Des t-shirts à l’effigie de grandes figures altermondialistes, comme ce fut le cas avec Che Guevara, en passant par l’utilisation de matières éthiques et recyclables, la mode a su puiser son inspiration dans des domaines, qui sont par ailleurs, aux antipodes d’elle. L’altermondialisme serait-il devenu son nouveau fond de commerce ?
Actuellement, les objets personnels de l’iconique Frida Kahlo sont exposés au V&A Museum à Londres dans le cadre de l’exposition “Frida Kahlo’s Wardrobe” et ce jusqu’au 4 novembre 2018. Icône du surréalisme, Frida est aussi connue pour son combat humaniste et anticapitaliste, et aujourd’hui, elle est utilisée par le milieu de l’art et la mode comme une véritable valeur marchande. Mouvements propre à des politiques sociales, les luttes altermondialistes se sont souvent manifestées à l’encontre du milieu de la mode. Ce fut le cas de Kidult. A travers son art, Kidult, artiste français qui vit actuellement à New York, dénonce depuis toujours l’appropriation de la street culture et notamment du graffiti par les marques de luxe, telles que Chanel, A.P.C., agnès b., Maison Margiela etc. La liste est longue. Une conception de l’art en totale contradiction avec la vision de l’artiste, qui perçoit le street art comme une palette de liberté d’expression, mais surtout une palette d’expression gratuite.
Sur la plateforme Médium, nous pouvons lire que le hipster altermondialiste possède une image bien précise : c’est le mec/la meuf qui étudie aux Beaux-Arts, ou qui a voulu y étudier ; qui a depuis 6 mois un livre de Marx ou Hegel posé sur sa table de chevet, sans pour autant y jeter un coup d’oeil, histoire d’avoir l’impression d’être un intellectuel de gauche sensible aux questions sociales ; avec en plus, tout naturellement, le cliché du personnage qui fume beaucoup trop de cannabis – en mode la bande à Sacha dans le livre “Génération H” d’Alexandre Grondeau. Que se cache-t-il derrière cette fascination du hipster pour l’altermondialisme ? Pour Stéphanie Calvino, la fondatrice d’Anti_Fashion, cette tendance altermondialiste semble être tout simplement “un effet de mode” en réaction à la bipolarité imposé par notre société actuelle – tu manges végan, mais tu achètes tes vêtements chez des enseignes fast-fashion comme H&M. Dans l’air du temps, Anti_Fashion décortique justement les phénomènes de mode liés aux questions éthiques et ethniques grâce à des conférences ouvertes à tous, à travers lesquelles tous les acteurs de la mode – créateurs, entrepreneurs, journalistes, étudiants, etc… – peuvent se rencontrer pour échanger, collaborer et créer de nouveaux projets. “J’adore être avec les gens, je fréquente des éducateurs et mon objectif est de travailler avec l’humain. Le talent, c’est avoir envie de faire les choses, qu’on ouvre le maximum de portes aux gens qui sont sur le côté! Tout passe par l’éducation! Il s’agit là de créer une nouvelle mode et d’arrêter de surconsommer. Anti_Fashion est un laboratoire avec une dimension sociale où ‘fashion’ signifie ‘tendance’ plus que ‘mode’.” Le but étant d’accompagner des jeunes en difficulté pour les sensibiliser aux métiers de la mode et ainsi appréhender une nouvelle mode.
Récemment, durant la Fashion Week de Londres, le designer Olivier Spencer présentait une collection Homme Printemps-Été 2019 entièrement confectionnée avec des matières naturelles, telles que le coton ou le lin, ainsi que des couleurs minérales et organiques, comme l’agile ou encore l’ocre, ajoutant à ses looks une touche hippie avec des vestes, des shorts décontractés, mais aussi des colliers en marguerite. Mais ce n’est pas tout, durant la Fashion Week de la capitale anglaise, les ponchos, les sacs à franges, les ceintures cloutées, le denim délavé (jeans et blousons), les pantalons en cuir (taille haute), et une palette vive et dynamique (rose, blanc, rouge) étaient de sortie. Que cherchent les marques lorsqu’elles proposent une mode utilisant des codes esthétiques altermondialistes ? Pour Stéphanie Calvino “c’est pas mal de marketing comme Patagonia, mais ça n’a vraiment pas de sens parce qu’on a besoin de fond ; il faut que les marques comprennent que (le milieu bourgeois de) Paris n’est pas représentatif de tout”.
À l’heure où la mode fait preuve de conscience écologique, la Fashion Week de Londres était sous le signe du Flower Power. En effet, Christopher Raeburn, designer anglais, a utilisé des images de la Nasa montrant la fonte des glaciers pour confectionner un vestiaire au style moderne et engagé, justement baptisé “REACT NOW”. Le créateur présente alors une collection de manteaux de pluie blancs et transparents où il inscrit sa devise : “reconstruire”, “recycler” et “réduire” – en parlant du gaspillage. Martine Rose, quant à elle, consultante de Demna Gvasalia – le directeur créatif de Balenciaga – puisait son inspiration dans le Londres des années 70, 80 et 90, présentant ainsi une collection mélangeant l’univers punk, reggae mais aussi new wave.
https://www.instagram.com/p/BlkoSzNh-j7/?taken-by=christopherraeburn
La mode est-elle plus vraie, lorsqu’elle a l’air altermondialiste ou est-ce une manière de jouer avec la provocation ? Retour en 2015 à la Fashion Week de New York. Le beau monde de la mode avait les yeux rivés sur la collection du rappeur Kanye West, et les critiques ne sont pas tendres. “Ce n’est pas de la mode, c’est de la pauvreté”, s’insurgeaient les critiques de mode de l’époque. En effet, le rappeur américain dévoilait alors un style simpliste avec des chaussures de rando, des débardeurs ainsi que des shorts oversize, bombers, hoodies, parkas, body et leggings, offrant alors un vestiaire décontracté d’un riche qui voudrait avoir l’air pauvre. Lancé par le créateur John Galliano, au début des années 2000 lorsque celui-ci était chez la maison Dior, la tendance du “pauvre”, conquis encore aujourd’hui, et se retrouver renforcée plus que jamais par plusieurs marques, telles que Balenciaga ou encore VETEMENTS. Début mars, Balenciaga présentait sa nouvelle paire de sneakers, façon randonnée pour 850 euros, qui furent en rupture de stock avant même d’être en magasins. Qualifiée de chaussure “moche”, le look du pauvre est alors devenu tendance. Alice Pfeiffer, journaliste et sociologue de mode, analyse le look du pauvre : “Il y a un truc gênant… Des personnes issues des classes supérieures se déguisent en pauvres ou en ringards, et trouvent cela hilarant. Le classique du luxe actuel, c’est de dire que ce qui est laid est subversif. Quand on regarde bien, à Paris, on voit des gens se déguiser en ‘racaille’.” Il serait donc question de déguisement? De ce fait, une personne habitant à Paris et vêtue d’un t-shirt Che Guevara serait tendance, alors que celle habillée avec le même t-shirt mais qui vit en banlieue, ne serait qu’une personne has been ? La mode n’a pas fini de nous surprendre.