À vingt ans de la sortie de leur premier album, La Maison de mon rêve, CocoRosie fête son anniversaire musical avec un concert à l’Alhambra et un nouvel EP de reprises, Elevator Angels.

 

Bianca –la brune– et Sierra –la rousse– nous accueillent dans un majestueux et lumineux appartement de la capitale, habité de livres, peintures, sculptures et créations insolites… Mais les pièces maîtresse du lieu, ce sont elles : de parfaites œuvres d’art vivantes. Bien plus que des musiciennes, les sœurs Casadi sont des artistes accomplies dans plusieurs disciplines. Arts visuels et poésie du côté de Bianca, théâtre et opéra pour Sierra. Elles explorent ensemble l’univers du DIY depuis vingt ans –bien avant que cela ne soit une tendance– non seulement à travers leur musique mais également par leur style. Elles s’amusent avec les codes de notre société, les cassent, les reconstruisent selon leur vison à la fois poétique, lucide et trash.
Les deux sœurs célèbrent aujourd’hui l’anniversaire des vingt ans de la sortie de leur premier album La Maison de mon rêve, dans un concert unplugged à guichet fermé à l’Alhambra. Elles nous offrent pour l’occasion Elevator Angels, un magnifique EP piano-voix où elles reprennent cinq de leurs titres emblématiques.

 

 La Maison de mon rêve, votre premier album, est sorti le 9 mars 2004. Votre nouvel EP sort le 8 mars 2024, accompagné du concert CocoRosie : 20 ans à l’Alhambra. Ces deux événements ont lieu un jour avant la vraie date anniversaire, pour la Journée internationale des femmes. Est-ce que cette journée était importante et symbolique pour vous ?

C’est une sorte de coïncidence heureuse. Nous voulions être aussi proches que possible de la date originale, mais nous étions ravies d’avoir cette célébration supplémentaire.

 

La Maison de mon rêve porte un nom français. Pourquoi aviez-vous fait ce choix il y a vingt ans ?

Nous étions ici, à Paris. CocoRosie a vu le jour à Paris, comme tous nos premiers enregistrements. Nous avons choisi ce nom en référence à des photos d’immeubles démolis où l’on pouvait encore voir des morceaux de papier peint. Nous avions écrit La Maison de mon rêve sur l’une des photos, avant même d’enregistrer le disque. C’était donc un travail artistique qui se produisait en même temps que les premières chansons que nous avons écrites.

 

Ce nouvel EP fait écho au premier album, dans le sens où il célèbre ses 20 ans, mais aussi par sa nature lo-fi. D’un autre côté, il affiche une sobriété qui le différencie, car les jouets sonores, boîtes à meuh… sont désormais absents. D’où vous est venue l’envie de sortir un EP piano-voix et de donner un concert unplugged ?

Je pense que nous avons été enthousiasmées par le concept de vulnérabilité. Je ne sais pas ce qui a résonné en nous à ce moment, mais on a pensé que ce serait peut-être bien de nous mettre à nu en associant la puissance de l’instrument acoustique –le piano– à la simplicité de la voix. C’est comme si toutes les couches avec lesquelles on a construit nos chansons à l’origine, tous les sons, tout l’électronique, avaient infusé à l’intérieur des chansons… et que, maintenant, on leur offrait à nouveau leur essence. C’est très agréable.

 

Pour nous, c’est un grand changement, surtout en ce qui concerne nos concerts et notre façon de produire. Parce que nous nous amusons beaucoup à construire des chansons –pas seulement à écrire des chansons– mais à les construire de façon presque sculpturale, en travaillant le son et expérimentant avec l’électronique.

 

Tout au long de votre carrière, vous avez été à l’avant-garde en termes de style. Et votre premier album a été vécu par de nombreuses personnes comme une révolution dans le folk. Est-ce qu’aujourd’hui, être à l’avant-garde, c’est envisager la musique d’une manière minimaliste, de choisir une forme de sobriété musicale ?

Ce minimalisme est un choix extrême. C’est encore plus minimal que notre premier album. Nous aimons aller un peu entre les extrêmes. Pour nous, c’est un grand changement, surtout en ce qui concerne nos concerts et notre façon de produire. Parce que nous nous amusons beaucoup à construire des chansons –pas seulement à écrire des chansons– mais à les construire de façon presque sculpturale, en travaillant le son et expérimentant avec l’électronique. Donc c’est un processus complètement nouveau. Encore une fois, c’est comme revenir à l’essence des chansons.

 

Bianca et Sierra Casady à Paris. Mercredi 6 mars 2024 © Sarah Agricole

 

Votre prochain album sera-t-il conçu dans le même état d’esprit ?

Non, pas du tout. Cet EP est un peu comme une retraite…

 

Quelle est la signification du nom Elevator Angels ?

Nous ne discutons pas beaucoup de la signification. Ça vient de façon soudaine. Elevator Angels est tiré des paroles de Terrible Angels. Je suppose que nous avons eu une idée spécifique de ce que nous voulions dire il y a 20 ans, mais je n’irais pas jusqu’à dire que c’est ce que ça veut dire maintenant. Et nous n’avons jamais parlé de ce que ça voulait dire dans les paroles originales non plus.
Peut-être que, dans notre travail, nous nous voyons mutuellement comme des muses. Et l’expression Elevator Angels avait quelque chose à voir avec les muses.

 

CocoRosie, c’est un univers musical, bien sûr. Mais c’est aussi un style personnel fort. Pour vous, la mode est-elle un moyen d’expression au même titre que la musique ?

Les deux vont ensemble, c’est certain. Plus précisément, lorsque nous faisons de la musique, nous nous habillons toujours d’abord, et ce n’est pas nécessairement la façon dont nous nous habillons tous les jours. Mais c’est comme un « endroit » où nous nous rencontrons, une façon très distincte de nous préparer à travailler, et c’est quelque chose que nous avons toujours fait.

 

Peut-on alors considérer que vous avez toutes les deux une personnalité différente en dehors du moment où vous commencez à faire de la musique ? Deux personnes différentes entre la vie de tous les jours et l’étape de la création musicale ?

Je trouve que CocoRosie a un peu son propre esprit. Parfois, j’en parle comme d’une troisième chose. Je pense que c’est une grande partie de ce que nous sommes. Ce n’est pas une petite partie de notre collection de Personas, mais oui, elle a sa propre personnalité. Et lorsque nous ne sommes pas ensemble ou en collaboration, je pense que nous pouvons en habiter d’autres, d’autres personnages, et avoir un style différent également.

 

C’est comme une expression simultanée. Je pense que tous nos différents visages musicaux sont accompagnés d’un monde visuel qui semble aller de pair. Récemment, lorsque nous sommes dans le studio d’enregistrement, la première chose que nous faisons est de décharger un tas de valises de vêtements et d’autres choses et de les accrocher sur des étagères.

 

Avez-vous l’impression d’expérimenter autant avec la mode qu’avec la musique ? Vous disiez justement que ces nouvelles musiques et ce nouvel album sur lesquels vous travailliez consistaient à expérimenter de nouvelles choses. Pensez-vous qu’il en est de même pour le style personnel que vous adoptez ?

Comme je l’ai dit, je pense que cela va très loin. C’est comme une expression simultanée. Je pense que tous nos différents visages musicaux sont accompagnés d’un monde visuel qui semble aller de pair. Récemment, lorsque nous sommes dans le studio d’enregistrement, la première chose que nous faisons est de décharger un tas de valises de vêtements et d’autres choses et de les accrocher sur des étagères. Il est même important pour nous de transformer l’espace dans une certaine mesure, afin de nous libérer, de pouvoir ressentir toute notre créativité et même des éléments d’humour. Nous portions souvent des talons hauts dans le studio, ce qui n’est pas très pratique, mais qui apporte une certaine attitude et de l’espièglerie, ainsi que des looks assez extrêmes.

 

Aujourd’hui, si vous deviez donner un nom au style vestimentaire de CocoRosie, comment le nommeriez-vous ?

C’est difficile. Je dirais que nous sommes dans une sorte de transition en ce moment. Nous essayons différentes choses. Nous nous dirigeons vers quelque chose de plus élégant avec ce genre de musique. On parlait de musique assez sobre, mais je pense que d’une certaine manière, c’est assez contrasté par rapport à notre album le plus produit et par rapport à notre orientation. Je pense donc qu’il est un peu difficile de le nommer en ce moment.
Les normes de beauté connaissent un moment intéressant. Je pense qu’il y a beaucoup d’artificialité et d’apparence hyper réelle. D’un côté, nous rejetons cela et cette sorte de plastique qui se produit, ainsi que la surenchère de l’aspect physique en général. Mais, en même temps, nous l’adoptons à notre manière. Nous jouons avec cela. Comme avec des poupées, parce que les gens sont tellement artificiels, en fait. Ce n’est pas tout à fait nouveau pour nous, mais oui, c’est quelque chose avec lequel nous jouons. Et c’est aussi le cas dans nos nouvelles paroles.

 

Aujourd’hui, pensez-vous qu’il y ait une marque qui corresponde à votre esthétique et à votre façon de penser en matière de mode ?

Nous avons tendance à rester à l’écart des marques et de ce qui se passe dans la mode, mais d’une manière ou d’une autre, nous y participons toujours et c’est une surprise. Cela nous surprend encore et encore parce que nous avons l’impression d’être dans une sorte de bulle ou dans notre propre voyage, et ensuite nous nous disons souvent « oh, c’est aussi ce qui se passe en ce moment ! ». C’est assez amusant.

 

Quel est votre secret pour être si amies, être sœurs et travailler ensemble ? Parce que j’ai deux sœurs, et quand on passe trop de temps ensemble, on se dispute (rires).

(Rires.) Eh bien, c’est peut-être parce que nous nous amusons tellement dans notre processus créatif. Surtout avec l’âge, parce que nos vies sont plus compliquées. Le fait de se réunir pour faire de la musique est particulièrement amusant, mais c’est aussi une sorte de retraite par rapport à d’autres aspects de la vie. Je pense que nous restons assez jeunes dans ce sens également.

 

 

 

Interview Sarah Agricole et Anne Vivien
Photos Sarah Agricole