Last Train affectionne les musiques où les thèmes s’entrelacent, créant des compositions à l’univers cinématographique. Point d’orgue de l’alliance musique/images en 2022 : leur court métrage How Did We Get There?, réalisé par Julien Peultier, leur guitariste. Nouvelle étape avec Original Motion Picture Soundtrack, œuvre-océan chargée d’indescriptibles émotions .

 

 

 

Ce nouvel opus se revendique comme la « bande son d’un film qui n’existe pas », où se mêlent harpe, violons, orgue du 18ème siècle, guitares, flûtes, synthétiseurs, voix… Pendant que chaque membre du groupe s’offrait une pause bien méritée, Jean-Noël Scherrer, toujours en mouvement, tissait de nouvelles lignes musicales issues du répertoire de Last Train. C’est ainsi qu’a émergé le rêve d’un projet avec dans la tête l’idée d’un quatuor de violoncelles. Peut-être l’expérience partagée avec l’Orchestre Symphonique de Mulhouse pour How Did We Get There? a-t-elle résonné en lui ? Rencontre avec Jean Noël Scherrer.

 

Un pour tous, tous pour un

Last Train est avant tout une famille. Julien, Timothée, Antoine et Jean-Noël ne se sont pas quitté depuis le collège. Deux autres membres ont rallié leurs rangs pour enrichir cette fraternité : Rémi Gettliffe, le réalisateur-producteur de tous les albums du groupe, et Florian Chastres, à la fois régisseur de leur tournée et responsable du son live de Last Train. Leur présence était donc évidente dans la concrétisation de l’ambition portée par Jean-Noël. Dès les premières étapes, Rémi est partie prenante, formant ainsi le duo qui élabore le projet. Bien que né du rêve d’un seul, les trois autres membres de Last Train ont assez vite rejoint l’aventure.
Julien, avec sa vision artistique, capture l’histoire humaine qui lie les membres du groupe à travers une mini-série sur Original Motion Picture Soundtrack, dans une approche narrative enrichissant le lien entre le groupe et son public. Pendant ce temps, Timothée et Antoine contribuent chacun à leur manière : Timothée en prenant en charge les vinyles, ajoutant une touche à l’esthétique du groupe, et Antoine en apportant son talent de batteur, fondamental pour l’enregistrement.

 

De gauche à droite : Antoine, Jean-Noël, Julien et Thimothée. © Clément Puig

 

Le choix cornélien des titres 

« Certains titres présentaient clairement un potentiel pour être des musiques de film, comme On Your Knees de The Big Picture. Pour certains morceaux, j’avais déjà une idée précise de la direction à prendre dès le départ, donc c’était assez simple à développer. Mais il y avait aussi tout l’opposé, des titres qui semblaient très rock au départ, mais que nous avons réussi à transformer complètement pour créer quelque chose de différent. Il y avait aussi des titres que je voulais vraiment inclure dans l’album, mais que nous avons finalement retirés. Cela ressemblait trop à un exercice de style ou un hommage. Cela aurait altéré l’ensemble de l’album, qui se veut être un clin d’œil à différents compositeurs… C’était plus intéressant de les retirer et de présenter autre chose. Je crois que nous avons commencé avec au moins une vingtaine de titres. Nous avions une heure et demie voire une heure quarante de musique. Nous avons dû faire des choix pour que cela reste digeste. »

 

Parler le même langage

Dès les premières maquettes enregistrées avec Rémi Gettliffe, Jean Noël sait qu’ils ont besoin d’un orchestrateur pour traduire les premières ébauches en musique symphonique. L’Orchestre Symphonique de Mulhouse (OSM) accueille Fabien Cali, compositeur en résidence. C’est donc naturellement que le contact s’établit.

« L’idée de départ était de co-écrire avec un orchestrateur, en collaboration avec l’orchestre. Nous n’allions pas demander aux musiciens de l’orchestre de le faire. Nous avons beaucoup échangé avec Fabien à ce sujet. Mais voilà, il avait du mal à trouver du temps disponible. Nous avancions de notre côté. À un certain moment, nous avons atteint un point de non-retour : le calendrier progressait et nous attendions toujours ses contributions. C’est alors que Rémi et moi avons décidé de prendre en charge nous-mêmes l’orchestration. Nous nous sommes donc lancés dans cette tâche assez vertigineuse, sachant que nous n’avions jamais vraiment fait cela auparavant, du moins pas dans une mesure aussi étendue et approfondie. »

Jean-Noël a toujours été allergique au solfège, allant même jusqu’à chercher une école de musique ne l’’imposant pas. Depuis, il existe des outils qui peuvent éditer les partitions. Finalement, l’adhésion au projet par le Directeur de l’OSM va changer les choses. « Son intervention a relancé Fabien en lui indiquant qu’il devait dégager du temps, qu’il était crucial d’aller jusqu’au bout. »

Ensuite, il a fallu se mettre sérieusement au travail. « C’était fantastique, car Fabien s’est véritablement investi dans le projet. Nous avons réalisé, je trouve, un excellent travail de collaboration et de communication, notamment pour adapter notre langage à celui de la musique symphonique. Il faut également reconnaître le travail d’enrichissement considérable qu’a apporté Fabien, ce qui a donné une valeur ajoutée significative à notre proposition. La partition était bien plus riche et intéressante pour les musiciens, qui ont pris plaisir à jouer et qui ne se sentaient pas simplement exécutants d’une commande. »

 

Fabien Cali (gauche) et Victor Jacob. © Clément Puig

 

L’arrivée du Chef d’Orchestre, Victor Jacob, diplômé de la Royal Academy of Music de Londres et du Conservatoire National Supérieur de Paris, une Victoire de la musique en 2023 complète le dispositif. La semaine d’enregistrement peut commencer. « Nous y sommes allés avec précaution, surtout curieux de voir leur réaction lors du premier service, qui était la répétition générale, et également leur première exposition aux partitions. » En effet, les répétitions sont rares dans ce genre de projet. « On ne se cache pas du fait qu’on a été un peu déçus quand on les a entendus jouer les œuvres pour la première fois, même si c’était finalement un score plutôt intéressant. C’était tout de même émouvant de découvrir les morceaux. Plus la semaine avançait, mieux c’était, plus ils maîtrisaient vraiment les morceaux, ils les avaient en main. »

 

L’exigence, ciment de la confiance

« Nous avions tendance à mettre des défis, à dire qu’il fallait insister un peu plus sur tel ou tel aspect, etc. Nous avons donc dû faire beaucoup de reprises, les cuivres, les vents, les percussions… et c’était vraiment magnifique. C’était vraiment agréable d’entendre les œuvres être interprétées de cette façon, une fois, dans leur ensemble. »

« Pour conclure sur notre expérience avec l’orchestre, on a fait une captation sur deux soirées avec eux quelques mois plus tard, pour Heroin (premier extrait, NDLA), ainsi que pour quelque chose d’autre qui n’est pas encore sorti. On appréhendait un peu les retrouvailles après cette semaine qui avait été plutôt intense, car on les avait vraiment sollicités. Ils sont tous arrivés super concentrés, vraiment investis dans le projet. On a organisé une petite fête le dernier soir, un apéro avec eux. Plusieurs d’entre eux nous ont dit qu’on les avait impressionnés lors de la séance d’enregistrement. On avait gagné leur confiance. »

 

Indépendance totale

« Nous avons vraiment suivi notre vision artistique sans nous soucier d’autre chose, que ce soit la réaction du public ou celle de nos partenaires. Nous avons pu créer l’album que nous voulions et le présenter comme nous le souhaitions. Le choix des morceaux s’est fait assez naturellement, on pourrait dire. C’était évident pour nous. Ce qui était vraiment intéressant, c’était de réaliser qu’il y avait eu beaucoup de travail préparatoire, mais aussi de comprendre que pour créer un album d’une heure cohérent, il fallait y mettre cette énergie. Par exemple, Poursuit, le deuxième titre de l’album porte ce nom car c’est une petite symphonie orchestrée. C’est presque l’un des derniers titres que nous avons réalisés, mais je trouve que c’est l’un des plus aboutis… On sentait que l’album manquait de dynamisme, qu’il était peut-être un peu trop contemplatif. J’avais envie d’ajouter une urgence, une tension. Donc, nous avons composé rapidement, en improvisant un peu, en disant “hop, ça irait bien comme ça”, avec des idées de cordes qui répètent une humeur particulière… C’était un processus un peu à la Batman. Nous testions des choses, des transitions d’accords. Nous n’avions jamais composé de cette manière auparavant. C’était vraiment différent, surtout de travailler sur ordinateur, quelque chose que nous n’avions jamais fait auparavant. Je souhaitais aborder la composition différemment, aborder la production différemment, ne pas se mettre de limites de comment on va le faire en live, parce qu’on s’en branle. »

 

Jean-Noël et Rémi Gettliffe. © Clément-Puig

 

« Nous avons fait une pause d’un an et demi, pendant laquelle nous n’avons rien publié sur nos réseaux sociaux. Tout le monde te dirait que c’est la pire stratégie marketing à adopter. On devrait au moins publier quelque chose une fois par semaine. Mais nous réalisons que ce n’est pas nécessairement vrai, d’une part parce que si tu n’as rien à dire, autant se taire. Et d’autre part, il y a déjà tellement d’informations partout qu’il n’est pas nécessaire, je trouve, d’ajouter du contenu qui n’apporte rien. Au final, cela a vraiment mis en valeur ce que nous avions à dire. Lorsque nous avons annoncé que nous revenions avec un nouveau titre, il y a eu un excellent retour, un engagement comme jamais auparavant, avec des commentaires et des interactions, et ce, sans avoir alimenté activement notre communauté. En réfléchissant à cela, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions faire les choses différemment. Nous pouvons sortir un titre de 20 minutes si nous le souhaitons. Nous pouvons ne pas passer à la radio, mais tout de même être présents sur tous les festivals. Nous pouvons même sortir un album symphonique après deux ans d’absence, alors que les attentes des gens seraient plutôt tournées vers quelque chose de plus rock et une tournée. En fin de compte, j’ai l’impression que nous sommes conditionnés par l’industrie musicale. Mais ce sont aussi les artistes qui acceptent de jouer ce jeu et de suivre ces règles. Nous les comprenons. Nous disons simplement que nous n’avons pas envie de nous conformer à la norme du single de trois minutes et que nous faisons autre chose. Original Motion Picture Soundtrack n’est pas une prise de risque incroyable. C’est juste qu’on a mis tout notre argent dessus. »

 

 

Une fraicheur permanente

« Cela fait un moment que nous tournons avec les copains, que nous produisons avec les copains. On pourrait se lasser, le public et les médias aussi. Je le comprendrai, tout le monde se lasse… Mais j’ai le sentiment, en tout cas aujourd’hui, que ce n’est pas le cas. Et nous, les premiers. Personnellement, je suis super excité. J’ai l’impression qu’on est encore au début de notre carrière. Il y a tout à faire. Et je suis vraiment emballé. Je suis vraiment dans cet état d’esprit. Et je trouve que c’est plutôt sain, tu sais, parce que ça donne l’impression qu’il y a l’énergie d’un tout jeune groupe. »

Lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois, Last Train écumait les bars, et petits lieux, bien avant l’explosion médiatique. À l’époque, ils étaient allergiques au studio, hissant l’aventure humaine et musicale comme un drapeau. « Nous évoluons, même si on n’aime toujours pas ça. C’est symbolique à plusieurs niveaux. D’une part, le groupe grandit, ce qui est déjà un symbole en soi. Mais aussi, il y a le défi que nous nous sommes fixés, celui de travailler aussi en studio. Personnellement, je suis assez anxieux quand il s’agit de studio, car je déteste figer quelque chose pour toujours. Et là, j’ai passé un an et demi, purement en studio. Mais, c’était super. Ça m’a donné vraiment trop envie, justement, de repartir en tournée. »

 

De l’importance du sacré

« En tant que pianiste, l’orgue a toujours exercé une certaine fascination sur moi. (Jean-Noël a joué sur l’orgue du 18ème siècle du Temple Saint Jean, NDLA). C’est un peu comme la guitare pour un guitariste, tu vois. Même si je ne pratique pas régulièrement, j’ai quand même suivi un parcours traditionnel, avec le catéchisme, la première communion, la profession de foi, et je ne sais plus exactement où j’en suis dans tout ça… Sans dire que cela influence directement ma sensibilité musicale aujourd’hui, je pense que, puisque cela fait partie de mon enfance, tout cet univers sacré résonne en moi d’une manière ou d’une autre. D’ailleurs, notre premier EP s’appelle Holy Family. Nous aimons beaucoup ces mises en scène, ces éléments sobres mais épiques. Il y a quelque chose de… christique, en quelque sorte, sans pour autant être directement lié à la religion. Le son de l’orgue me renvoie vraiment à cela, même si je n’ai pas passé beaucoup de temps dans les églises. Il y a une solennité dans ce son qui me touche profondément. En écoutant de plus en plus de musique classique, j’ai développé une attirance pour les œuvres où l’orgue est présent. J’avais vraiment envie d’explorer cela, de l’intégrer à notre musique, et de le confronter à un nouvel élément que nous n’avons jamais utilisé dans Last Train : les synthétiseurs, la musique électronique. C’était pour moi l’occasion de créer un véritable paradoxe, un choc musical. Je comprends que pour les puristes, cela puisse sembler éloigné du rock, avec les riffs et tout ça. Mais pour moi, c’est un moment essentiel de l’album, qui résonne avec toutes les bonnes touches de mon cerveau, si je puis dire. C’est la musique que j’aime, les sonorités qui me touchent, ce mélange entre solennité et épique, avec uniquement des instruments qui, justement, ne sont pas associés au rock, mais qui représentent pleinement qui nous sommes en tant que personnes et en tant que groupe. »

 

© Rémi Gettliffe

 

De la présence métaphysique de WU LYF

« D’ailleurs, l’orgue me fait penser à WU LYF. Je pense qu’on t’a embêté avec ça quand on était plus jeunes, quand on s’est rencontrés. WU LYF, tu vois, c’était vraiment une référence pour nous à un moment donné. Et même si notre musique ne ressemble que peu à celle de WU LYF, ce groupe restera notre référence et le groupe qui nous a le plus marqués, avec notamment l’orgue comme instrument principal, enregistré dans une chapelle, tu vois, une belle histoire. D’ailleurs, c’est drôle, Francis Lung, l’ex-guitariste de WU LYF m’a contacté sur Instagram il y a environ un an. Il m’a dit qu’il avait rencontré des gens qui lui avaient parlé de notre groupe et qu’on appréciait bien WU LYF. Il m’a dit qu’il avait écouté notre musique et qu’il ne retrouvait pas du tout l’esprit de WU LYF dedans, mais qu’il trouvait ça plutôt cool. Il nous a félicités pour notre travail. C’était incroyable. »

 

Une représentation live d’Original Motion Picture Soundtrack ?

« On a certaines propositions ailleurs avec d’autres orchestres pour le faire. Au-delà de l’aspect financier, j’ai cette préoccupation éthique, tu vois. J’aimerais mettre en avant l’orchestre avec lequel on a monté le projet. Maintenant, il ne manque plus qu’une chose : être sur scène ensemble. J’aimerais vraiment cristalliser ce moment avec eux. D’autant que notre relation remonte à 2018 sur The Big Picture et que l’Orchestre Symphonique de Mulhouse a investi financièrement. Donc, j’aimerais vraiment trouver un moyen. Je pense qu’un jour il y aura un live. Je vois ce projet comme quelque chose d’un peu à part de notre histoire en construction. Et si un jour cela doit se produire, ce sera à un moment très spécifique. Ce sera assez unique. On parlait du sacré tout à l’heure, on effleure le sujet. Je dois creuser de plus en plus à ce sujet. Je vais trouver des réponses sur moi, je pense. »

 

Avec Original Motion Picture Soundtrack, Last Train nous ouvre les portes d’un territoire inexploré, invitant chacun et chacune à ressentir l’émotion pure, sans limite ni frontière.

 

cover

 

Original Motion Picture Soundtrack disponible le 17 mai 2024 via Last Train Productions/Modulor.

La mini série réalisée par Julien Peultier disponible sur Youtube.

 

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture Sybilla Weran