JIL IS LUCKY
Elle est belle et son prénom c’est Manon…

Jil Is Lucky, de son vrai nom Jil Bensénior, est un cas à part dans le paysage musical hexagonal. Auteur, compositeur, interprète, il développe un style et univers musical spécifique pour chacun de ses albums. Car si les deux précédents opus étaient en anglais, ce nouvel album est entièrement en français – en alexandrins pour être précis – et prend la forme d’un concept album !

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C’est difficile de te suivre car tu aimes brouiller les cartes…
J’ai publié mon premier disque en 2009 puis le deuxième In The Tiger’s Bed en 2013. On tourne beaucoup pour chaque album. Chaque disque est une sorte de virage à 180° degrés. J’aime bien prendre le temps de la réflexion. J’aime l’idée d’un art en mouvement perpétuel, ne pas se répéter et ne jamais proposer la même chose. Je me rends bien compte que c’est une stratégie anti-commerciale au possible mais j’ai la chance d’avoir un label qui me suit, me fait confiance et me laisse toute latitude créative.

Pourquoi proposer un album entièrement en français, chose que tu n’as jamais faite auparavant ?
Je suis jusqu’au-boutiste, pour moi c’est tout ou rien. Lorsque les phrases me sont venues sous forme assez classique, en alexandrins, j’ai voulu aller jusqu’au bout du processus et servir des idées résolument modernes sous une forme vraiment classique. Je suis aussi parti sur l’idée d’un album concept qui raconte une histoire d’amour, tout ce qu’il y a de plus banal en soi, avec les prémices, le développement et la rupture – forcément ! Je voulais me servir du support musical pour raconter cette histoire et le français s’y prête très bien alors que l’anglais est vraiment dédié à la pop. Le français est plus guttural et marche plus sur le rythme. Manon n’est pas un album flamboyant; il joue sur la retenue, voire sur une certaine froideur. Je crois même qu’il y a beaucoup de désespoir dans cet album. J’aime bien ce côté sensuel à la fois.

En général, les productions françaises ont tendance à mettre les voix en avant, pourtant ici ta voix est vraiment mixée dans la musique. Est-ce une volonté de ta part ?
Je viens l’easy-pop anglaise donc je pense que je n’ai tout simplement aucun réflexe quant à la musique française. On a plutôt appliqué les codes de la musique anglaise à un album en français.

De fait, le texte est moins identifiable de prime abord, serait-ce une manière de forcer l’écoute quelque part ?
Pour moi, Manon n’est pas un album qui joue sur l’immédiateté. Il a une certaine prétention à vouloir jouer la carte de la profondeur, à jouer sur la réécoute et la durée.

 

L’album joue sur une base électronique avec pas mal de synthés, là aussi c’est une volonté assumée ?
C’était une envie de mélanger une production électro avec des instrumentations de guitare, de basse, de batterie, le son des cordes et des cuivres comme dans la pop des années 1960 et 1970, donc plutôt à l’ancienne. Mais c’est un album fabriqué comme un disque d’électro, c’est-à-dire que j’ai donné mes démos au réalisateur, on a tout enlevé pour ne garder que la ligne de voix, le cœur de la chanson puis on a retravaillé dessus. Le réalisateur en question fait à la fois de la musique de films et de l’électro mais complètement barrée. C’était assez trippant de mêler les instrumentations classiques comme les cordes à une production électro vraiment super moderne avec des claviers. D’ailleurs, on a utilisé que des émulations de Game Boy, de Commodore et de Nintendo. Le premier titre « 8-bit à mort » annonce d’emblée de jeu la couleur, c’était une façon de mêler nos deux univers : la pop très orchestrée très 70’s et Manon le 8-Bit.

Peux-tu nous raconter l’histoire qui sous-tend l’album ?
C’est somme toute une histoire très banale. Un type d’une trentaine d’années rentre dans un club et tombe sur cette gamine qui mixe. Elle est simplement magnifique. Il en tombe fou amoureux et passe quelques nuits avec elle. Puis un soir, il va la voir par surprise et la surprend en plein ébats sur le capot d’une voiture. À partir de ce moment, il fait une véritable descente aux enfers. L’histoire est banale mais la langue française a ceci de particulier que, selon moi, la forme fait le fond. J’en suis vraiment convaincu. Ceux que je considère comme des maîtres de la littérature (Flaubert, Chateaubriant ou Stendhal) ont cet art de raconter l’évidence. Il n’y a pas un milliard d’histoires possibles, c’est la forme qui diffère. La langue française est peut-être comme l’éloge de la banalité dans une certaine mesure. Je ne crois pas à la beauté de l’extraordinaire. Je crois plutôt que la grandeur de l’art, c’est de mettre en lumière l’évidence par le média ou la forme artistique. L’art, c’est de nous éclairer l’ordinaire.

Outre la musique, tu as d’autres cordes à ton arc ?
Oui, je suis aussi peintre et sculpteur. C’est assez lié avec la musique et aussi avec mon humeur. En ce moment, je peins des aquarelles. C’est l’inverse du travail de la peinture à l’huile où l’on commence avec un fond pour ajouter ensuite des éléments avec des premiers plans, des seconds plans. Avec l’aquarelle, on utilise le procédé de la gomme : si je veux peindre cette table et cet aplat de couleur en arrière plan, il va falloir que d’abord je dessine la table, que je mette de la gomme dessus, ensuite je peins tout le fond de la toile et, une fois que ce fond est sec, avec le doigt je retire la gomme et je dessine la table. J’aime la fragilité de ce processus.

Cet album c’est donc un peu ta période aquarelle ?
C’est possible oui. En tout cas cela y correspond.

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J’ai lu quelque part que tu étais fasciné par ton chat que tu pensais partager les mêmes questionnements que lui…
Tout à fait. J’aime la stature des chats, cette élégance dans les mouvements. Je suis insomniaque et chaque fois que je me lève la nuit, mon chat, qui dort 22h sur 24, est toujours là, réveillé. Lorsque nos regards regards se croisent, j’ai l’impression que c’est à lui de poser les questions.

Si cet album devait avoir des filiations, quelles seraient-elles selon toi ?
Je citerais d’une part Obscure by Clouds de Pink Floyd pour le côté posé mais avec une recherche rétro-futuriste. C’est la folie tranquille ! D’autre part, L’Homme à tête de chou de Gainsbourg pour l’atmosphère lancinante et puis parce que Manon et Marilou sont des personnages assez proches quelque part.

Comment comptes-tu amener un disque comme celui-ci vers la rencontre avec le public en live ?
Justement j’entre en résidence lundi pour trouver la réponse. J’ai envie de jouer le truc à fond, l’élégance. Le jeu des instruments sera crucial. Il faut qu’on parvienne à délivrer la même intention à quatre sur scène et c’est là qu’est le challenge. Je ne suis pas fan des projections mais si on a l’occasion de jouer au milieu de la scène entourés par des projections en 360°, ça peut être vraiment top. On pourrait le faire uniquement dans des salles comme la Gaîté Lyrique ou la Géode, et encore il s’agirait de projections à 180° et non 360°… On veut aussi recréer une ambiance de club avec de très beaux lasers.

Quelle est votre première date live ?
On se produit sur la scène du Café de la Danse à Paris le 9 mai et on sera tournée à l’automne.

Les textes sont importants sur ce disque, si tu devais citer une ligne extraite d’une des chansons, laquelle choisirais-tu ?
Je choisirais celle qui symbolise au mieux le côté très écrit et à la fois ouvertement assez cru : « Manon tapait l’écume de ses nuits blanches et moi quelques traits sur ses hanches ».

Jil Is Lucky
Manon (Roy Music)
jilislucky.com

L’album est accompagné d’un court-métrage tourné en 360°. Ce film est un prolongement de l’album : retrouvez-vous à la place du narrateur et vivez ses aventures parisiennes à la recherche de Manon. A découvrir sur l’application gratuite (androïde, apple store & oculus) jilislucky360. Et afin de profiter pleinement de l’immersion, utilisez les Love Cardboard de Jil Is Lucky. Plus d’informations sur www.jilislucky.com

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