Après tout, mettre les choses au clair de temps en temps, n’a jamais fait de mal à personne. Et lorsqu’il s’agit de rap en France, les polémiques autour d’une des musiques les plus populaires de notre temps ont encore de belles années devant elles.
Mais que pense vraiment les rappeuses francophones et les femmes spécialisées dans le rap ?
Cela semble compliqué à déterminer, à partir du moment où en France, très peu de rappeuses sont médiatisées ; ou en tout cas, pas à leurs justes valeurs. Comme l’affirme Sarah Francesconi journaliste à Maze Magazine « le problème ne vient pas tant des textes eux-mêmes sinon de la sous-représentation médiatique dont sont victimes les rappeuses (…) donnant cette impression de déséquilibre des reflets des désirs féminins et masculins ». En effet, les seules rappeuses à avoir été mises sur les devants de la scène durant une période importante, ont été Diam’s et Keny Arkana. Et, ainsi, lorsqu’une rappeuse s’avère sexy, provocante et “ose” reprendre tous les codes du rap masculins dit dominant, elle est souvent lynchée. Ce fut le cas de la rappeuse Shay, découverte par le rappeur Booba, qui avait reçu une vague d’insultes sexistes, en 2017. En juillet 2017, la journaliste Eloise Bouton, activiste féministe, LGBTQ+ et fondatrice de la plateforme en ligne, Madame Rap, dédiée au hip-hop féminin, révoltée, disait que « dire que le rap est une musique sexiste, c’est du racisme. Le hip-hop est par nature inclusif et pluriel. Et c’est franchement dommage de réduire un art à ça ». En Octobre de la même année, le magazine Greenroom publiait un article racontant le témoignage de femmes dans le milieu du rap français. Le média Madame Rap se demandait alors, pourquoi n’y a-t-il pas plus de rappeuses francophones ? Réponse simple : être une femme dans le monde du rap est peuplé d’obstacle. Mais d’où proviennent véritablement ses attaques ?
Être une femme dans le monde du rap est peuplé d’obstacle.
Puis durant la même année, la rappeuse Chilla, que les médias français ont qualifié de féministe – lui collant ainsi l’étiquette de porte-parole du droit des femmes, alors que l’artiste défend simplement une cause humaine – disait que le sexisme dans le rap, venait majoritairement du public, et non du milieu du rap en particulier. Un argumentaire de la rappeuse, qui signe des paroles engagées en faveur du droit des femmes, dénonçant le harcèlement et des violences faites aux femmes, souligne par ailleurs un questionnement. Si le sexisme provient majoritairement d’un monde extérieur au rap, cela veut-il dire que le rap n’est pas si sexiste qu’on le dit ? En tout cas, le rap n’est pas plus sexiste que le cinéma ou encore la politique. Mais que pensent les rappeuses et les femmes en général du rap francophone, surtout lorsque l’on accuse celui-ci d’être sexiste ? Le 21 mars, Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, présentait son projet de loi, ayant pour but de lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Durant les discussions plusieurs sujets y sont évoqués comme le rap, le porno et la pub, qui sont par ailleurs souvent accusés de promouvoir et de véhiculer le sexisme, voire même les violences. C’est alors que Emmanuelle Carinos spécialiste du rap et doctorante en sociologie entre en piste. Ainsi, celle-ci demande aux invités d’où proviennent ces paroles : « J’ai envie de violer les femmes, de les forcer à m’admirer ». Un silence envahit le plateau : il s’agit de Michel Sardou.
Le rap dit “sexiste” au service du féminisme.
Autre polémique. 18 Avril, Konbini sortait un article réquisitoire à l’encontre du rappeur Sneazzy. Accusant par la même occasion le rappeur de sexisme dans un article qui s’intitule Si Sneazzy “fait le V de la Victoire”, son rap pue la défaite : on l’accuse ainsi d’être misogyne, notamment en prenant comme exemple une de ses punchlines « si j’te demande ta main, c’est pour que j’me branle avec ». Il ne s’agit pas de se demander si cela est sexiste en général, mais pour une fois, il s’agirait de se demander si, les premières concernées, c’est-à-dire les femmes, trouvent cela sexiste. Ainsi, nous aurons une réponse claire : et non, une réponse à la place des femmes. Le slut-shaming est aujourd’hui un atout commercial pour le rap, et visiblement cela plaît. A travers des tubes comme “Tchoin” de Kaaris, “Réseau” de Niska, ou encore “Macarena” de Damso, le slut-shaming veut-il forcément dire sexisme ? Mai 2017, Damso disait que « parler de sexe n’est pas sexiste ». Sommes-nous forcément sexistes lorsque nous écoutons un texte de rap hardcore, incluant des parole aux connotations sexuelles, plaçant la femme en tant qu’objet purement sexuel? Et si pour une fois, nous nous demandons pas, si les femmes ne peuvent pas aimer ce type de paroles qui justement, la place en objet sexuelle, comme les femmes qui peuvent éventuellement apprécier le porno hardcore, ainsi que la soumission. Dire que le rap de Damso, Booba ou encore Kaaris est purement sexiste, ne consiste-t-il pas une manière d’imposer une vision unique du respect et de la liberté de la femme aux femmes et ainsi, du féminisme même?
Janvier 2017, le magazine Grazia publiait un article intitulé « 2017, année des tchoins : pourquoi le rap (re)devient-il sexiste ? » ; se demandant ainsi où étaient les Kery James, I AM, Diam’s, Oxmo Puccino ou encore Keny Arkana, « les véritables plumes du rap français ». Cela sous-entend-il que des rappeurs tels que Booba, Damso, Niska, Kaaris, Sneezy ou encore Orelsan, ne sont pas de véritables talents, sous prétexte que leurs textes ne reflètent pas l’idée que la société se fait du rap ? Le rap, peu importe sa provenance, a toujours évoqué des thèmes comme l’argent, le sexe et les femmes, avec des paroles que certains qualifient de sexiste. Mais pourquoi ce type de polémiques et d’indignations se passe majoritairement en France et dans les pays francophones (comme ce fut le cas en Belgique, lorsque le rappeur Damso a été écarté de l’hymne belge pour paroles dites sexistes), alors que le rap anglophone en particulier aux Etats-Unis, peut s’avérer cent fois plus sexiste que le rap francophone ? Le problème pourrait alors, s’avérer plus idéologique et culturel, que proprement musical.
Il faut cesser de percevoir le rap, hardcore ou non, comme une machine qui consiste à salir l’image de la femme.
Récemment, un collectif a demandé à Spotify de retirer Eminem et Chris Brow de ses playlists, pour propos sexistes et violences. Pourquoi la France ne s’engage-t-elle pas concrètement, notamment autour des évènements accusant le rappeur La Fouine d’agression sexuelle, plutôt qu’à des rappeurs, sans affaires de violences soit dit en passant, et qui tiennent des propos sexuelles à destination des femmes? En France, il est question d’aller par-delà les stéréotypes. Et de cesser de percevoir le rap, hardcore ou non, comme une machine qui consiste à salir l’image de la femme, comme cela peut-être le cas avec la pornographie. Certes, ses milieux peuvent s’avérer hostiles à la femme, mais lorsqu’une femme se réapproprie le slut-shaming, peut-on alors parler de sexisme? Peut-il un jour devenir le symbole d’une nouvelle ère de matriarcat? Cette mise au point semblait essentielle. Entre les propos réellement sexistes de certains rappeurs, ceux que l’on accuse d’être sexistes alors qu’il existe certaines divergences selon les points de vue chacun, puis ceux qui se demandent pourquoi une femme (qui se dit par ailleurs féministe) écoute du Kaaris ou du Booba, il semble relativement important d’en parler : tout simplement, parce que la liberté se ressent, et elle ne s’impose pas.