Le 8 septembre dernier, en journée, le parvis marbré et mouillé du YOYO fourmillait de danseurs encapuchonnés en pleine répétition. Nous y étions conviés afin de rencontrer le nouvel ambassadeur de la Adidas EQT : le rappeur S.Pri Noir, étoile montante du hip-hop hexagonal.
Salut S.Pri, explique nous tout d’abord comment tu es devenu l’ambassadeur de la Adidas EQT ?
Je suis ambassadeur de la EQT pour la prochaine année. On m’a tout simplement appelé en me demandant si j’étais d’accord de représenter le nouveau modèle.
Ça t’a paru naturel d’accepter ce partenariat ?
J’ai fait du football pendant longtemps et c’est dans les mœurs de tous les joueurs que d’être représenté par une marque, d’avoir ses crampons, son équipement. Je pensais pas que c’était courant dans le rap aussi. J’ai pu en quelque sorte concrétiser un rêve de gosse, d’où la fluidité de ma réflexion lorsqu’ils m’ont approché.
Quel est ton sentiment par rapport au fait que les marques s’acoquinent de plus en plus avec les rappeurs ? C’était pas courant il y a encore quelques années.
Je vois ça d’un très bon œil. Je pense que les rappeurs ont toujours cultivé un certain style, et définiront toujours, à leur manière, les tendances. Il y a toujours eu une attirance du hip-hop pour les sneakers, les casquettes ou d’autres pièces. C’est dans son ADN. Et maintenant que l’image a une très grande importance, je comprends que ça se démocratise.
Tu es encore libre de choisir tes vêtements ou t’as des gens qui contrôlent ton image ?
Je sais que certains ont des conseillers mais ce n’est pas mon cas. Je m’habille encore comme je l’entends. J’ai mes idées et ma personnalité, je ne fermerai pas la porte à des conseils, mais je reste maître de mes choix.
On soulignait pourtant tout à l’heure que l’image a pris une immense place dans le processus artistique.
Tout dépend de l’image que tu veux envoyer. Des mecs vont débarquer en survêtement sur scène car c’est leur conception de l’image qu’ils doivent renvoyer. Si à l’inverse tu cultives une certaine esthétique dans tes clips, tes visuels, c’est normal de mettre un soin particulier à la retranscrire.
On pense notamment au clip de « Skywalker », tu y places la barre si haut que les gens sont obligés de t’attendre au tournant par la suite.
Il y a trois ans, j’ai fait un clip pour « Celte ». C’était mon premier gros budget, avec une grosse créa pour laquelle on s’est vraiment donné beaucoup de mal. Et l’un de mes managers m’a dit : « Si tu fais ça, on va être obligés de suivre, sans pour autant y parvenir ». Je n’ai pas hésité car je vois mes clips au jour le jour. Pour faire simple : dès qu’un clip est terminé, je l’oublie. Je suis conscient de l’avoir fait, mais je repars à zéro à chaque fois. Pour aller toujours plus loin.
Tu as créé ton label Nouvelle Ecole avec ton pote Still Fresh en 2009. Tu t’imaginais en arriver là aujourd’hui ?
Sincèrement non. Je fais aussi ma musique au jour le jour, par passion en premier lieu.
Tu n’étais d’ailleurs pas prédestiné à cette carrière. Il y a quelques années tu jouais encore à un très haut-niveau en football américain (double champion de France avec le Flash de la Courneuve, ndlr)
Ce genre de questions me permet de prendre du recul et de mesurer le chemin parcouru. Mais en vérité, dans le feu de l’action, en interne, j’ai pas vraiment eu le temps de réaliser. Et puis il me reste tellement de choses à faire encore.
Sortir le projet qui mettra tout le monde d’accord, comme on peut le lire sur ton site internet ? Tu penses que c’est ton premier album, qui est imminent ?
J’espère. J’ai fait chaque projet dans le but de franchir des paliers, les uns après les autres, et l’album en sera un de plus.
On imagine un certain besoin de reconnaissance.
Non, c’est de la compétitivité. Sans te mentir, si je pouvais faire mes shows et sortir incognito dans la rue je le ferais avec plaisir. La vie des Daft Punk, ce serait parfait.
Tu l’es encore un peu, anonyme, ou ça devient compliqué ?
Je ne qualifierais pas ça de compliqué. Je suis très grand, beaucoup plus que ne le pensent les gens, alors le temps qu’ils se posent des questions j’ai déjà filé ! Mais ça me fait plaisir que les gens viennent me voir, j’ai une certaine pudeur, même si ça fait partie du jeu.
On sent une certaine humilité chez toi. Tu es quelqu’un de très collectif, tu sais que ton ascension tu la dois aussi à toute l’équipe qui est derrière toi.
Chacun a sa manière de faire les choses, et nul n’est à blâmer dans cette recherche de reconnaissance. Ça ne me ressemble pas de me mettre seul en avant. Je suis quelqu’un de normal, qui fait de la musique. Tu peux venir me voir pour me féliciter pour ma musique, au même titre que j’irais remercier le boulanger parce que ses croissants sont excellents.
Une autre facette de ton côté collectif : tu fais énormément de featuring. Si on évoque la partie création en studio, tu préfères les featurings ou les morceaux solo ?
Je dirais que je préfère les featuring. Je m’y trouve moins exigeant, je suis moins dans la retenue car j’ai l’impression d’aller boire un café avec les potes, même si parfois on se pousse mutuellement dans les cordes. Quand je suis en solo, je me mets beaucoup de pression, je me casse la tête. J’ai comme un alter-ego sévère qui vient se friter avec mon côté calme.
C’est frappant comme ton champ lexical mêle musique et sport. Tu vois les rappeurs autant comme des ennemis que des alliés.
Chacun a son utilité dans une équipe, les 11 joueurs ont leur apport et je trouve que les rappeurs ont aussi leurs profils distincts. Quand tu kick une instru, tu cherches à être le meilleur.
Dans l’équipe-type du rap français, tu te verrais à quel poste ?
Arrière droit, un poste que j’ai occupé dans le football. Pour la métaphore surtout : je joue sur le côté en étant libre de faire ce que je veux, je suis passeur et on me voit quand même un peu.
Qui est l’arrière droit sur le banc des remplaçants qui n’attend que de prendre ta place ?
Dans le rap, il y a de la place pour tous, néanmoins le mec qui se rapproche le plus de mon style, c’est Ninho. On a nos délires respectifs, mais on se ressemble un peu.
Ton featuring rêvé ce serait avec qui ?
Travis Scott, obligé. Ou bien Quavo de Migos.
Tu crois que c’est faisable dans l’immédiat ?
C’est toujours faisable avec un américain si t’as de l’argent.
La rumeur dit que Rohff, Booba et autres Gradur ont payé leur featuring avec des rappeurs US, tu y crois ?
C’est comme ça que ça se passe avec eux, ouais.
Tu parlais d’un projet qui mettrait tout le monde d’accord, est-ce que quelqu’un l’a sorti ces derniers temps selon toi ?
Nekfeu ! Avec ses trois albums, « Feu », « Cyborg » et « Destins Liés » avec le $-Crew.
Tu penses quoi de la contradiction du propos entre « Feu » et « Cyborg », qui frise un peu l’hypocrisie, l’un étant très commercial et l’autre dénonçant un peu ce côté là.
Je respecte beaucoup ce qu’il a fait, il a réussi à s’adresser à tout le monde. Si tu écoutes attentivement, « Feu » ne regorge d’ailleurs pas seulement de singles, il y a aussi de très bons morceaux qui lui ressemblent beaucoup. Et quand on y pense, les singles lui ressemblent aussi, il s’est ouvert à d’autres choses avec eux. Une fois que le public est dans ta poche, lui l’y a mis avec « Feu », tu peux justement faire un peu plus ce que tu veux, comme sur « Cyborg ». Respect sur lui.
Justement, t’es plus à l’aise dans un morceau léger ou dans un morceau plus sérieux ?
Je préfère dénoncer sur des morceaux sombres et introspectifs, c’est mon domaine de prédilection. Mais je vois aussi la légèreté comme un challenge. C’est bien de se dire que les parents de mes potes peuvent écouter mes sons et les apprécier. Tu ne peux pas être un champion de basket si tu ne sais que dribbler. Apprends à shooter, à faire des passes efficaces. Le rap c’est pareil. Quand je pense à Still Fresh, Nekfeu, Sneazzy, Alpha, tous les mecs qui gravitent autour de moi – c’est ce qu’on essaye de faire en touchant à tout : mettre tout le monde d’accord.