Amandine Kuhlmann est une photographe française qui a fait de son univers girly et coloré, un véritable manifeste d’empowerment pour les filles de toutes les générations. Son travail engagé, bienveillant et empli de second degré questionne les clichés sur la féminité pour mieux les déconstruire. Bienvenue dans un mode où le téléphone à clapet est légion et où Britney Spears s’érige en muse absolue. Modzik a posé quelques questions à l’artiste, concernant son travail, ses obsessions et l’avenir des femmes.

Oops I did it again / Amandine Kuhlmann

Peux-tu te présenter ? Qui es-tu ? D’où viens-tu et quel est ton parcours ?

Amandine Kuhlmann : J’ai vécu en terres Picardes durant ma tendre jeunesse et cela fait maintenant huit ans que je vis à Paris. Après des études dans de multiples écoles, je suis fraîchement diplômée et photographe à mon compte depuis deux ans.

Tout d’abord, ce qui saute aux yeux quand l’on regarde tes photos, c’est l’influence de la couleur rose, les années 2000 et les réseaux sociaux (mais pas que, évidemment) ? Peux-tu m’expliquer toutes tes obsessions ?

AK : Très honnêtement, mes obsessions sont les mêmes depuis que je suis en âge de tenir un skyblog. Ce sont des leitmotivs auxquels j’étais attachée et que j’ai terminé par sacraliser. L’adolescence est une étape où je me suis forgée et où, pour autant, je n’étais pas libre de mes choix. C’est une époque où l’on est très influencé, notamment par les médias, sans même en avoir conscience. En utilisant à nouveau ces codes, c’est une façon de m’affirmer et de reprendre le pouvoir.

La présence de la technologie, du high-tech et des réseaux sociaux dans mon travail me paraît indispensable. Il s’agit de moyens de communication qui relèvent d’une certaine audace et d’une impertinence propre à notre génération. Nous sommes dans une ère où il n’a jamais été aussi facile de s‘exprimer. Quant à la couleur rose, elle est un symbole fort. L’utiliser est une manière de se réapproprier la “girl culture” qui nous a toutes conditionnées dès notre enfance et de montrer que la féminité n’est pas forcément synonyme de carcan.

Girls by Girls / Amandine Kuhlmann

Tu photographies beaucoup les filles ? Est-ce que c’est un hasard ?

AK : Absolument pas ! Le fait de photographier principalement des modèles féminins est un choix. D’un point de vue purement visuel, j’ai toujours trouvé cela plus intéressant. Mais au-delà de l’esthétique, j’ai compris qu’il s’agissait d’un acte bien plus fort que de s’assumer en tant que femme à travers l’image, tout comme dans la vie de manière générale d’ailleurs. Vis-à-vis de mon discours, cela me paraît bien plus pertinent de travailler avec des femmes. Ce n’est pas pour autant que je ferme définitivement la porte aux modèles masculins.

Girls by Girls / Amandine Kuhlmann

Comment choisis-tu les thématiques de tes séries ?

AK : J’ai toujours travaillé à l’instinct. Cela m’arrive très souvent d’avoir une idée en tête qui va me démanger jusqu’à ce que je la réalise. De mes convictions découlent automatiquement une série. Je traite des clichés et des stéréotypes dans lesquels les femmes peuvent être enfermées. Je joue ainsi avec les codes et les conventions. Finalement, beaucoup de mes thèmes se rejoignent et chaque série est complémentaire.

Que souhaites-tu faire ressentir aux gens avec tes photos ?

AK : Certaines filles m’ont déjà remercié lorsque j’ai posté une photo d’un ventre avec des bourrelets. Je me suis rendu compte que c’était la plus belle réaction que je puisse obtenir. Des personnes (faisant systématiquement partie de la gente masculine) m’ont avoué être mal à l’aise face à certaines de mes photos et ce malaise m’intéresse. Effectivement, cela suscite une réaction et il n’y a rien de pire que l’indifférence lorsqu’on expose son travail. Mais en somme, le but ne serait-il pas que ce type d’images soit banalisé ? À terme, je souhaiterais donc que certaines de mes photos suscitent l’indifférence.

Spring Break / Amandine Kuhlmann

As-tu des messages à faire passer grâce à tes photos, également ?

AK : Ma production photographique est une forme d’engagement. Je cherche à montrer la beauté des corps, de tout type, toute taille, tout âge et toute forme. Le corps de la femme n’est pas un objet lisse et poli. Il est question de montrer une vision de la femme qui assume pleinement sa sexualité. Actuellement de nombreux artistes travaillent sur ces thèmes et j’aurais voulu connaître ce type d’images étant plus jeune.

Oops I did it again / Amandine Kuhlmann

Comment choisis-tu tes modèles ? Qu’est-ce qui t’interpelle chez une personne en règle générale et qu’est-ce que tu trouves « beau » chez quelqu’un ?

AK : Mon entourage, mes amis me servent régulièrement de cobaye pour mes shoots. J’aime pouvoir utiliser des modèles avec qui je suis proche, cela rend la prise de vue plus fluide. En revanche, en sillonnant Instagram, il m’arrive très souvent de tomber sur des profils intéressants. Il est devenu tellement facile de contacter un individu de cette manière alors pourquoi s’en priver. C’est beaucoup plus simple pour moi de trouver de cette façon des “girls next-door”, des personnes avec une personnalité bien définie, ou avec des particularités apparentes. Tout peut être beau, encore faut-il que ce soit pertinent. Les physiques lissés et photoshopés à outrance ne m’intéressent pas. Il m’arrive de passer parfois par des agences. Bien que ces dernières, proposent de plus en plus de profils “atypiques”, l’expérience demeure beaucoup moins exaltante.

Oops I did it again / Amandine Kuhlmann

Quel rapport entretiens-tu avec la nudité et le corps ?

AK : Paradoxalement, d’un point de vue esthétique, je vois le corps comme un outil de travail, comme de la texture ou de la matière. Politiquement parlant, je vois le corps et la nudité comme un moyen de revendication.

Peux-tu me donner ta définition du « mauvais goût », toi, qui joue avec cette « notion » dans tes clichés ?

AK : Nous arrivons à un tournant où le mauvais goût n’est plus vraiment définissable. À partir du moment où la Haute Couture reprend des codes plus populaires, voire carrément vulgaires, les “eaux” deviennent “troubles”. Nous sommes tous le beauf de quelqu’un. Avoir de mauvais goûts, c’est avant toute chose, avoir des goûts. Afficher ses préférences est une manière de s’imposer. J’aime tout ce qui est ostentatoire, et le kitsch en fait partie. Le bon goût est d’un ennui mortel !

Oops I did it again / Amandine Kuhlmann

Tes photographies sont engagées, as-tu bon espoir sur le futur des femmes en France, que ce soit avec le mouvement « Metoo » ou avec celui du body-positive par exemple ?

AK : Aussi infime qu’il puisse être, j’ai de l’espoir. C’est à partir du moment où l’on s’exprime – d’une quelconque manière, – que les choses avancent et prennent forment. Le sexisme, la misogynie, le slut-shaming, l’humiliation, la violence, la haine, le harcèlement et les agressions sexuelles existent depuis la naissance de l’Humanité, donc autant te dire qu’il y a du boulot. Cependant ce n’est pas en gardant le silence que cela évoluera. Il y a des efforts considérables à fournir en matière d’éducation et d’enseignement. La culture du viol, le racisme ordinaire (ou non), l’homophobie… c’est à nous et aux générations qui suivent d’apprendre à nos enfants à ne pas devenir des raclures.

Oops I did it again / Amandine Kuhlmann

“C’est à partir du moment où l’on s’exprime – d’une quelconque manière, – que les choses avancent et prennent forment. Le sexisme, la misogynie, le slut-shaming, l’humiliation, la violence, la haine, le harcèlement et les agressions sexuelles existent depuis la naissance de l’Humanité, donc autant te dire qu’il y a du boulot” Amandine Kuhlmann