Pattes d’éph’, chemise ajustée, bottines à talons, crinière fluide, Edouard Bielle évolue dans l’univers des années 70 avec une singularité indéniable. Bien qu’il n’ait pas vu le jour pendant l’âge d’or de la variété française, marqué par Polnareff, Claude François ou Mike Brant, il incarne cette époque au quotidien. Quelques jours après un concert complet à la Maroquinerie, nous nous retrouvons autour d’une tasse de café.

 

 

 

En novembre 2022, le premier titre d’Edouard, Je t’oublie déjà, résonne comme une pépite inédite des années 70/80 à la manière d’un Christophe, le compositeur et chanteur : une voix envolée, des claviers chatoyants, des arrangements vintage. « Christophe, un mec incroyable ! C’est addictif, je pourrais l’écouter pendant des heures. Ma chanson de référence est Succès fou, avec son côté naïvement astucieux parce que “le charme fait vraiment tout” comme si je savais que je ne suis pas un Apollon, sans vraiment le dire. C’est amené avec subtilité, et j’adore cette sonorité un peu kitsch des années 80 lorsque le refrain décolle, que tout s’emballe. Je l’écoutais beaucoup quand j’ai commencé à écrire mes propres chansons. »

 

 

« Parfois, il y a des groupes avec une musique super mais qui souffrent d’un manque de cohérence. En termes d’image, de style, les mecs sont un peu à la traîne. Mine de rien, cela dégrade un peu le projet. Je pense que les idoles des années 70 ont parfaitement allié musique et look. »

 

Mais le monde musical initial du jeune Edouard, à la voix si singulière, n’était pas vraiment celui auquel on pourrait s’attendre, une réalité dont il semble avoir peu conscience. « Moi, je ne m’en rends pas vraiment compte parce que je l’entends tellement. Mais j’ai toujours aimé chanter. Récemment, quelque chose m’est revenu. J’étais en sixième, je ne connaissais personne. Je me rendais au milieu de la cour et je chantais la musique du film Les choristes. J’y allais vraiment tout seul comme ça. » C’est à ce moment-là qu’il commence à rêver de faire de la musique. Ce rêve est confirmé lors de son premier concert à Bercy, où il assiste avec sa mère au spectacle de Polnareff, dont il connaissait toutes les paroles des chansons. Au lycée, il monte un petit groupe. « On a joué seulement deux fois pour des anniversaires, c’est tout. Musicalement, j’ai eu une grande période Beatles, assez classique. Ensuite, une grosse période Doors. Pendant deux ans, je n’écoutais que ça. Je regardais tous les documentaires, je lisais tous les livres, les autobiographies. J’étais un fan absolu de Jim Morrison, avec son cuir trop stylé et ses cheveux longs. » Puis il y a eu les Stones, qu’il a vu en concert à Londres. « Ces gars dégagent une telle bestialité sexuelle, c’était trop stylé. » On comprend donc que pour Edouard Bielle, la forme et le fond sont indissociables. « Parfois, il y a des groupes avec une musique super mais qui souffrent d’un manque de cohérence. En termes d’image, de style, les mecs sont un peu à la traîne. Mine de rien, cela dégrade un peu le projet. Je pense que les idoles des années 70 ont parfaitement allié musique et look. »

Le rêve d’artiste ne s’est réellement manifesté que plus tard dans sa vie. Le bac en poche, son désir de devenir comédien s’est éveillé, bien que son père n’y ait pas vraiment adhéré. Après des années passées à maîtriser le piano classique, il commence à composer à la guitare des chansons balbutiantes en anglais, explorant les premières étapes de son talent musical. « Je ne savais pas vraiment écrire la musique. J’étais seulement le copain qui faisait de la guitare en vacances. »

 

© Emma Bedos

 

« Au début, il y a tellement de choses auxquelles tu n’es pas préparé, des choses auxquelles tu n’aurais même pas pensé. Tu te dis, “ok, on va faire de la musique”. Mais il y a aussi l’aspect visuel à concevoir et à réaliser… C’est à toi de prendre les décisions finales sur tout. En fait, tu es le produit. »

 

Après quelques années d’ennui dans la pub en tant que rédacteur, une rupture amoureuse devient le catalyseur de son parcours. « Je me suis dit, “putain, j’ai 27 ans. Je me fais chier. Je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie. Je n’ai jamais donné la moindre chance à ce rêve de faire de la musique”. » Nous sommes à la veille du deuxième confinement, parfait timing pour la mise en route de ce rêve. Pour se changer les idées, il se décide à apprivoiser Abbleton, non sans appréhension. « Même pour les logiciels plus communs, dès qu’il y a une mise à jour, déjà, ça commence à me faire stresser, donc… » Cinq mois furent nécessaires pour qu’il y arrive. « Deux mois plus tard, je fais ma première maquette, qui était Je t’oublie déjà, mon premier single. C’est la première fois de ma vie où j’enregistrais une chanson, que je faisais les arrangements, et que je mettais un point final à un titre. » Il a envoyé le morceau à ses meilleurs amis avec une anxiété palpable avant de se rendre au supermarché, où il est resté plus longtemps que prévu, sans réseau. À sa sortie, aucune réponse, ses amis étant trop absorbés par l’écoute en boucle du morceau. Les choses s’enchainent assez rapidement, Edouard réalise trois nouvelles maquettes. Mais c’est lors d’un mariage en Corse que tout a basculé. Il fait la connaissance de Martin Rousseau, qui se trouve travailler chez Cracki Records. Un échange de coordonnées se fait. Une fois de retour à Paris, une rencontre professionnelle s’est organisée. « Le courant est bien passé avec le label. Je leur ai dit que je n’avais pas de plan précis. Je voulais juste voir où ça pouvait me mener. Un mois après, ils m’ont fait une proposition de contrat. » Son rêve prenait enfin forme.

« Au début, il y a tellement de choses auxquelles tu n’es pas préparé, des choses auxquelles tu n’aurais même pas pensé. Tu te dis, “ok, on va faire de la musique”. Mais il y a aussi l’aspect visuel à concevoir et à réaliser… C’est à toi de prendre les décisions finales sur tout. En fait, tu es le produit. » Les chansons en anglais ont été reléguées au passé. « Je me sentais illégitime, je n’avais aucun lien avec l’Angleterre. Alors je me suis demandé comment écrire en français. J’ai décidé d’utiliser un langage plus quotidien, car je suis souvent gêné par les paroles de la musique actuelle, où des concepts simples sont souvent dissimulés derrière des images et des métaphores. Cela rend difficile la compréhension de ce dont on parle vraiment. C’est un peu de la mauvaise poésie, et je voulais absolument éviter cela. »

 

 

Cet EP inaugural est le fruit des émotions d’Edouard, de ses amours, de ses déchirements, mais aussi de sa relation avec lui-même. Il n’hésite pas à aborder le sujet de son vitiligo, apparu discrètement à la fin de son adolescence. « Je voulais en parler, mais pas de manière plaintive. J’ai réalisé que cela est étroitement lié à mes expériences amoureuses et à ma façon de m’accepter moi-même », explique-t-il. D’où, peut être, ce titre Loverdose. La prochaine étape ? « J’ai envie de me diriger vers quelque chose de plus affirmé, avec une identité visuelle plus marquée, mais sans tomber dans le cliché du romantisme excessif. Je sens que c’est le bon moment pour évoluer. » Bien que plusieurs morceaux soient déjà prêts, Edouard souhaite sortir de sa zone de confort et collaborer avec des producteurs, même si cela prendra du temps. « Une fois que j’ai finalisé une maquette, il est difficile d’y insuffler de nouvelles idées, car j’ai déjà exploré toutes les pistes. Il faut trouver un nouvel élan », conclut-il.

Vous l’aurez compris, Edouard Bielle aborde son rêve en explorateur : découvrant l’industrie musicale, nouant des partenariats et se lançant sur scène. « Il y a deux ans, je n’avais jamais mis les pieds sur une scène. J’ai dû m’adapter rapidement. La première fois que j’ai fait des balances, je me suis retrouvé là, perplexe, me demandant quoi faire. Je n’osais pas exprimer mes demandes dans le micro, de peur de paraître novice aux ingénieurs du son. La scène est une expérience tellement unique, que son apprentissage est rapide. C’est aussi une façon d’observer les réactions des gens, de voir comment ils nous perçoivent. J’étais extrêmement stressé pour ma première performance, d’autant plus que j’avais attrapé le Covid la veille. Ensuite, j’ai eu l’opportunité de jouer au Pop Up du Label et au Point Ephémère. Mais c’est à la Maroquinerie que j’ai vraiment franchi un cap. » Il faut dire qu’à la fin de l’année, Edouard a enchaîné huit premières parties en un mois.

 

 

« J’assume de plus en plus d’être à 100% moi-même dans tous les aspects de ma vie, que ce soit dans mes fringues, dans ma façon d’être, dans mes chansons… Ce n’est pas calculé. »

 

C’est avec Je t’oublie déjà en version piano-voix qu’il a commencé son set à la Maroquinerie. « J’ai été surpris. Je ne m’attendais pas à ce que tout le monde reprenne en chœur les paroles. Je me suis dit : “Putain, je les ai écrites dans ma chambre”. » Pendant que des ballons en forme de cœur gonflés à l’hélium flottaient dans l’air, le public est resté captivé, formant une grande chorale dans une magnifique communion avec Edouard.

Probablement en raison de son authenticité inébranlable de lover : « J’assume de plus en plus d’être à 100% moi-même dans tous les aspects de ma vie, que ce soit dans mes fringues, dans ma façon d’être, dans mes chansons… Ce n’est pas calculé. » Mais comment fait-il pour trouver tous ces looks incroyables du quotidien ? Les friperies, évidemment. « Au fil des années, j’ai constitué une collection assez variée de pantalons. J’apprécie le style des années 70, sans que cela ne paraisse trop caricatural. J’essaie toujours de rester dans quelque chose de décontracté pour éviter l’effet déguisement. Je trouve que les hommes ont perdu une certaine prestance vestimentaire, une véritable allure. Pour moi, être bien habillé fait partie intégrante de mon identité et donc de mon projet artistique. » Il transpose ce concept également dans sa gestion des réseaux sociaux. Pas de vidéos chez lui, juste le projet artistique. « Je pense que les icônes masculines des années 70 restaient des stars parce qu’on ne les voyait pas dans leur vie privée. Si tu croisais Michel Polnareff, il serait vêtu de son débardeur blanc, de son pantalon blanc, sa perruque et ses lunettes de soleil. Il n’y avait pas cette tendance à exhiber leur intimité. Imaginer Michel Polnareff en slip dans sa cuisine en train de manger des popcorns, ça ne fonctionnerait pas du tout. »

Et maintenant ? « On va publier le 3 mai prochain D’une autre galaxie, un single en duo avec Alexia Gredy, enregistré pour Radiooooo, le site dans leur rubrique 2070 proposant à des artistes d’aujourd’hui de composer des titres sur leur vision du futur. Il s’agit d’une histoire d’amour. Initialement exclusif au site, suite aux excellents retours reçus sur cette chanson, elle sera disponible partout. Ensuite, d’autres titres suivront. » notamment dans la version Deluxe de Loverdose le 19 juin 2024 (deux inédits et trois remixes).

 

© EllaHermë

 

Edouard Bielle semble bien déterminé à laisser son empreinte. « J’assume pleinement le fait de me dire chanteur, même si c’est quelque chose avec laquel j’ai toujours eu du mal. »

 

Loverdose est disponible via Cracki Records. D’une autre galaxie, single en duo avec Alexia Gredy  disponible le 3 mai 2024

 

Texte Lionel-Fabrice Chassaing

Image de couverture © Tanguy Ginter