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Lorsqu’on parle château, on imagine un prince, un roi et une reine. Point de tout cela au Château d’Hérouville, mais une utopie musicale née dans l’esprit d’un compositeur fantasque, Michel Magne. France 5 lui consacre un documentaire à ne pas manquer. Ecrit et réalisé par Christophe Conte produit par Morgane prod, Une folie rock française au montage palpitant, est un incroyable film où vous allez découvrir des images inédites, découvrir l’origine du morceau intemporel  d’Iggy Pop China Girl. Vous allez rire, sourire, vous attrister au travers d’images d’archives  et de témoignages inédits et surtout découvrir l’histoire de Michel Magne, incroyable compositeur et créateur du Château d’Hérouville, premier studio studio résidentiel français.

 

 

Sans véritable prestige, cette gentilhommière à 40 kms de Paris dans le Val d’Oise fut tour à tour relais de poste, étable pour chevaux. C’est en 1838, que le château devient célèbre alors qu’il accueil entre ces murs Frédéric Chopin et George Sand, qui y vivront leur amour clandestin. Mais ce qui nous intéresse débute en 1962, soit 120 ans après Chopin avec l’arrivée de Michel Magne, compositeur de la musique des Tontons flingueurs, les Angélique, Fantômas, entre autres. Il y installe une salle de musique avec piano à queue pour pouvoir composer loin du vacarme parisien, salle qui sera ravagée par un incendie en 1969. Le compositeur perd l’ensemble de ses enregistrements et partitions. Désespéré, incapable de réécrire, Michel Magne change de stratégie « Si je n’ai plus rien, alors je vais faire venir la musique à moi », écrira-t-il dans son autobiographie. Il fait alors construire un studio d’enregistrement de 100 m2, avec 6 mètres de plafond dans une autre partie du château qui sera baptisé  Studio George Sand. N’étant pas vraiment gestionnaire, tout en constatant que les frais sont de plus en plus importants, il décide de créer sa société d’exploitation commerciale.

 

Première publicité. De gauche à droite : Gérard Delassus, Michel Magne, Dominique Linné (assistante) et Anne-Marie David (chanteuse).

 

Là, née l’idée d’y adjoindre une activité gastronomique et hôtelière. Le Château d’Hérouville devient donc le premier studio résidentiel de France et le deuxième au monde. « Personne ne viendra enregistrer si loin de Paris, dans un village de 600 habitants, au beau milieu des champs », pensait Serge Moreau, ami et cuisinier de Magne. C’est sans compter sur la qualité des équipements du studio, de ses grandes fenêtres laissant entrer la lumière du jour et de ses ingénieurs du son soigneusement choisis, tels qu’Andy Scott et le jeune Dominique Blanc Francard.

Un évènement va changer le cours de l’histoire du Château. En 1971, Jean Bouquin, alors styliste de Bardot, décide d’organiser le Woodstock Français, festival gratuit avec The Rolling Stones, Pink Floyd, Led Zepellin et Grateful Dead, qui eux logent au Château d’Hérouville. 30.000 spectateurs assistent à ce festival lorsque des trombes d’eau s’abattent sur eux et le matériel. Les organisateurs sont dans l’obligation d’annuler l’événement. Les Grateful Dead décide, alors, d’offrir un concert privé le 21 juin 1971 dans le parc du Château. En même temps, avec son parc, ses 57 pièces et 20 chambres, sa piscine, son tennis… la place ne manque pas. Seulement 200 habitants du village pourront y assister, les pompiers géreront la sécurité. Ce fut orgiaque : banquet d’exception, alcool à volonté et musique une bonne partie de la nuit. Certains habitants sont retrouvés nus dans le parc ou dans la piscine, y compris les forces chargées de la sécurité hagards. Les Grateful Dead avaient agrémenté les boissons de LSD.

 

 

Le Château d’Hérouville est maintenant sur la carte. Un deuxième studio nommé Chopin est alors construit avec le matériel le plus avancé du moment. Les artistes français y ont enregistré : Eddy Mitchell, Johnny Halliday, Bernard Lavilliers… Aidés par un dispositif leur permettant de ne pas payer d’impôts, les artistes anglais et les américains commencent à arriver. Le premier connu sera Elton John, qui débarque avec dix membres de sa crew dont Bernie Taupin avec l’objectif de « vivre à la française » pour enregistrer ce qui deviendra Honky Château sur lequel figure Rocket Man. Il y enregistrera deux autres albums dont le classique Goodbye Yellow Brick Road. On y croisera Bill Wyman qui deviendra avec Elton John les meilleurs ambassadeurs du Château.

 

Elton John jouant au ping-pong en 1972 au Château d’Hérouville.
photo : Claude Schwartz/Rue des Archives.

 

Pendant ce temps-là, les fêtes continuent à un rythme effréné perturbant quelques peu les séances d’enregistrement. Laurent Thibault, alors ingénieur du son, dira « il y avait des filles à poil partout. Elles gambadaient ou bronzaient dans le parc, de drôle de produits circulaient. Les musiciens étaient aux fenêtres. Impossible de bosser. »

Cela n’empêche pas les artistes de venir. David Bowie vient enregistrer l’album de reprises Pin Ups puis plus tard Low. Il viendra aussi accompagné d’Iggy Pop, mais cette fois-ci pour produire certains morceaux de ce dernier. Laurent Thibault, fervent artisan de ces albums dira « David est le seul mec capable de te prendre la substantifique moelle, qui sait la transcender et se l’approprier. C’est du génie, il n’y a pas d’autres termes. Ce mec est une éponge ».

Suivront les Pink Floyd, Nougaro, Jacques Higelin qui vivra dans la bergerie et enregistre notamment Champagne pour tout le monde, Véronique Samson, Fleetwood Mac, Marvin Gaye, T. REX… Les Bee Gees sera le seul groupe de disco à passer au Château. Ils y sont ressortis avec Saturday Night Fever dans la poche.

 

David Gilmour, le réalisateur Barbet Schroeder, Rick Wright, Nick Mason, Roger Waters et Dominique Blanc-Francard à la console.

 

Au plus fort de l’activité, on compte quinze salariés, une fête tous les soirs, dîners à plus de cent convives… Michel Magne est un généreux. Très vite, les dettes s’accumulent. « Michel n’était pas un gestionnaire – confirme Marie-Claude Magne, son épouse – administrer le château lui pesait énormément, les factures s’accumulaient, le fisc réclamait des sommes folles. Il offrait des semaines de studio aux groupes, servait des grands crus à tous les repas, ne comptait pas. » Dominique Blanc-Francard précisera « Michel refusait de compter. Il ne voulait pas se limiter dans ses dépenses et avait beaucoup de mal à faire la différence entre son porte-monnaie et les comptes de la société ».

Fin 1974, c’est une lente agonie pour Hérouville. Michel Magne cède la gérance des deux studios (tout en conservant les murs du Château). Un premier repreneur, alors responsable des studios Davoust, manque de couler le navire et restera longtemps en conflit avec Michel Magne. Laurent Thibault (musicien de Magma) reprend l’affaire qu’il mènera tant bien que mal jusqu’en 1985. Le temps de la splendeur est terminé définitivement. « Hérouville était trop beau pour être vrai, attirait trop de convoitise, trop de jalousie, et je fus puni d’être heureux », écrit Michel Magne dans son autobiographie. Il se suicidera, à l’âge de 54 ans, dans une chambre d’Hôtel à proximité du Tribunal qui avait prononcé la saisie définitive du Château quelques semaines plus tôt.

 

Séances David Bowie/Iggy Pop/Tony Visconti, septembre 76, pour l’album Low.

 

En janvier 2015, après 30 ans d’abandon, le château est racheté par trois français passionnés de musique, Jean Taxis et Thierry Gracino, ingénieurs du son et Stéphane Marchi, investisseur. Trois studios d’enregistrement y sont créés, un centre de formation pour professionnels du son y prend place. Plusieurs sessions d’enregistrements live ont eu lieu entre 2016 et 2019 notamment pour la chaîne Arte, avec comme invités Sting, Gregory Porter, Metronomy, Melody Gardot ou bien encore Asaf Avidan.

Pendant la période 1970-1985, entre 250 et 300 albums y auront été enregistrés.

 

Le Château d’Hérouville, une folie rock française, 19 janvier 2024, à 23h10, sur France 5 et en replay.

Infinis remerciements à Gérard PontChristophe ConteDominique Blanc-Francard et Marie-Claude Magne pour votre bienveillance et la qualité de nos échanges.

Pour poursuivre : Laurent Jaoui Hérouville, le château hanté du Rock (castormusic), Yann Le Quellec et Romain Ronzeau Les Amants d’Hérouville (Delcourt) et Franck Ernoult (site).

 

Texte : Lionel-Fabrice CHASSAING