Modzik a rencontré Lord Esperanza juste avant son showcase au MaMA Festival. Nouvelle coqueluche du label Modulor, éloquent à la scène comme à la ville, il s’apprête à publier son premier album – Polaroïd, après Drapeau Noir, un premier EP sorti plus tôt cette année.

Modzik : (…) certains de tes morceaux, très logiquement, sont assez accessibles, tandis que sur celui-ci (Love Yourself présent sur l’EP Drapeau Noir, ndlr) c’est une totale prise de risque pleine d’honnêteté et on ne peut que saluer ça.

Lord Esperanza : Ça me touche beaucoup merci, c’est très rare qu’on s’entretienne avec moi de ce morceau, que ce soit les gens ou les médias. C’est un morceau qui n’a pas bien marché, mais ce n’est pas la finalité à laquelle on aspirait comme tu sembles l’avoir compris.

Tu es né en 96 et si on s’en réfère à tes paroles, tu meurs dans 6 ans c’est ça ?

On rentre tout de suite dans le vif du sujet ! Effectivement, c’est ce que je dis dans mon morceau “Emily” sur l’EP Drapeau Noir.

C’est plutôt pour le sens de la formule, ou tu essaies de miser sur ta propre mort de manière prophétique ?

C’était un jeu de mots sur le 27 Forever Club et la vague rockstar qu’ont essayé d’insuffler certains rappeurs. Je trouvais assez pertinent de le relever pour le dénoncer puisque je suis loin d’en être une. Je ne veux pas mourir à 27 ans, j’en suis même aux antipodes puisque j’ai arrêté de boire et de fumer.

“J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui aujourd’hui a une place fondamentale dans ma carrière, ma musique et mon cœur”

Je crois que Kendrick Lamar a tout arrêté lui aussi.

Il était encore bien drunk dans son clip tourné entre Paris et Compton pour son morceau “Backseat Freestyle” en 2013. Mais oui, je crois bien qu’il parle de cette décision dans une interview récente.

Tout le monde évolue on dirait ! Justement, tu peux nous contextualiser ce que tu faisais avant ton premier EP Hors de Portée en 2015, nous dire dans quelle mesure ça a été compliqué ou non de sortir ce premier projet ?

J’ai fait beaucoup de freestyles avec d’autres MC, j’ai longtemps kické à droite à gauche. Jusqu’à ce que je signe chez Modulor dès 2015 pour Hors de Portée. J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui aujourd’hui a une place fondamentale dans ma carrière, ma musique et mon cœur. Il s’appelle Flavien et m’a recueilli quand j’avais 16-17 ans, il m’a apporté son soutien et m’a entièrement enregistré.

Recueillir comme héberger ?

Oui, en quelque sorte. Disons qu’il m’a aidé quand j’avais des problèmes, financiers certes mais notamment dans mes relations parentales. Il a joué rôle de second père en m’accompagnant. Je dirais donc qu’en surface la sortie de ce premier EP fut aisé, mais ça aura été un long combat, surtout contre moi même. Je suis fier de cet EP, et ce malgré le fait que je n’en parle plus ou que je ne le défende plus, car obsolète. Mais il reste la première concrétisation de mon investissement dans la musique. C’est un EP 9 titres tout de même, sorti a 18 ans. Je dirais même qu’il était déjà obsolète avant que je ne le sorte.

Je suis tombé sur une émission superbe hier, Vinyle, présentée par Juan Massenya sur France O. Il recevait Damso dans la médiathèque de Radio France. Un Damso qui lui parle de sa rupture parentale – il a des parents médecins comme toi. Son père aspirait de grandes choses pour lui et Damso voulait plutôt faire de la musique. Ni une, ni deux, son père l’a tout bonnement viré du foyer familial : “Tu veux faire un album ? Alors fais le de A à Z en partant de rien.”

C’est une forme d’amour, de l’une des plus belles qui puisse exister. C’est dingue, on a failli passer à côté de quelque chose de très grand finalement.

“On en veut pas au label, c’est assez compliqué d’avoir confiance aveuglément”

A quel moment Majeur Mineur, qui produit Drapeau Noir, débarque dans ta carrière ?

Il y a un an et demi je crois, il rentrait d’une année d’études à l’étranger. On avait des connexions musicales communes, on a donc discuté rapidement sur Twitter, on décide de se voir aussi rapidement. On passe trois longues heures à discuter, assez naturellement je dois dire, comme si on se connaissait depuis des lustres. Il a sorti son ordi, m’a fait écouter 10 instrus, j’en ai sélectionné huit d’emblée. Et on décide de sortir un EP.

Banco !

Des huit morceaux de la présélection, un seul n’a pas évolué – “Emily”. Il y a une anecdote assez intéressante à propos de “Love Yourself” également puisque lors de notre première rencontre je n’ai pas attendu plus de trente secondes avant de lui dire de passer à la suivante, ce n’est que quelques mois après qu’il me l’a remise sous le nez et que je me sentais prêt à rentrer dedans. J’avais déjà gagné une folle maturité durant le peu de mois passés à travailler ensemble.

Pour quelle raison tu as repoussé ce morceau lors de la première écoute ?

J’étais vraiment pas prêt, je trouvais ça trop… avant-gardiste. Les instrus étaient toutes trop avant-gardistes en fait, mais celle là l’était encore plus. “Origines”, le premier titre de l’EP, avait tout d’abord été proposé au FF Crew, notamment à Lomepal, mais ils l’ont tous trouvé trop casse-gueule. J’ai fini par trouver comment l’aborder et je suis donc allé voir Modulor, j’y croyais beaucoup malgré qu’on avait encore aucun résultat, aucun chiffre, et je leur ai dit que je voulais un bon clip, que je voulais le sud de la France. Ils ont refusé, et maintenant le titre est à 400.000 streams et est l’un de ceux pour lequel beaucoup de gens me demandent un clip. On en veut pas au label, c’est assez compliqué d’avoir confiance aveuglément.

Parle nous de l’évolution de ta relation avec Modulor justement.

C’est une belle relation car c’est la maison de disques qui aura cru en moi dès le départ. Ils m’ont trouvé alors que je cumulais 700 petites vues avec mon premier clip, retiré depuis et intitulé “Destinée”. C’est un de mes amis qui a partagé ce morceau et il se trouve qu’un chasseur de têtes de Modulor se trouvait dans ses followers. Il m’a de suite envoyé un message et on s’est rencontrés tous les trois avec Flavien qui faisait déjà partie de ma vie. On a signé super vite derrière. Je dirais donc qu’il y a un côté fort exponentiel dans cette relation. Deux EP, un album, une tournée qui se prépare… Flavien qui habite désormais à Montréal m’a même trouvé une porte d’entrée sur la scène québécoise. Il y a eu les Grünt aussi. Tout ça est fou en fin de compte.

Il y a un certain rappeur, Lucio Bukowski, signé chez Modulor. Tu le connais ?

Je connais un peu l’Animalerie et une connaissance m’avait passé quelques morceaux de ce gars. Il y en a un que je trouve sublime, mais impossible de mettre un nom dessus.

Hourvari, son meilleur album à mon sens, contient un morceau qui s’appelle “Si Chopin avait eu une MPC, Baudelaire aurait rappé“. Une manière subtile de dire que les rappeurs sont les poètes de notre temps.

Je suis totalement d’accord avec le titre, la musique qui accompagne désormais les mots rend forcément tout ça plus populaire, plus accessible, mais le fond reste le même, les rappeurs sont des poètes, indéniablement.

“Je m’intéresse surtout à l’avant-gardisme, et je suis moins attiré par le savoir-faire que par la communication et l’image”

Notre magazine traite également de mode, et on te catégorise souvent comme un rappeur dandy, un rappeur haussmannien même. Quel est ton rapport à la mode ?

Ce côté dandy est une thématique que j’ai voulu défendre, d’où le “Lord” que j’ai apposé à mon premier nom de scène qui était Speranza. Pour ce qui est de la mode donc, je dirais que je fonctionne par vagues. Je n’y prête pas grande attention en fait. Paradoxalement je suis en train de penser à ma propre marque, attention je ne parle pas de merch Lord Esperanza mais d’une marque qui sera totalement indépendante de mon projet musical. Je ne voudrais pas qu’on vienne acheter mes collections comme les Fucc Boys achètent du Yeezus. Je pense à Alexander McQueen notamment, qui est le premier à avoir réellement théâtralisé les défilés en y adjoignant la culture urbaine. Je m’intéresse surtout à l’avant-gardisme, et je suis moins attiré par le savoir-faire que par la communication et l’image.

Polaroïd, le premier album de Lord Esperanza, est paru chez Modulor le 27 octobre. La release-party, sold-out, est prévue à La Boule Noire le 28 octobre.

On vous laisse avec notre morceau préféré de Polaroïd :