Véritable outsider à son arrivée en 2000 avec son premier album aux accents fifties à souhait, la toute jeune Duffy a damé le pion à ses aînés et s’est imposée avec une déconcertante facilité dans le club très fermé des artistes qui vendent leurs albums par millions et décrochent les Grammys. Voici venu le temps de la confirmation avec son nouvel opus, Endlessly, cette fois plus orienté sixties, pour lequel elle s’est arrogé la signature d’Albert Hammond (i.e. le père du guitariste des Strokes) et des musiciens de The Roots…

Comment as-tu appréhendé ce début de carrière tonitruant ?

Cela fait longtemps que j’ai quitté ma presqu’île de llyn au Pays de Galles et ma famille, car je voulais chanter à tout prix. Tout cela est le fruit de beaucoup de travail, d’énergie et de volonté. J’ai passé du temps à me concentrer sur ce but, avec passion. lorsque je vois que le public s’est approprié ma musique, qu’elle fait partie de leur vie, que des mères de famille font leur ménage en écoutant mes chansons, qu’elles sont jouées chez les gens quand la famille est réu- nie, qu’elle les touche dans leur quotidien, cela me rend heureuse. l’idée de faire partie de leur vie, c’est le plus gratifiant pour moi.

Y a-t-il un moment où, après les Brit Awards, les Grammys, cette grande tournée aux États-Unis, tu t’es posé des questions sur le futur ?

J’ai toujours voulu vivre cette vie, pas forcé- ment avec autant de succès, mais je voulais chanter, partir en tournée, rencontrer des gens nouveaux, voyager dans le monde. Je croise donc les doigts pour que cela dure longtemps. J’ai quitté ma famille à l’âge de 15 ans pour ça. C’est mon choix. Je ferai tout pour que cela continue et j’apprécie chaque minute de cette vie ! Je ne m’apitoie jamais sur mon sort. Je ne me dis jamais que je suis trop fatiguée : j’ai de la chance de faire ce que j’aime. Je pourrais avoir un travail rebutant et inintéressant à subir tous les jours.

Tu travailles donc beaucoup ?

Oui, je suis une perfectionniste, je m’attache à tous ces petits détails qu’on ne prend généralement pas en compte. Je dors peu. Aujourd’hui, dans cette époque dédiée à la technologie, à la rapidité, je trouve qu’il est plus difficile qu’avant de réaliser un projet de grande qualité. Quand tu reviens en arrière, dans les années 1950- 1960, il était plus facile d’être une star qu’aujourd’hui. Tout va plus vite et devient accessible, mais on a perdu quelque chose en cours de route.

Est-ce aussi pour cela que ta musique fait fortement référence aux années 1950-1960 ?

Probablement. C’est difficile pour moi de savoir d’où cela me vient vraiment car, finalement, j’ai été élevée dans la génération MTV, avec des artistes comme Prince, Bowie, Madonna, Britney Spears, la pop anglaise d’Oasis à Blur. Si l’on m’associe à cette ère, bien que je sois née en 1984, alors là c’est un beau compliment. Pour moi, les choses étaient alors plus poétiques, excitantes, pleines d’imagination, émouvantes…

Tu as toujours eu ce penchant pour ces années glorieuses ?

J’ai toujours été un peu décalée, avec un côté vieux jeu. Je n’ai pas eu de révélation ou de changement de personnalité. Cela me semble toujours étrange, je trouverais plus logique que les questions de ce genre soient posées à ma mère, ma sœur ou encore Albert Hammond, avec qui j’ai écrit ces chansons, par exemple. Pourquoi je suis comme cela, je ne sais pas. Je ne me suis jamais vraiment posé la question. Et pourtant, c’est un peu étrange quand on y pense.

Quel est ton caractère ?

Je pense que je suis une incorrigible romanti- que. J’aime les belles choses, les beaux films, la bonne nourriture… Quand les choses ont commencé à s’emballer dans ma carrière, j’ai pris un peu peur en me disant que ce serait dorénavant compliqué d’avoir des rapports normaux avec les gens que je rencontre, que je ne pourrais plus faire les choses les plus simples du fait de ma notoriété. Mais ce qui m’effrayait le plus, c’était de me faire courtiser par des hommes intéressés par ma notoriété et pas par ma vraie personnalité. Comment allais-je pouvoir tomber amou- reuse comme tout un chacun ? Heureusement, mon partenaire vient de la même région que moi et ma vie ne l’impressionne pas du tout. Je ne m’imaginais pas vivre avec un autre artiste. un dans la maison, ça suffit !

As-tu ressenti une certaine pression avec ce second album ?

Lorsque je suis arrivée je n’étais rien, je venais de nulle part. À l’âge de 21 ans, j’ai vendu des millions d’albums. de ce fait, les gens croient en vous. Ma musique ne fait pas partie d’un style particulier ou d’une niche mais est destinée à un public large et varié. Ma vision est plutôt globale et je travaille dans ce sens. donc tout le monde s’approprie une partie de moi, mais personne ne me voit en entier. Pour ce nouveau disque, je suis simplement revenue à une certaine discipline, à l’instar de l’époque de mon premier album Rockferry. Je suis mon instinct. J’écoute beaucoup mon entourage et les conseils que l’on me prodigue, mais au final je prends souvent mes décisions seule. Par exemple, lorsque je rencontre des gens, je sens immédiatement si je peux leur faire confiance ou non. Je ressens beaucoup les choses. Musicalement, je suis intouchable dans mon travail, même si cela peut paraître prétentieux.

Cet album repose sur les bases musi- cales du premier, mais ajoute une note sixties différente…

Avec ce nouveau disque, je voulais ouvrir encore mon style. Il y a même un moment, lors des enregistrements, où je me suis dit : je suis en train de faire un album pop ! En studio, les idées fusaient et cela partait dans tous les sens. J’ai à la fois écrit avec le talentueux Albert Hammond et eu le privilège de jouer avec les musiciens de The Roots. C’est ce mélange de genres, et le fait de croiser ma personnalité et leur talent, qui a donné le jour à Endlessly.

Comment son venues ces collaborations ?

Pour Albert Hammond, nous nous sommes rencontrés grâce à sa femme. C’est elle qui lui a parlé de moi et nous sommes entrés en contact. Je ne pensais pas qu’un grand monsieur, qui a travaillé avec Burt Bacharach et signé des hits comme The Air that I Breathe des Hollies ou When I Need You dans les années 1970, souhaiterait colla- borer avec moi. Il a vendu des millions de disques et écrit de magnifiques chansons pour de nombreux artistes. Et pourtant, à 66 ans, il m’a choisie et j’en éprouve la plus grande fierté. À un moment, lors de nos sessions de travail, Albert m’a lancé quelque chose comme : « J’ai entendu ce groupe à la télévision et j’aime beaucoup leur son. » Je lui ai demandé de quel groupe il parlait et il m’a répondu : « The Roots ». J’ai failli en tomber de ma chaise ! Je rêvais de travailler avec eux. J’étais estomaquée qu’à son âge, il soit aussi jeune d’esprit. Parfois, je devais même canaliser son énergie. Il aime passionnément la musique, il n’a pas besoin aujourd’hui de faire de nouvelles chansons, sa carrière est immense, et pourtant c’est son moteur. The Roots, j’étais allée les voir en concert à Londres et j’avais vraiment adoré leur son et leur groove. J’aurais vraiment voulu les avoir sur Rockferry mais, à l’époque, je n’étais personne et il m’était difficile d’entrer en contact avec des musiciens aussi connus et respectés. J’adore leur son de batterie, pour moi c’est ce qui se rapproche le plus aujourd’hui du son de la Motown. C’est vraiment unique. C’est d’ailleurs probablement dans cette direction que je me dirigerai pour mon prochain  album. Je suis folle de Marvin Gaye et je veux vraiment retrouver ce son. J’en meurs littéralement d’envie !

Tu penses que le son des productions actuelles n’est pas aussi percutant ?

Pour moi, au cours des années 1980 et 1990, le son de la batterie a changé. lorsque j’écoute le son des années 1950 et 1960, cela me paraît évident. À partir des années 1980, ce son est devenu plus mécanique et a perdu de son humanité, de sa chaleur – sauf pour les groupes de rock bien sûr. Or, pour moi, le batteur c’est le guide, il représente la base du son.

Finalement, comment as-tu convaincu le groupe de jouer sur ton disque ?

Une nuit où je ne dormais pas, vers 2 ou 3 heures du matin (les meilleures choses m’arrivent toujours vers ces heures-là), j’ai décroché mon téléphone et contacté l.A. Reid aux États-unis, le boss de la Island def Jam Group, à qui j’avais fait passer mon disque à sa sortie. Je l’ai donc appelé et lui ai dit : « J’ai une grande faveur à te demander : j’aimerais entrer en contact avec The Roots et réaliser une session d’enregistrement avec eux. » Il m’a répondu « pas de problème » et mon rêve est enfin devenu réalité. Ils ont joué sur tout l’album et ont ajouté des éléments rythmiques à chacun des morceaux. Je leur suis vraiment reconnaissante.

Comment s’est déroulée l’écriture des morceaux avec Albert ?

Albert et moi nous sommes rencontrés une première fois dans la maison en Espagne, nous avons beaucoup parlé et, très vite, Albert est revenu avec une première chan- son intitulée « don’t Forsake Me ». C’est la chanson que j’ai toujours attendue, toute ma vie. Cela a posé les bases de l’album et a donné le ton du disque. Je suis revenue quelques semaines plus tard (j’étais en tour- née à ce moment-là), je me sentais fatiguée, seule, et Albert et moi avons eu du temps ensemble. Cinq chansons sont apparues, puis cinq autres à la faveur d’une autre session. Albert et moi ne passions pas seule- ment du temps en studio, nous faisions aussi des promenades sur la côte, nous dînions ensemble et nous sommes devenus de vrais amis. Il fait quasiment partie de ma famille désormais. En tout, nous n’avons travaillé que trois semaines, mais les chansons étaient là. Elles se sont imposées à nous. C’était assez. Il était inutile d’aller plus loin, car nous sentions que nous tenions quelque chose de fort. Cette fois, je me suis davantage mise à nue, je parle de choses qui me touchent. Je n’avais pas spécialement prévu d’aborder tel ou tel sujet, mais les chansons arrivent sans crier gare. À partir de là, il nous fallait les amener à la vie. les chansons sont comme des individus à part entière pour moi. une fois enregistrées, elles ont leur vie propre.

Dans la vidéo du premier titre, tu arbores un look très BB…

Ce n’était pas prémédité. J’ai toujours aimé cette coupe de cheveux, qui me va plutôt bien je crois. Et je voulais quelque chose à contre-courant de ce que l’on voit aujourd’hui avec des tenues toujours plus courtes. C’est Albert qui m’a soufflé cela en me disant : je n’ai jamais trouvé plus sexy qu’une femme en jupe longue, dont on a envie de découvrir les jambes. dans le clip, je joue une séductrice, un peu comme dans Et Dieu créa la femme de Vadim : pas besoin d’une mini-jupe pour ça.

Duffy, Endlessly (AZ/Universal)
www.iamduffy.com

Propos recueillis par Joss Danjean
Photos Romina Shama
Réalisation Mélanie Brault