité. Non, ce sont des chanteurs en galère, car il faut dire que l’aristocratie dans la musique existe. Il y a des chanteurs qui doivent avoir aussi le choix de pouvoir faire une musique un peu branchée, un peu compliquée parce qu’ils ont moins de galères financières et donc moins d’urgence. Si on considère que l’art est encore un truc ouvert à tout le monde, il va falloir arrêter de cracher sur les gens qui passent par d’autres voies qui leur permettent d’accéder à ça alors qu’ils n’en viennent pas du milieu. »

 

 

Un travail permanent

« Je ne suis pas un musicien dans ma tête. Je me reconnais cent fois plus dans la mentalité des réalisateurs de films ou dans la mentalité des dessinateurs de BD (Jim voulait devenir designer pour jeux vidéo, NDLA). J’ai une mentalité de mec qui crée un objet. Je ne me vois pas comme étant le produit. J’aimerais bien qu’on se fiche de mon look, de ma gueule, juste que chaque album sorte comme un film. C’est limite militant chez moi, maintenant. Chaque album est un film pour moi. Je ne cherche absolument aucune cohérence. La musique, c’est un peu un des rares métiers où il doit y avoir cohérence. Regarde les acteurs, ils peuvent changer de film, changer de rôle. La musique, c’est vraiment ce truc où c’est toi l’œuvre. Mais c’est horrible de faire ça avec un être humain. Mon objectif est vraiment de faire de la musique comme je ferais des films, chaque film étant différent. Mon travail, c’est un travail de chercheur. Mon taf, c’est de ne jamais trouver justement. C’est de passer ma vie à chercher. Le jour où tu me dis que je me suis trouvé, je suis mort. »

Nous laissons repartir Jim, guitare au dos, pour sa prochaine promo et terminer un documentaire sur l’enregistrement de son album BB98 à venir très prochainement.

 

BB98 est disponible via French Parade.

Jim Bauer sera en concert le 31 mars 2024 à la Boule Noire.

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing