Le groupe électro-pop Suédois Little Dragon a clôturé sa tournée le mois dernier au Albert Hall de Londres. La chanteuse à la voix magique, Yukimi Nagano, revient sur leurs dates européennes en collaboration avec le duo américain April Vista. Elle se confie sur la philosophie aérienne du groupe formé en 1996 qui aujourd’hui leur insuffle une pause pour se dédier à leurs projets individuels.
C’est la fin de votre tournée en Europe, comment vous sentez-vous ?
On a fait une super tournée. On l’a vraiment appréciée, on s’est amusé, les gens sont venus et on a eu l’impression de partager des moments spéciaux avec eux et avec nous-mêmes.
C’était différent de la dernière fois que vous êtes venus à Paris ?
J’adore cette salle (Elysée-Montmartre), on y a déjà joué il y a une dizaine d’année. Je ne m’en souviens pas exactement mais j’ai l’impression qu’on a eu quelques concerts spéciaux à Paris. C’est l’un des endroits en Europe où les gens viennent et montrent leur amour pour la musique. C’est l’un de mes concerts préférés sur cette tournée européenne.
Écoutez-vous des artistes français ?
Pas trop pour être honnête. Je connais quelques artistes français classiques et célèbres, mais pas de nouveaux. Blaze et Christine & The Queens sont français n’est-ce pas ? Sinon j’écoute de la musique sans paroles parce que je pense toujours beaucoup à mes propres paroles. C’est comme si ça me donnait une chance de ne pas utiliser cette partie de mon cerveau, donc j’aime beaucoup Aphex Twin ou Floating Points.
Et où trouvez-vous l’inspiration pour écrire ?
Là où je me trouve dans ma vie nourrit l’inspiration, les idées et les pensées qui sont dans mon esprit à ce moment-là. C’est vraiment facile d’écrire quand je me sens down, mais j’aime aussi la musique joyeuse. Ça vient naturellement, comme une sorte de thérapie quand tu es déprimé pour écrire. Mais je pense que maintenant j’aime davantage être plus attentif aux autres états dans lesquels je me trouve.
« Je pense qu’on se bénit nous-mêmes. C’est un peu ce que j’essaie de faire chaque jour, c’est comme ça que je veux voir la vie »
Peux-tu me parler un peu de votre collaboration avec April Vista ?
Oui, ils sont venus à Göteborg et on y a passé une semaine ensemble au cours de laquelle on a écrit l’EP. C’était un de ces moments très fluides. Comme c’était une collaboration, on a décidé de moins nous autocritiquer et de nous plonger davantage dans le moment présent, de nous amuser, d’être stupides et de ne pas se censurer. Ces quatre chansons sont nées et on s’est dit, « vous savez, pourquoi ne pas la partager, on les aime et c’était un moment fort alors partageons-le avec le monde. » Ce sont des amis proches et être en tournée avec eux, à la fois aux États-Unis et en Europe, c’était vraiment un bon moment.
Donc ce n’était pas prévu ?
Non, c’est arrivé comme ça, j’ai l’impression que nous avons rencontré tellement d’artistes que nous aimons sur la route et c’est amusant de les inviter, s’ils ont l’occasion de venir dans notre ville. On a un studio ici à Göteborg. On dit toujours « ce n’est pas comme si nous devions sortir quoi que ce soit » et ensuite on voit ce qui arrive.
De votre point de vue, pourquoi la musique Suédoise s’exporte si bien ?
C’est difficile à déterminer, mais je pense qu’il y a plusieurs facteurs différents qui peuvent l’influencer. En Suède, il y a une longue tradition de musique folklorique et de chants collectifs, à l’époque notamment dans les églises. C’est un peu en train de diminuer mais quand j’étais adolescente, il y avait des locaux de répétition accessible et gratuit, et il y avait toujours un adulte qui était musicien. Il y avait beaucoup d’opportunités de se faire connaître et beaucoup de compétitions musicales pour les adolescents. En plus, les Suédois parlent bien anglais, la plupart des gens écrivent en anglais et j’imagine qu’ils écoutent de la musique américaine et britannique. Je suppose que tous ces petits éléments s’ajoutent les uns aux autres pour expliquer pourquoi.
Il y a des communautés de musique ?
Oui. Je veux dire, je suis sûr qu’il y a probablement beaucoup de petites communautés au sein de chaque ville. Stockholm est certainement plus orientée vers le business de la musique parce que c’est la capitale. Mais Göteborg, notre ville, a une longue histoire avec les groupes de métal.
Sur scène, vous mentionnez souvent être béni, par qui ?
Je pense qu’on se bénit nous-mêmes. C’est un peu ce que j’essaie de faire chaque jour, c’est comme ça que je veux voir la vie. Et je pense que c’est quelque chose que je dois pratiquer personnellement. Autrement, naturellement, on peut juste pratiquer la plainte toute la journée. Alors que c’est amusant de se sentir inspiré et de partager l’inspiration lorsqu’on en a l’occasion. Et je saisis ces occasions quand elles se présentent.
« Ça a permis de nous fixer, moins dans la tête ou dans les pensées paranoïaques et plus dans le corps. »
Avez-vous une tradition pendant votre tournée, avant le concert ou après ?
Dernièrement, pour la tournée américaine et la tournée européenne, on a fait des exercices de respiration avant le concert. On a fait un peu comme la respiration Wim Hof, où on hyperventile et on retient sa respiration. Et c’est vraiment bien, ça a permis de nous fixer, de nous sentir enracinés et de nous mettre dans une sorte d’état de concentration, moins dans la tête ou dans les pensées paranoïaques et plus dans le corps.
Votre concert à Londres était tout particulier ?
Il y a eu un moment où il a fallu briser la glace. Beaucoup de gens n’avaient peut-être pas l’habitude d’être dans ce type de salle. Et, parfois une pièce donne de l’énergie : si vous êtes dans un opéra ce n’est pas pareil que dans un club. Il y a cette impression que l’on devrait être plus réservé, mais à la fin, tout le monde était debout, dansait, et ils ont en quelque sorte oubliés où ils étaient.
« Sur scène, on est tellement conscient de soi, c’est comme si cette conscience était sous stéroïdes. »
Il y a des astuces pour briser cette fameuse glace ?
Il faut faire des petits jeux d’esprit avec soi-même quand on est sur scène. On est tellement conscient de soi, de tout ce que l’on fait que c’est comme si cette conscience était sous stéroïdes. Le silence semble très long sur scène. Quand je suis dans la foule et que je regarde un spectacle, une minute vous êtes détendu, mais, sur scène, une minute parait une éternité. Et lors du dernier concert, le synthétiseur a cessé de fonctionner, ça a mis tout le monde un peu sur les nerfs. Notre technicien l’a enlevé et l’a remis en place et il fonctionnait. Finalement, après trois chansons, on a dû improviser. Parfois, il y a des hauts et des bas, mais il faut trouver une solution. Et même si c’est difficile, ça fait aussi partie de notre philosophie d’être à la limite musicalement, même en direct. Mais comme lorsque vous êtes sur scène et que vous entendez les gens et que vous voyez une personne bailler, et votre esprit se dit « Oh, ils pensent que c’est ennuyeux, etc. » Et la, il faut se rendre compte que son esprit est en train d’aller dans un espace négatif, il suffit de le repousser pour commencer à s’amuser. Alors parfois il faut juste se remettre en place, on y va, on se remet en place, on y va, on se remet en place. C’est un bon entraînement mental.
Qu’est-ce que cela signifie d’être à la limite musicalement ?
Je pense que ça veut dire essayer de faire quelque chose de nouveau tous les soirs. Remettre en question ses schémas. Parfois, on tombe sur une note aigre et on la remet en place ou on glisse et on tombe et on trouve un moyen de se relever avec grâce.
Donner l’impression qu’on pourrait tomber, mais qu’on ne va pas le faire…
Oui, je me souviens de certains des premiers spectacles que j’ai donnés dans ma vie. Je restais complètement immobile. J’avais trop peur d’enlever le micro du pied, de bouger. Puis je me suis dit pour le prochain spectacle, je ferais une chose. Et au prochain spectacle, j’ai enlevé le micro. Et au prochain spectacle, j’ai dit que je n’allais bouger que ma main. Et ensuite, vous bougez vos cheveux. Vous vous donnez de petits défis mentaux à chaque fois. Vous essayez quelque chose de nouveau, et ensuite vous vous dites « ok, je l’ai fait ». Il y a toujours des façons d’aller de l’avant, de faire quelque chose, un détail un peu différent chaque soir. Et c’est rafraîchissant pour le groupe, ils le font aussi.
Vous vous lancez des défis avant le show ?
Je ne dirais pas que ce sont des défis, mais c’est certainement une façon d’être éveillé, de rester conscient et d’être sur ses gardes. Et remarquez, si quelqu’un y va, vous y allez avec lui c’est aussi un moyen de communication avec votre musique, avec vos instruments.
On vous définit comme de l’électro-pop, un peu expérimentale. À Paris, c’était très jazzy…
C’est vrai. Je pense que ce sont un peu nos racines d’une certaine manière. On aime le jazz et sa philosophie nous est très chère, quand il s’agit d’improviser et de communiquer. On n’est pas intéressés par le fait de jouer du jazz traditionnel comme le bebop. Mais la philosophie qui consiste à rester ouvert, le fait que l’on puisse glisser et tomber et se relever musicalement a été importante pour nous, pas seulement appuyer sur play ou sur un backtrack.
Vous jammez pendant les concerts ?
Tous les soirs, je dirais. Chaque nuit est unique et différente et il peut y avoir des hauts et des bas.
Est-ce que vous vous surprenez encore, il y a toujours de la nouveauté dans votre dynamique ?
A vrai dire, après cette tournée, nous allons faire une pause pour poursuivre nos voyages individuels. Mais je pense qu’à travers l’histoire du groupe, nous nous admirons mutuellement en tant que producteurs et en tant que musiciens. C’est aussi la base de notre amitié et ce qui nous a rapprochés. Oui, donc je suis presque sûr que cette dynamique restera la même.
Donc vous cherchez à évoluer de votre côté et à vous retrouver après ?
Oui !
Quels sont vos projets personnels ?
Je travaille sur la musique de mon projet solo. Fred travaille sur un projet solo. Eric produit différents artistes et Håkan est en train de trouver sa voie.
« On s’est sentis vraiment comblés par cette tournée, pas comme si on avait l’impression de continuer encore et encore dans une roue de hamster pour toujours. »
Pourquoi avez-vous décidé de cette pause ?
Je pense que cela a été une sorte d’évolution naturelle, organique. Ça a été une lente prise de conscience. On savait que l’on voulait vraiment profiter de cette tournée qui s’annonçait. On l’a donc vraiment savourée. Et on s’est sentis vraiment comblés par elle, pas comme si on avait l’impression de continuer encore et encore dans une roue de hamster pour toujours. Parfois c’est difficile d’apprécier ces moments, mais quand vous voyez la fin de ce chapitre, vous pouvez l’apprécier davantage.
Quelque chose que vous voulez ajouter ?
Nous sommes vraiment heureux de jouer notre musique et de voir que le public français est venu. Ils étaient très heureux et j’ai senti qu’il y avait une grande énergie dans la salle. A ce stade, certaines des chansons ont dix ans, vous savez, oui, et donc c’est vraiment spécial et je me sens heureuse de pouvoir partager ce moment avec Paris, c’était un super concert.