En 1979, quand l’association Terrapin lance la première édition des futures Trans Musicales de Rennes, les festivals étaient une denrée rare dans les plaines Bretonnes. Jean-Louis Brossard, co-fondateur, raconte comment concerts après concerts, s’est enclenchée la machine des Trans : la rencontre musicale qui véhicule les artistes de demain depuis 45 ans.
« Je ne suis pas vraiment dans l’actualité, mais les trans vont la faire quelque part » explique Jean-Louis. « On n’est pas du tout un festival de pros » il renchérit. Mais avec leur formule automne-hiver, « les salles fermées, les éclairages, le côté club, concert le soir » et leur programme éclectique, les Trans sont devenues un incontournable des mélomanes.
« Sans les groupes, on n’aurait pas fait les Trans »
Aujourd’hui, le déroulement des Trans Musicales est bien rodé, le festival s’articule autour d’un patron au tracé net. Et pourtant, aux fondations des Trans, il y avait quelques étudiants qui aimaient la musique « C’était salle de la cité, 1000 places, sur deux jours, au mois de juin. On est passé en décembre en 80 parce qu’on n’avait pas eu le temps de retravailler un festival. On ne savait même pas si on allait en faire un autre. Des groupes sont venus nous voir : « c’était bien, vous ne le refaites pas ? Si, peut-être ». Sans eux, on n’aurait pas fait les Trans ».
Le festival débute maintenant le mercredi et se clôture le dimanche, « il y a le gros hall 9 qui ouvre, le vendredi et le samedi qui fait 9000 places ». L’influence des Trans s’étend désormais au-delà des frontières et des dimensions musicales : « Au début c’était que des groupes Rennais, après des Bretons, puis un peu plus de Parisiens. Il y a beaucoup d’invités de Corée, du Japon, d’Allemagne. » Les Trans se sont même exportées en Russie et en Chine. Le seul critère de Jean-Louis, c’est d’aimer ce qu’il entend. « La musique arrive de partout. Si je veux faire Khun Narin, un groupe qui fait des balles de mariage en Thaïlande avec un sound system qu’ils ont pris sur du matériel Japonais de la dernière guerre, c’est ça qui est intéressant. » Et même s’il n’est pas adepte de tout, il s’adaptera pour le public, « je ne suis pas très métal, mais j’en ai fait un peu dans le style, à ma façon. »
Comme chaque année, Jean-Louis a son défilé planifié : « J’attends le début des hostilités. Ça va être cinq jours vraiment intenses, du début de l’après-midi jusqu’à 6h, 7h le matin. » Et sous sa casquette d’artisan polyvalent, il est même rabatteur de foule : « Je présente les premiers artistes l’après-midi à L’Ubu, au Liberté et au Parc Expo, ce qui me permet de dire aux gens d’approcher plus près, pour le groupe, parce que c’est toujours difficile d’ouvrir. »
« C’est une vision je dirais, un truc que je ressens fort »
En réalité, les foules, ils les attirent en amont, des mois avant, lorsqu’il prépare la programmation du festival avec son acolyte Mathieu Gervais. «On voyage ensemble, c’est un bon compagnon. Quand tu vas en Angleterre, au Pays-Bas, à deux, c’est bien. Et puis, quand on va sur un festival de showcase, on écoute les 400 groupes, mais pas ensemble alors qu’on est dans le même bureau. Et après, on vient « t’as noté quoi ? » et on se retrouve sur 90% ou 80% ». Une fois qu’ils ont accordés leurs violons, il reste à composer la partition du festival « C’est une vision je dirais, un truc que je ressens fort, l’année dernière j’ai mis presque un mois de plus, parce que je ne trouvais pas. Pour moi les choses vont s’emboîter les unes aux autres. Un peu comme un puzzle. Et puis, là, il va me manquer une pièce et le DJ va combler. »
Également en charge du programme de l’UBU et des résidences du théâtre à l’Aire Libre, Jean-Louis a bien des cordes à son alto. Et, parmi ses nombreuses occupations, il lui est arrivé de murmurer aux oreilles des artistes. « J’ai fait Blur deux fois, au début. Et Damon Albarn sort de scène après un morceau des Kinks. J’ai dit, « écoute Damon c’est bien les Kinks, mais tu veux pas que le public s’en aille plutôt avec un morceau de Blur dans la tête? ». Et pof ! il est remonté. »
S’il représente l’une des âmes des Trans, il n’est pas le seul témoin de ce passé commun. L’héritage s’est aussi rependu dans la foule : les Trans musicales sont désormais transgénérationnelles. « C’est assez rigolo. J’ai une amie Jacotte, elle vient avec sa fille et sa petite-fille. » Et Jacotte a, elle aussi, ses petites habitudes au Trans, « son truc c’est le jeudi, elle n’aime pas finir à 7h du matin et elle n’est pas très branchée musique électronique. Donc le jeudi ça l’est un peu moins et ça finit à 3h. Ça elle aime bien, c’est plus posé. »
« On n’est pas là que pour la révélation, on est là pour voir des groupes au moment où ils font la musique la plus excitante »
Jacotte et sa famille illustrent notamment comment les Trans Musicales se sont inscrites au-delà d’une scène d’exposition. « Chacun a son histoire des Trans. Ce n’est pas juste, Portishead, Daft Punk ou Nirvana. Les gens vont me parler aussi de plein d’autres groupes qui ne sont pas passés à la postérité, mais qui ont été un moment important de leur vie. On n’est pas là pour faire que de la révélation, on est là pour voir des groupes au moment où ils font la musique la plus excitante, à leur début, avec toute leur énergie, » ajoute Jean-Louis. « J’ai les souvenirs de concerts extraordinaires et de groupes que je n’ai jamais revus de ma vie. Mais ce n’est pas grave parce que j’ai vu ce concert-là. Il y a des groupes, tellement déments, que tu n’as même pas envie de les revoir, jamais. »
En presque 45 ans, bien des concerts ont défiles sous les oreilles du co-fondateur, eux aussi, marqueurs d’une époque. Chacunes de ces prestations ont imprimées leurs identités sur celle des Trans. Durant ses années de confections, le festival a connu quelques périodes mouvementées, et d’anthologie. Jean-Louis Brossard en a été parfois initiateur parfois spectateur, comme ce 20 décembre 1985 lors de la performance interactive du groupe Sigue Sigue Sputnik.
« Mark Zarmati, un pote des mecs de The Clash, m’avait dit, Jean-Louis j’ai un groupe pour toi, et dedans il y a Tony Jams, le bassiste de Generation X, le groupe de Billy Idol. Il me dit « c’est la troisième génération du rock n’ roll ». Et sur ce concert des Trans, il n’y avait personne, les Redskins, un groupe skin mais de gauche, ont dit « on ne joue pas » et on a pris une heure dans la gueule. A l’époque on n’était pas pro. Donc ça a été décalé et après, c’était les Wooden Tops puis Sigue Sigue. Les mecs avaient des dégaines avec des cheveux qui partaient dans tous les sens. Leur agent anglais Rob Alet était là, il nous dit « vous avez du retard, je veux 300 livres de plus ». On le lui a filé et avec cet argent, il a été voir le tour manager des Wooden Tops, il lui a donné l’argent et il lui a dit « fait en sorte que le groupe joue moins longtemps ». Donc le tour manager vient parler à Rollo qui était en train de jouer, et puis l’autre il lui fait (imite un doigt d’honneur, NDLA), donc ça n’a pas marché » commente Jean-Louis.
« A l’époque, on faisait encore des canettes de bière, après on est passé au gobelet »
« Après les Sigue Sigue montent sur scène, ça causait dans le public, « ouais, c’est des connards ». Alors qu’il ne se passait pas grand-chose. Et à l’époque, on faisait encore des canettes de bière, après on est passé au gobelet. Le show commence. Il y a deux batteurs, Tony à la basse, un mec à la guitare, un chanteur. Et puis à un moment, il y a une canette qui part, c’était notre trésorier Jean-René. Et l’un des batteurs du groupe se rappelle de lui, « the guy with the spectacles » (le mec aux lunettes), 30 ans après il le reconnaîtrait. Et après ça a été un jeu de projectiles. »
« Le chanteur s’est pris une canette en pleine gueule dans le nez. Bon, il était un peu anesthésié parce qu’ils avaient des journaux de coke dans la loge. Et le mec est devenu fou. En fin de compte, mon chef de sécu a ceinturé le chanteur parce qu’à un moment, il a pris une bouteille de vin et il l’a pointé sur un gars du public. Fin du concert. Mais c’était plutôt pas mal, il y avait des mecs qui disaient que c’était de la merde, je ne suis pas d’accord. Ils avaient ce côté un peu punk, je vous emmerde » argumente Jean-Louis.« Ils ont monté une boîte de fringues d’ailleurs à Londres. Quand j’étais passé quelques mois après, il n’y avait que des factures sous la porte et rien dans la vitrine. Et ce qui est rigolo aussi, c’est qu’ils ont fait un seul album et ils ont vendu des pubs entre chaque morceau. »
Les Trans ont laissé une empreinte dans la carrière de bien des musiciens. Si pour le chanteur des Sigue Sigue Sputnik, c’est celle d’une canette de bières, pour d’autres comme Etienne Daho c’est l’étiquette qualité Rennaise. « C’est l’enfant du pays. Même s’il n’est pas né ici, c’est Etienne Daho le Rennais, il l’est de cœur » raconte Jean-Louis. Les enfants de Rennes, c’est devenu une institution comme pour le groupe Sud-Africain BCUC, « presque un groupe de Rennes, nés aux trans » après qu’une spectatrice ait envoyé leur démo gravée. « Mais le chanteur, il est possédé. Le mec, incroyable ».
Et parfois, il arrive que ces enfants aient des ratés ou posent des lapins « Il y a deux ans, Wet Leg avait annulé le dimanche. J’ai pris un groupe anglais qui jouait le lendemain et je les aie fait venir la veille. Ils sont arrivés mais 5 minutes avant de monter sur scène, ils ont sorti le matos et ils ont fait le morceau Chaise longue de Wet Leg. Ils venaient de Manchester et ils l’avaient appris dans le camion ». Le patriarche des Trans se remémore un autre de ses protégés, le chanteur breton « Dennis Pigeon, qui chantait A Capella dans la salle de la Cité. C’était un gros pari. C’était assez particulier, il a eu une ovation. » Il se souvient avoir eu « peut-être plus le trac que lui, la seule fois pour un artiste ». Et à l’aube de cette 45e édition, aucun trac en vue pour les tracks de Yamê, en résidence à l’Air Libre. « Là il travaille son live, c’est un mec très sérieux. Mais il faut ! Pas trop de pression non plus, parce que là, on y est. »
Aujourd’hui, l’équipe fait face à de nouveaux remous. Mathieu Gervais, prend un chemin différent et il va falloir s’adapter, mais, Jean-Louis le dit, l’avenir des Trans, c’est un peu comme Pink Floyd : « à un moment, il y a Roger Waters, le bassiste, qui fout le camp. Et c’est lui qui écrivait pratiquement tous les morceaux du groupe. Il est plus là, mais les gens ils vont voir Pink Floyd. Donc maintenant, les gens, ils vont aux Trans. Ils vont pas voir machin au Trans. Si demain c’est que du rap français à trois balles aux Trans, les gens iront quand même ».
La 45e Rencontre des Trans Musicales commence le 6 décembre, retrouvez la programmation complète ici.
Texte Louise Pham Van