C’est dans leur local de répétition situé aux Mains d’œuvres que nous rencontrons les Frustration. La première signature de l’incontournable label Born Bad a fait du chemin depuis ses débuts il y a maintenant presque quinze ans. Avec Empires of Shame, ils continuent leur exploration d’un rock intransigeant teinté de cold-wave et signent au passage le meilleur album rock de cet automne. Ils seront présents les 12 et 13 octobre à la Maroquinerie pour la release party de leur album.

L’album sort des compositions classiques…
Pat : Je n’ai pas senti de différence dans la composition. C’est souvent parti d’un riff, on n’a pas changé notre méthode de travail. En quatorze ans de carrière, on se permet plus de choses peut être. On n’a pas cherché à faire de l’avant-garde.
Fabrice : On s’est permis plus de fantasmes personnels. Comme des chansons sifflées car nous sommes de grands fans d’Ennio Morricone. Je souhaitais des instruments classiques déjà sur Uncivilized, comme du basson et de la contrebasse. On a réussi à le faire sur cet album. On a fait ce qu’on a envie, comme avec ma voix d’ailleurs.

Vous avez joué sur scène avec Sleaford Mods, comment s’est fait cette rencontre ?
F : Ça s’est fait à la Villette Sonique. Ce groupe a une influence sur moi, sur ma manière de chanter, les rencontrer m’a rendu plus libre. Le chanteur est vraiment habité. Ça m’a donné du courage même pour faire changer des choses dans ma vie comme arrêter de bosser et de développer mon anti-capitalisme primaire.

Le côté working class que vous avez en commun a dû vous rapprocher effectivement…
F : Il y a deux choses : l’intransigeance de Sleaford Mods m’a réconforté. La deuxième chose c’est le groupe Blackmail, qui nous a fait découvrir Sleaford Mods, et m’a aidé à sortir du syndrome de Stockholm que j’avais par rapport à mon boulot à côté. Ça s’appelle le signe directeur. Ça veut dire que si tu vois la société prendre des directives aberrantes par rapport à ce que tu es, et que tu fais malgré toi partie de ce système, tu en es l’acteur. Et donc Sleaford Mods m’a fait réaliser ça. Ils ont dépoussiéré l’Angleterre et lui ont donné une vision contemporaine. Ils sont très libres et anti-carriéristes. Ils ne veulent pas réussir, mais seulement être compris. Ça nous a parlé.

Dans une ancienne interview, vous disiez que c’était important pour vous de garder vos boulots à côté. Ça a donc changé ?
F : Les choses ont changé, certains d’entre nous n’ont plus leur boulot, d’autres s’apprêtent à quitter le leur. Il n’y a pas que le fait d’avoir un boulot qui fait qu’on est libre, c’est parfois même une prison. On a tous des envies de changement en ce moment. Frustration ne sera jamais une contrainte de rentrée d’argent. Ce n’est pas un loisir, mais on veut que ça reste du plaisir. On veut que ça reste à part, protéger notre groupe.

Vous êtes la première sortie de Born bad, vous vous sentez un peu grands frères par rapport aux autres groupes ?
F : Grands frères, je ne sais pas, mais on se sent musicalement proche de Lonelywalk qui fait aussi de la cold-wave. Avec JB (le boss de Born Bad ndlr), on se connaît depuis qu’on est gamins. Mais il n’y a pas de copinage, JB signe seulement ce qu’il lui plait.

Il y a deux titres qui sortent vraiment du lot dans cet album : « Empires of Shame » et « Mother Earth of Rags ». Vous pouvez nous en parler ?
F : « Mother Earth of Rags » est plus original oui. Il a un côté Young Gods, je trouve. C’est une chanson qui parle d’écologie, de pollution, ça peut surprendre venant de nous (sourire). Je n’aime pas le consumérisme aussi pour ça. Il y a aussi un clin d’œil au titre de Can, « Mother Sky ». « Empires of Shame » parle des pillages des cultures faites par l’Occident et ses colonies. C ‘est inadmissible de faire venir des gens pour les faire vivre dans des camps dégueulasses. C’est leur manquer de respect, et on l’a bien cherché. C’est un bon retour de bâton, donc l’empire de la honte.

Vous ne trouvez pas que justement les groupes estampillés rock manquent d’engagement en France ?
F : On n’est pas un groupe engagé ! Je préfère chanter qu’écrire, c’est juste que j’ai un avis sur tout. S’il y a des gens qui veulent écrire une chanson pour dire qu’ils aiment leur copine, c’est bien aussi.
Quand j’entends des chansons qui disent « On vous souhaite tout le bonheur du monde », j’ai envie de les baffer, c’est pas notre truc. Le problème de la France, c’est que si tu as des propos contestataires, beaucoup de scènes se ferment à toi. Donc tu ne peux pas avoir de succès, il ne faut pas bousculer le bourgeois. Alors que dans les pays anglo-saxons tu peux dire des trucs plus subversifs. On n’est pas non plus un groupe qui écoute que de la cold-wave. On adore Tears for Fears, Nina Simone, les premiers Iron Maiden, Brassens et des trucs très pointus avec des disques tirés à 300 exemplaires.

Vous aviez collaboré avec Agnès B, vous vous sentez proches de l’univers de la mode ?
F : Ils viennent à nos concerts, on vient parfois à leurs soirées mais on n’est pas méga-branché avec ce milieu. On a bossé avec Valérie Donzelli pour son film La Guerre est Déclarée, elle a pris un morceau pour son film. Elle était dingue de « Blind ». C’est elle qui est venue nous chercher. Agnès B nous aide car elle aime notre musique.

Interview : Guillaume Cohoner

Photo : Blaise Arnold

FRUSTRATION
Empires of Shame
(Born Bad records)

Retrouvez toutes les infos de leur release-party à la Maroquinerie sur la page de l’événement, le 12 et 13 octobre.