“Barbie Fatima ne fait pas le ménage. Elle nettoie les pots cassés du patriarcat”, les posts Instagram de Lisa Bouteldja font penser à des bulles de romans-photos où chaque dialogue pique au vif ou fait rire. Chacun le prendra comme il l’entendra. Derrière les mises en scène provoc’ de la jeune femme, un véritable bouillonnement d’idées et de causes à défendre. Celle d’abord d’une femme qui pourrait se foutre de tout et même de l’étiquette qu’on lui colle ou qu’elle veut se coller comme celle de beurette. Lisa n’hésite pas non plus à remuer les liens entre la France et les pays nord-africains mélangeant le bleu/blanc/rouge au vert/blanc/rouge, certaine du Pantone à la clef. Un patchwork d’influences que cette “beurettocrate” comme elle se qualifie porte à travers le drapeau universel de la  mode.

Photographe : Gil Anselmi (Fury-paris)
Assistante Photographe : Valerie Kaczynski – Prise de vue vidéo + Assistante : Julia Tarissian
Styliste : Damese Savidan
Assistante Styliste : Daisy Oldfield
Make-up Artist : Anaelle Postollec – Hair Stylist : Santa Marie Juanna

Top: Mugler

Qui est Lisa Bouteldja ? 

Je suis Lisa Bouteldja et je me mets en scène sur instagram dans des images et vidéos mêlant mode et humour. À mi-chemin entre expérience sociale et performance artistique, je me place en kamikaze pour secouer le patriarcat blanc. Aussi je suis cancer ascendant cancer et née un 5 juillet, la date anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Je suis une tête brûlée pour qui la liberté n’est pas un vain mot.


On commence à connaître un peu ton histoire, tu utilises le mot beurette dans ce que tu fais. Peux-tu nous en donner la définition ? C’est réellement un terme péjoratif comme nous l’entendons  ?

 J’ai surtout créé le mot beurettocratie en 2017 pour une légende instagram, car j’adore les jeux de mots. C’est la contraction de ‘beurette’ et ‘aristocratie’. Celui-ci a tapé plus fort que les autres car j’ai touché à une insulte taboue dont beaucoup de femmes nord-africaines font l’objet. Jouer avec ce mot soulève une problématique très actuelle mais trop peu abordée jusque-là : le fait d’être une femme descendante de colonisés vivant en France. Et comment on est arrivé au fait que le même mot puisse désigner une femme d’origine nord-africaine et une catégorie porno au même niveau. Il faut que les gens qui emploient ce terme s’interrogent. En particulier quand ce sont les jeunes d’origine maghrébine eux-même qui l’utilise. Mais comment comprendre qu’appeler ta soeur beurette est problématique quand l’histoire coloniale est enseignée à l’école de manière partiale et édulcorée ? Il y a énormément de travail à faire.

 Jouer à fond la carte de la beurette pour ne pas qu’on te colle cette étiquette avant, c’est un peu de la psychologie inversée non ?
Non ça s’appelle le retournement du stigmate en sociologie. C’est une forme de résistance et de résilience. L’exagération du stéréotype permet d’en montrer les limites, le ridicule, pour finalement sortir de l’essentialisation opérée par l’assignation. C’est ce qu’ont fait les Afro-américains avec le n-word en s’appropriant l’insulte. C’est ce que font les mouvements queers depuis des années aussi.
Manteau et écharpe: Fendi 

Top: Marni

Cyclist: Gamut

Chaussures: Dsquared2 

Lunettes: Mykita  Valise: Louis Vuitton
“Je suis une tête brûlée pour qui la liberté n’est pas un vain mot”

 Quelle histoire Lisa Bouteldja veut nous raconter ?

 Les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire. Donc je ne dirai rien !

 Tu travailles avec les réseaux sociaux mais justement ce que tu fais c’est aussi une sorte d’ironie des réseaux sociaux non ?

Instagram donne le pouvoir à n’importe qui sachant l’utiliser à bon escient. J’ai commencé par poster mes looks. La mode c’est le point de départ de tout. Les vêtements m’ont aussi permis de prendre possession de mon corps, et de comprendre aussi que c’était un pouvoir. Assumer ses looks, c’est aussi assumer son corps, et s’assumer soi. Et encore plus quand tu es une femme et qu’on te fait comprendre depuis le plus jeune âge que ton corps peut te mettre en danger. Que finalement, s’il t’arrive une bricole, tu l’as bien cherché car tu portais une mini jupe. Et que, si tu mets le voile c’est parce qu’on t’y a forcé c’est sûr. Ah vraiment on t’a pas forcée ? C’est pour te faire remarquer alors. A aucun moment on t’apprend à connaître, assumer et aimer ton corps. Si on va plus loin, ce qui fait la particularité de la femme nord-africaine, ou noire ou asiatique, c’est que son corps subit la continuité d’un système colonial. C’est un bastion à conquérir et à contrôler. Pas étonnant par exemple que le mot beurette est une catégorie porno très populaire en France, et qu’ils passent leur temps à vouloir dévoiler les femmes. Le vêtement est politique et vecteur de messages au même titre que le corps. Dans mes photos et vidéos, les vêtements, ainsi que le lieu, la scénographie, la posture, les références, rien n’est au hasard et j’y glisse beaucoup de messages, souvent par l’ironie.

Robe: Vanessa Schindler

Top et short: I.am.Gia 

Boucles d'oreilles: Balmain

 C’est une expérience sociale que tu mènes en fait non ?

Il est nécessaire de bousculer les consciences pour faire avancer les choses. Je considère que les réseaux sociaux sont un espace ou les réactions et les commentaires font partie de l’oeuvre. Les réactions alimentent mon propos. La manière dont je me mets en scène dans les médias fait partie aussi de cette expérience sociale. C’es ma télé-réalité. Surtout lorsque c’est un reportage vidéo, il faut assurer le spectacle. Mais je ne vois pas toujours cet intérêt médiatique d’un bon oeil à vrai dire. Le mot ‘beurettocratie’ c’est croustillant, c’est sulfureux, ça fait du clic. Finalement certains journalistes, dans leur manière d’écrire à mon sujet, ne font que perpétuer ce que je combats. C’est-à-dire le fait d’être réduite à mes origines et/ou à mon genre, et réduire mon propos à ce mot clinquant.

 J’imagine que tu as des haters, mais que tires-tu de positif dans toute cette masse, qu’est-ce qui te donne le sourire , te donne envie de continuer d’écrire cette histoire ?

Toute personne publique, aussi lisse et politiquement correcte soit-elle a des haters, c’est comme ça que ça fonctionne maintenant. C’est la manière dont je me mets en scène qui peut déranger. De manière générale, les femmes qui se sentent bien dans leur corps et qui ont compris que c’était un pouvoir, ça rend les gens mal à l’aise. C’est dangereux une femme qui a du pouvoir. S’assumer, être libre, avoir de l’ambition, parler fort c’est une manière virile d’exister en tant que femme. Dans une interview récente, un journaliste m’a qualifiée de ‘dure à cuire’. Certainement parce que je suis difficile à cuisiner, mais peut être aussi parce que je suis dure comme un homme ?

 Tu utilises l’humour dans tous tes posts, quelle est la réplique qui t’a fait le plus rire et qui a fait le plus rire tes followers ?

 Je pense que c’est ma story Kalashisha.

Droite 

Top et pantalon: Mugler 

Ceinture: Neith Nyer

Gauche

            Manteau et foulard: Fendi          

Top: Marini

Cyclist :Gamut

Valise: Louis Vuitton

 Est-ce que tu aimes le terme de féministe et trouves-tu qu’il convient à ce que tu as entrepris de faire ?

 Je suis intrinsèquement féministe dans mon existence et dans mes modes de pensée. Mais je n’aime pas trop les catégories. Je ne suis pas pour cette obsession française à vouloir tout nommer et classer.

 En défendant un « type de femme » tu défends en général une cause plus vaste, celle pour toutes les femmes de s’exprimer librement, de se montrer comme elles le souhaitent ?

 Je ne défends pas un type de femme. J’évoque des problématiques qui touchent toutes les femmes, et même les hommes. Je suis pour la liberté et la liberté est universelle.

 Tu as récemment décidé d’apparaitre dans le  clip « Kssiri », titre du prochain album de NAAR, peux-tu nous en dire plus sur cette collaboration ?

 C’est Ilyes Griyeb du collectif NAAR qui m’a approché. Au début j’ai automatiquement dit non car je refuse toujours de faire de la figuration dans les clips. Il m’a expliqué le scénario en m’expliquant que j’aurais un rôle de chef de bande. Ce qui est rare pour un clip de rap de voir une femme voyou qui fait des drifts. Il s’agit aussi de participer au rayonnement du Maghreb et plus largement de l’Afrique.

Quel est l’univers musical qui t’inspire justement ? Dans ton style, il y a quelque chose de très “années 2000”, il y a des artistes de cette génération qui t’inspirent?

 Mon style n’est plus tellement années 2000. En ce moment il est plus glamour, style actrices italiennes et égyptiennes des années 60.

 Aujourd’hui d’autres artistes t’inspirent?

 Ce ne sont pas les artistes qui m’inspirent le plus. La plupart du temps ce sont des femmes et des hommes du quotidien.

 Tu es diplômée d’une prestigieuse école de mode (la Central Saint Martins de Londres), pourquoi avoir choisi cette filière ? 

 C’était mon rêve depuis toujours de faire carrière dans la mode, donc c’est tout naturellement que j’ai tout mis en oeuvre pour étudier dans la meilleure école.

 Comment définis-tu ton style ?

 Très bouteldjesque.

 Tu as l’impression aujourd’hui de pouvoir t’exprimer pleinement avec la mode, la Lisa Bouteldja toute en strass et en paillettes. Es-tu comme ça au quotidien ?

 Si ça signifie « est-ce-que tu t’habilles vraiment comme ça au quotidien ? » la réponse est oui. En ce qui concerne les strass et les paillettes, oui, j’aime briller pour éclairer l’obscurité du monde.

Veste : Necklace

Sac: Vivienne Westwood 

Jupe: Alexandre Vauthier 

Chapeau et ceinture: Dio

 Lunettes: Mikita

 Tu as un style assez vintage, où fais-tu ton shopping ?

 Pratiquement toutes les pièces que j’achète sont vintage. Je les trouve sur internet.

 Quelle est la pièce que tu as trouvé dont tu es la plus fière ?

 Une paire de bottes Dior époque Galliano très rare.

 Tu accessoirises aussi beaucoup, c’est important ?

 Chez moi les accessoires ne sont pas accessoires. Ce sont des pièces à part entière.

 On imagine que ta couleur préférée est le vert ?

 J’aime le vert, le rouge et le blanc à égalité. Mais il ne faut pas croire, j’aime aussi le bleu !

 Tu collabores également avec l’Institut du monde arabe, peux-tu nous en dire plus ?

 Je suis intervenue à l’Institut du monde arabe le 8 mars dernier dans le cadre de la journée internationale des droits des femmes pour parler de mon travail. Je préside aussi un concours photo organisé par l’IMA pour les rendez-vous de l’Histoire le 14 avril prochain. Ce sera suivi par une discussion avec Nadia Hathroubi-Safsaf, rédactrice en chef du Courrier de l’Atlas, pour aborder la réflexion que je mène autour de l’objectivation et la sexualisation de la femme nord-africaine.

 

 

Dress Moschino Earrings Vanessa Schindler Sunglasses Mykita

Robe: Moschino

Boucles d'oreilles: Vanessa Schindler 

Lunettes: Mykita