Projet hautement musical mené par Adrien Durand, à la compositeur, multi-instrumentiste et réalisateur pour Amadou et Mariam, Bagarre ou Papooz, Bon Voyage Organisation oscillait au départ entre neo disco et pop. Avec son nouvel album La Course, il s’éloigne un peu de cette zone en changeant l’orchestration (cuivres, congas, clavecin…) et en ralentissant le rythme – ça flirte avec le jazz et l’exotica tout en restant assez imparable et en accordant toujours un soin des plus particulier au son… Adrien Durand de BVO nous a concocté une playlist soul jazz à souhait.

(c) Lionel Rigal

L’interview :

Comment (et quand) est né le projet Bon Voyage Organisation ?
J’ai sorti mon premier disque (sous le nom “Les Aéroplanes”) en 2009. BVO est la dernière incarnation de mon parcours musical personnel. Le projet dans sa forme actuelle existe depuis 2013, du début de l’enregistrement de notre premier EP “Xingye”

Pourquoi avoir abandonné l’influence disco pop pour aller vers un album plus ambient jazz : besoin d’explorer d’autres territoires ?
Cela faisait au moins 2 ans que je sentais en moi naître l’envie de consacrer plus de temps à une musique plus méditative, à repenser l’équilibre entre le jeu des musiciens et le processus d’enregistrement, à échapper à La Course frénétique de notre temps. Pas par défaut, par volonté. Le déclic s’est produit un soir de Mai 2018 lorsque nous avons ouvert pour Kamasi Washington en quintet instrumental. Une envie de reproduire ce moment durant lequel l’interprétation nous a paru plus évidente, plus libre, et d’explorer cette autre possibilité musicale.

Cela dit je n’ai jamais eu l’impression de faire de la Disco pop, et je n’ai pas non plus le sentiment de faire de l’ambiant jazz aujourd’hui. Je n’aime pas du tout mettre la musique dans des cases, essayer de définir, c’est souvent détruire le propos.


Tes précédentes collaborations (Amadou & Mariam, Papooz, Bagarre…) ont dû influencer ton premier album Jungle, quelle jungle ? Où as-tu puisé les influences de ce nouvel album La Course ?

Le rapport entre mon travail de producteur pour Amadou & Mariam, Papooz ou d’autres et ma musique n’est pas si évident. Coexistent en moi un producteur et un compositeur, mais ce sont deux aspects distincts de mon travail, qui, même s’ils peuvent se compléter et parfois se rejoindre comme dans BVO, sont bien compartimentés dans mon esprit.

Le travail de composition de Jungle, quelle Jungle? était déjà complet quand j’ai commencé à travailler avec A&M et le disque fini quand je me suis engagé dans la production de Night Sketches avec les Papooz. D’ailleurs, j’ai réalisé l’album de Bagarre “2019, 2019” pendant que je travaillais sur “La Course”, difficile de voir un lien direct entre ces deux disques …

Le travail de producteur/réalisateur n’est pas pour moi une source d’inspiration musicale, au contraire c’est plutôt un moment ou je me mets à la disposition de l’inspiration des artistes avec qui je travaille. J’essaie d’offrir à leur musique tous les outils, toute l’expérience, et toute la sensibilité musicale que j’ai en moi pour leur permettre de réaliser leurs inspirations. C’est un travail de générosité, de service.

Pour autant ce sont de grands moments d’apprentissage et d’enrichissement humains. La plupart des artistes avec qui je travaille sont des songwriters, et j’ai voulu faire un disque instrumental, esprit de contradiction.

La Course mêle à la fois ambiances exotiques et envolées synthétiques futuristes : pourquoi le choix de ce grand écart étonnant ?
Ce grand écart n’en est pas vraiment un. De la musique classique à l’Exotica en passant par la musique électronique ou le Jazz électrique des années 70, il y a de nombreux exemples de mélanges de timbres dans une volonté de paysagisme sonore, d’Exotisme au sens noble du terme.

C’est plutôt l’expression d’un goût prononcé pour ce pouvoir qu’a la musique d’évoquer de nombreux lieux, de nombreuses destinations, mais aucun(e) en particulier.

Encore une fois, je n’aime pas trop les genres définis, les dogmes, cela se reflète donc, je suppose, dans ma musique.


Sur BVO, agis-tu comme une sorte de chef d’orchestre ou tu composes vraiment tout ?

Nous ne sommes pas un orchestre, et tout n’est pas vraiment composé … Si j’écris en effet la musique, elle est ensuite interprétée par les musiciens et moi.

En répétition puis en studio les musiciens prêtent leur sensibilité à la musique, proposent des idées d’arrangements c’est un processus de dialogue qui s’engage alors. L’objectif de celui ci est d’aller à l’essentiel de ce que chaque composition à a proposer et il n’est pas rare que je demande l’avis des assistants ou des stagiaires des studios dans lesquels nous enregistrons.

Même si je suis le juge de paix, je profite de la chance de pouvoir regrouper une telle richesse et une telle diversité de talents au service de la musique. Quels moments magnifiques quand chacun est tour à tour le peintre ou la couleur sur la palette.

Le nouvel album La Course a un coté « naturaliste » incorporant des sons d’orages, de vent, de pluie… C’est une inspiration forte pour ce nouveau projet ?
C’est une inspiration forte dans ma discographie, cela dit aucun de ces sons évoquant l’orage, le vent ou la pluie ne sont des vrais enregistrements de ces phénomènes météorologiques, et sans vouloir entrer dans le détail, on me trouve souvent dans ma salle de bain ou dans ma cuisine avec mon petit magnétophone Nagra. J’adore l’idée de recréer de toutes pièces des paysages sonores évocateurs de la nature un peu à la manière de certains professionnels du bruitage de film, avec l’équipement à ma disposition …

La qualité de production, de mastering et de mixage de l’album est assez incroyable : gères-tu cet aspect seul ? Quelles sont tes références en la matière ?
Je crois que sa qualité vient d’un grand respect de chaque étape de travail. Du choix des musiciens, de leurs instruments, de la technique d’enregistrement (pour cet aspect je travaille étroitement avec le même ingénieur du son depuis des années : Maxime Kosinetz).

Le mixage n’est souvent que le reflet du travail qui a été fait en amont, contrairement à l’idée généralement répandue actuellement. Je pense d’ailleurs que la mise sur piédestal des ingénieurs de mixage depuis quelques années est le reflet de la tendance générale à accorder de moins en moins d’importance au processus d’enregistrement.

La production est une question de vision mais aussi de situationnisme, j’ai toute la vie devant moi pour faire le disque que je veux faire, j’essaie de faire les disques que je peux faire. J’aime l’inattendu, les accidents, quand les musiciens interprètent une idée de manière originale, personnelle. Aimer la rigueur sans faire de micro-management, au contraire, laisser la musique respirer, vivre avec ses éclats de pureté et ses imperfections. Alors même si je produis et mixe mes disques, je crois qu’il s’agit d’un effort d’ensemble.

Si tu retrouves les musiciens qui participaient à Jungle, quelle Jungle ? , il y a de nouveaux musiciens comme le percussionniste colombien Pedro Barrios et Maxime Daoud au clavecin : comment choisis-tu les intervenants qui oeuvrent avec toi ? Les retrouve-t-on à tes cotés lors de tes prestations live ?
Il n’y a pas de règles, nous avions tourné avec Pedro Barrios et l’envie était là pour nous tous d’aller en studio avec lui. Maxime Daoud est un ami et j’apprécie particulièrement son projet Ojard, il se trouve qu’il habite juste à coté du studio ou nous enregistrions, la décision s’est prise assez instantanément de le convier quand nous voulions avoir un musicien supplémentaire au clavecin…

En des termes plus larges, BVO est une grande famille. Plus d’une vingtaine de musiciens ont participé au projet au cours des années. J’adore convier les musiciens qui me plaisent à rejoindre l’ensemble, ce quel que soit la scène à laquelle ils appartiennent … D’Halo Maud à Sylvie Hoarau de Brigitte, du percussionniste kabyle Amar Chaoui au batteur de rock Wendy Killman, Adrien Soleiman, Jim Grandcamp, Julien Cavard, Tanguy Jouanjean, Rebecca Baby, Inor Sotolongo, Ze Luis Nascimento, Joachim Polack et bien d’autres … C’est vital pour moi que BVO soit un espace de rencontre et d’échange entre des musiciens de tous horizons c’est ce qui rend la musique et l’aventure humaine si riche.

Savoir se mettre en tant que musicien au service des compositions de quelqu’un d’autre est un art en soi. Surtout dans une époque si individualiste où tout le monde veut être une vedette, faire son petit cinéma. C’est une idée centrale dans BVO que la musique soit la star du projet.

Au final, la Course est un album aussi intellectuel & psychédélique qu’hédoniste & naturaliste : l’entre-deux est un exercice que tu affectionnes ?
L’inspiration n’est pour moi pas un exercice … et je crois que chacun est libre d’interpréter la musique comme bon lui semble. Pour autant je ne crois pas à l’entre deux, mais plutôt au clair-obscur, à la dynamique, au relief.

BVO en live c’est comment ? À la fois musique et visuel ?
Pour moi c’est un grand moment de communion entre les musiciens, nous sommes souvent très nombreux sur scène, sans playback ou autre métronome et il y a donc une force d’interprétation qui est très différente de la musique électronique actuelle.
Cela dit je n’ai jamais moi-même été dans le public à un concert de BVO donc je t’invite à venir voir pour te faire une idée !

Sais-tu déjà quel sera ton prochain challenge, ton prochain projet ?
Entre de nombreuses autres réalisations à sortir comme en cours de travail, nous espérons bien retourner en studio cet été pour préparer un nouveau BVO.

(c) Lionel Rigal

La playlist :