Yelle c’est Julie Budet et Jean-François Perrier, duo des plus atypique qui, depuis 2005, nous propose une chanson pop synthétique scandée avec des textes on ne peut plus pétillants et facétieux. 3 albums, de nombreux singles dont quelques hits imparables (« Je Veux Te Voir ») et quelques tours du monde plus tard dont plusieurs tournées aux Etats-Unis, Yelle nous livre son 4ème album L’Ere du Verseau teasé par l’amouraché « Je T’aime Encore » et le sautillant et incongru « Karaté », un disque fort en émotion mais toujours dansant, pour notre plus grand plaisir.

On t’attendait depuis un moment après ton 3ème album mais tu n’as pas chômé pour autant dis-moi…
Effectivement par exemple j’ai fait un court-métrage et j’aime beaucoup mais j’avoue que je ne pousse pas dans ce sens, je n’ai même pas d’agent : mais si quelqu’un a des envie de tournage avec moi, je suis partante ! Et puis on a sorti des singles, on a tourné…

Le titre de ce 4ème album est L’Ere du Verseau, c’est ton signe ?
Pas du tout ! (Rires!) Je suis Capricorne. Le titre n’est pas en lien avec mon signe astrologique, mais avec l’idée que l’on vient de traverser ces 2000 dernières années avec l’ère du poisson, une ère très guerrière, autour de l’idée d’avoir un seul homme au pouvoir, une société pyramidale… Mais l’ère suivante (dont on ne sait pas vraiment lorsqu’elle commence) c’est une ère d’apaisement, qui est fraternelle, qui horizontalise en favorisant des amitiés entre les peuples. Jean-François et moi on trouvait ça beau et on avait envie de ça. On se sent oppressés en tant qu’individus dans la société dans laquelle on vit en ce moment. Je ne sais pas s’il agit d’un message d’espoir mais en tout c’est une vision qui est différente. Un changement qui replace l’humain au coeur de la vie.

C’est presque paradoxal avec l’envahissement actuel que l’on subit avec les réseaux sociaux…
Justement l’ère du Verseau c’est aussi l’ère de la communication : mais est-ce que les choses vont changer pour autant je ne sais pas ?

Tu nous as habitué à un univers visuel assez déluré et coloré mais pourtant la pochette montre une rare sobriété, toi qui m’est toujours apparue comme très Technicolor.
C’est vrai qu’on a cette image là et on aime ça. Pour autant, c’est vrai que le clip de Je T’aime Encore est tout blanc : on avait aussi envie de raconter une autre part de nous qui est peut-être plus sombre, un coté « bleu » qui est peut-être lié au fait de veiller, de grandir, envie de raconter d’autres choses mais sans que ce soit dramatique non plus. En fait on a toujours fait ça : on a toujours parlé de la mort, mais sous une forme un peu légère. L’idée c’est toujours de faire danser avec des trucs sérieux. On aime bien aussi la noirceur et ce que cela peut raconter. Dans la pochette je pense qu’il y avait un peu l’idée du chaos, de passage dans un moment de tempête qui amène à quelque chose de nouveau. En fait même si je reste optimiste, je me sens moins naïve aujourd’hui avec les choses que l’on traverse, notamment cette année…

Un peu plus les pieds sur terre ?
Peut-être…

Cela vient peut-être aussi de la vie que tu as à la campagne ?
Oui j’habite en Bretagne, dans la baie de Saint Brieuc, cela doit jouer. D’ailleurs, cela m’a permis de vivre le confinement assez bien si je compare avec des amis qui sont en appartement par exemple. Même si ce n’est pas du confinement j’ai aussi l’habitude de vivre un peu comme cela, lorsqu’on travaille en studio notamment. Les semaines on avait beaucoup de travail à terminer l’album, préparer la sortie, les singles etc… Ce qui était particulier pour nous c’était ne pas pouvoir sortir, ne pas aller boire des verres avec des copains, ne pas aller au resto, ne pas aller voir de concert, etc… J’ai du mettre en pause mes cours de flûte traversière au Conservatoire etc… C’est le lien social qu’on a perdu durant cette période.

Quand l’album a-t-il été conçu ?
L’album était terminé avant le confinement c’était le moment où l’on s’occupe du tracklisting, etc.. Tout a été fait à la maison sauf le mixage et le mastering : on a travaillé avec un garçon qui s’appelle NKF (PNL, Angèle). Il a mixé l’album de Sébastien Tellier aussi. Il vient du rap mais il est très pop dans ses goûts. On avait juste tourné le clip de « Je t’Aime Encore » avant le confinement. Et puis ce nouvel album on le sort sur notre propre label Récréation Center et c’est la première fois qu’on fait tout, tous seuls. Tout cela était en gestation donc le confinement a été assez dense pour nous : on ne s’est pas ennuyés.

Qu’est ce qui a été le point de départ de l’album ? Tu as publié des singles entretemps mais à quel moment t’es-tu dis « on va faire un nouvel album » ?
En fait on commençait à avoir pas mal de bouts de choses : un peu de musique et des morceaux de textes, sur lesquels on revenait avec des choses qui nous accrochaient. J’ai tendance à penser que lorsque des choses reviennent régulièrement c’est qu’elles doivent exister. Sur une ou deux démo quelque chose s’est déclenché et on a eu la réponse à cel que l’on cherchait.

Quel a été le premier morceau terminé ?
C’était « Peine de mort » : c’est pas le morceau le plus joyeux je sais. C’est assez personnel : j’ai perdu mon papa à l’automne 2018. Ce morceau a été commencé à distance avec un ami de Montréal, puis Jean-Français a travaillé dessus et l’idée s’est imposée et du coup on est partis à Montréal pour faire les prises de voix studio et pousser la production. Après une semaine là, on est revenu avec le morceau terminé qui nous a paru être le début possible d’un album, chose que l’on n’avait pas ressenti depuis 4 ans, malgré les singles comme « Romeo » publiés entretemps. Cela nous a mis le pied à l’étrier, on s’est rendu qu’on étaient prêt mais il nous fallait un déclic. Voyou est passé durant l’été et on a travaillé ensemble sur « Menu du Jour », « Vie d’en face », il a aussi joué de la basse sur « Emancipence » et c’était lancé.

L’Ere du Verseau est un album pop, également plus grave, mais vous allez continuer de nous faire danser en live dès que possible n’est-ce pas ?
A la rentrée on espère pouvoir débuter une tournée en France et en Europe qui passera par 2 dates à la Cigale fin octobre. On est pressé de revoir les gens, de les retrouver.

« Mon beau chagrin » parle justement de cette déprime d’après concert, après des heures de liesse sur scène…
Quand on est en tournée on vit des moments up and down assez forts. Mais là avec le confinement on s’est rendus compte combien on aime ça et combien cela nous manque. Ce que j’aime dans mon métier c’est les gens, c’est ce que le live provoque, ce que ça leur procure à eux…

On pourrait croire que tu es plus quelqu’un de studio …
Non je suis carrément plus scène. Le studio c’est un moment que j’aime bien mais c’est aussi avoir la pression de devoir rendre quelque chose qui sera figé ensuite. Avec le live on peut se réinventer tout le temps et c’est génial. C’est un vrai moment de partage avec les gens et j’adore ça. J’aime vraiment les gens.

Tu es une des rares françaises à avoir traversé l’Atlantique : c’est un exploit, en français qui plus est, et cela continue !
Je crois qu’on a été dans les premiers à proposer ce type de pop en français et on a rempli une place. Le live a aussi beaucoup contribué : on a fait des danser des gens qui ne comprenaient rien aux paroles mais qui aimaient notre énergie. Et puis il y eu des dates clés comme Coachella qui ont un fort rayonnement vis-à-vis des programmateurs de salles et de festivals.

Comment avez-vous choisi l’ordre des morceaux ?
C’est un vrai casse-tête pour moi mais Jean-Français lui est plutôt doué pour ça : c’était finalement assez évident que l’on commence avec « Emancipense », un titre assez « libérateur ». C’est le morceau qui dégoupille !

Peut-on parler de « Je veux un chien » et de son double sens?
En fait c’est parti de l’idée que je voulais vraiment un chien. Il faut dire que l’on avait perdu notre bouledogue environ un an avant et il me manquait. Moi j’adore avoir le fait d’avoir un animal de compagnie. Mais la chanson a pris une autre tournure avec des paroles ambiguës, avec une histoire de liaison un peu sado-maso. Je trouve que la sexualité et le désir est hyper importante dans la vie de couple mais lors de discussions enflammées avec des amis qui se sont hélas séparés. Et je trouve ça bien d’en parler sans tabou, et toujours avec un peu d’humour.

Quand à « Menu du Jour » ?
C’est le genre de morceau avec une réflexion un peu ouverte que j’aime bien. Je ne suis pas pour apprendre aux gens comment c’est la vie, avec un mode d’emploi etc.. C’est idée de pouvoir entrevoir la possibilité d’aller vers quelque chose de différent, hors des schémas habituels. Tout ça toujours dans le même esprit d’ouverture. Tu crois qu’un relation doit être comme cela mais entend que l’on peut faire autrement. A chacun de trouver sa formule qui fonctionne pour lui.

L’album se clôt superbement avec « Un Million »
Je ne voyais pas l’album se terminer autrement : en fait on est dans l’idée qu’on a vécu longtemps avec des carapaces et qu’on mille choses à faire et plusieurs vies à inventer. Même si aujourd’hui je ne me vois pas faire autre chose que mon métier de chanteuse, en riant je dis que j’aimerais bien être herboriste. Et depuis quelque temps, je me dis : et pourquoi pas en fait ?