Boosté par l’exposition que lui a offert Nike en illustrant la campagne mondiale The Chosen par son titre « I got a thing », reprise détonante d’un morceau de Funkadelic, il débarque en octobre avec son premier album.

Qu’est ce qui t’a amené à la musique ?

J’en ai toujours fait. Quand j’étais enfant, ma mère me forçait à faire du piano classique et ça ne m’intéressait pas. Je me suis rebellé. Il y avait une guitare à la maison et je me suis dit, quitte à apprendre la musique, autant jouer d’un instrument que j’aime.

Le skate était un autre de tes hobbies. Comment les deux sont-ils imbriqués ?

La musique et le skate sont semblables pour moi en terme de créativité. Ce sont deux disciplines que n’importe qui peut pratiquer, qui n’appellent pas le jugement. Que tu t’amuses, c’est ce qui compte. De plus, le skateboard m’a exposé à plein de styles de musique car il n’est pas exclusif en terme de genres. Si tu es punk-rock, tu vas quand même aller skater avec un mec hip hop !

Quel son écoutes-tu quand tu skates ?

Dans les 90’s, c’était plutôt du hip hop, comme Guru ou Mob Deep, ainsi qu’un bon paquet de vieux classiques qu’on découvrait chez les parents des potes, par les vidéos de skate… De la musique noire, mais aussi Black Sabbath, ça venait de partout…

Qu’est qui t’a fait te dire un jour : « je veux être un musicien » ?

Le moment décisif est sans doute le jour où j’ai eu mon premier ampli et ma guitare électrique.

Comment décrirais-tu ta musique ?

C’est du rock’n’roll. C’est ce qui s’en rapproche le plus. J’y mets tellement de choses différentes que je suppose que ça dérive vers ce côté un peu garage des années 50- 60, et le blues aussi…

Les Black keys ont dit de toi que tu es la prochaine sensation rock garage…

Ah! C’est cool…

Quelles ont été tes influences musicales sur cet album ?

Quand je le faisais, j’écoutais pas mal de rock garage, Sam Cooke aussi, The Cramps, beaucoup d’enregistrements des années 50, des groupes de filles comme les Shirelles ou les Marvelettes… Ce sont les trucs qui m’ont donné envie de capturer cette ambiance, et pas nécessairement la technique pure d’enregistrement, de production ou les arrangements.

Tu es très inspiré par l’esthétique des années 50, pas seulement dans ta musique, également dans ton style, vestimentaire, ton attitude…

Pour moi, cette période est véritablement iconique et classique. Elle transcende complètement les tendances, reste toujours à la mode ; c’est dur de dire qu’un tee-shirt blanc et un jean est un mauvais choix ou qu’une buick de 1957 est moche. Je pense que les choses avaient un but, un propos. J’aime qu’elles soient simples, sans trop de fioritures. 

Politiquement, cette époque n’était pourtant pas si simple…

Les années 80 où tout le monde essayait d’ouvrir des « diners » et de faire du Doo Wop. Mon père vient du Moyen Orient et ma mère des Philippines, ils se sont installés à San Francisco et m’ont donc exposé à cette culture américaine occidentale. Je n’avais pas de famille qui vivait dans ce coin de la baie, je suis fils unique, donc j’étais plutôt livré à moi-même, je faisais un peu ce qui m’intéressait.

Que t’a apporté ton métissage ?

Etre métis c’est grandir avec des interrogations par rapport à ton identité. Tout ce que tu vois à l’école ou chez les autres est complètement différent de ce que tu vis chez toi. Dans ma famille, on était plus dans une démarche d’adaptation, d’assimilation à cette nouvelle culture. Généralement, beaucoup de familles étrangères, asiatiques, indiennes,… sont plutôt très unies. C’est intéressant parce que chez moi, ce n’était pas vraiment comme ça, il n’y avait pas ce discours: «nos traditions sont comme ça, c’est ce qu’on mange, comment on vit chez nous… » qui se résume en un sens à transplanter sa culture d’origine. Mes parents ont pris l’approche opposée.

Peut-être aussi par ce que tous deux étaient non seulement de culture étrangère à la culture américaine mais surtout étrangère l’une à l’autre…

Oui, venant de deux pays différents, ils ne pouvaient même pas parler la langue l’un de l’autre donc ils communiquaient en anglais. C’est énervant car tout le monde s’étonne que je ne parle ni tagalog ni arabe mais à qui j’aurais été supposé les parler ? Je n’ai ni frère ou soeur, ni famille proche dans les environs, mes parents parlaient anglais, quand est-ce que j’aurais pu les apprendre !

Certains de tes clips et notamment celui de « Dead wrong » font penser à des vidéos ou documentaires d’époque sur les mouvements des droits civiques… C’était volontaire ?

Pas du tout. J’ai vu ce documentaire sur les gangs de San Francisco dans les années 60. Ca m’a rendu dingue parce que j’ai grandi dans certains des quartiers qu’ils montraient. Il s’agissait des mêmes endroits mais avec des buildings qui là n’étaient pas encore construits,… Ces gars jouaient de la guitare, s’amusaient à se battre,… J’ai pensé que ce serait cool d’en faire une vidéo. C’est une coïncidence, une trouvaille heureuse.

Tu as un style très distinct et tu es manifestement très précis dans ce que tu veux porter. Qu’est-ce que tu aimes dans la mode, si tant est que tu aimes la mode ?

Rires (L’interview se déroule juste après le shooting où il pointait du doigt tout ce qu’il trouvait trop

« mode ». ndr) Tu sais, j’aime la mode de loin mais quand il s’agit de moi, je sais ce que j’aime. La différence est là. J’ai été designer de vêtements; en fait, j’ai même fait des trucs pour Nike par le passé. Je travaillais pour des compagnies de skateboard et j’ai créé pour un grand nombre de marques, Vans, Converse… Mais pour ce qui est de moi au quotidien, je suis plutôt du genre je me lève le matin et j’enfile un tee-shirt… J’apprécie la mode pour ce qu’elle est, je connais le chemin mais je ne veux pas avoir à y penser. Je pense que certaines personnes la prennent trop au sérieux, essayent d’être avant-garde ou sont trop dans l’effort. Mais ce n’est pas une question de confort; certains portent des choses extrêmes et ont l’air à l’aise dedans et ça se voit.

Mais en un sens, porter comme tu le fais beaucoup de denim, de workwear, plutôt vintage, c’est une manière de démarquer son style…

En fait, à l’époque où je créais des vêtements, j’ai commencé à collectionner du vintage. Je courais les puces, les boutiques de l’armée du salut à peu près trois fois par semaine et j’ai une collection hallucinante de vintage. J’adore ces sous-sols de magasins remplis de blousons…

C’était une source d’inspiration pour ton travail…

Oui, mais je ne fais plus de vêtements aujourd’hui. 

C’est par ce biais, en temps que designer, que tu as rencontré les gens de Nike ?

Non, c’est une pure coïncidence. Je créais pour Nike SB qui n’a pas forcément de contact avec le département marketing de Nike. J’ai donc dessiné des vêtements et des chaussures pour quelques projets de Nike mais c’était bien des années avant qu’ils ne choisissent cette chanson pour leur campagne. En fait ils ne savaient même pas que je faisais de la musique, et d’ailleurs un des responsables du design des chaussures chez Nike SB que je n’avais pas vu depuis longtemps m’a appelé quand la campagne est sortie et m’a dit : « En entendant le son, j’ai demandé qui c’était et c’était toi, le mec avec qui j’ai créé une paire de pompe ! »

Qu’est-ce que cette campagne t’a apporté ?

C’est une énorme vitrine. C’est plutôt irréel de penser que des millions de gens vont entendre ce son. Et puis la vidéo est vraiment géniale, et je ne suis pas en train de faire de la lèche ! C’est superbement filmé et le skate, le surf, tout selon moi est représenté de manière authentique. Et que ma musique marche dessus, c’est cool.

Où as-tu enregistré cet album ?

Je l’ai enregistré durant les trois dernières années, et 80% des titres il y a déjà un moment. En fait, je faisais des cd et les donnais à des amis sans intention d’être signé ou d’entrer dans un label. Quand c’est arrivé, après évidemment tu as l’attente inévitable avant que ça sorte.

Il paraît que ton album a atterri dans les mains de Sarah de chez Colette puis à travers elle dans celles de Florence Welch…

C’est en partie vrai mais il y a eu une confusion avec les Sarah ! Sarah de Colette a acheté et mis dans sa boutique des disques que je gravais moi-même. Et Sara Nataf qui est une de mes amies a fait passer ma musique au manager de Florence & the machines, qui m’a appelé un jour qu’elle passait par L.A. Puis j’ai fais la tournée avec Florence.

Comment s’est-elle passée ?

C’était plutôt impressionnant. En fait, j’étais avec eux hier soir à Londres. Je résidais chez le guitariste. Ils sont devenus comme une famille, c’est génial d’être sur la route avec eux.

Es-tu connecté à d’autres groupes « indé » californiens ?

Non pas vraiment. Je suis partenaire avec les gens qui dirigent le label, nous avons récemment signé quelques groupes et nous essayons de construire quelque chose. Nick Waterhouse est l’un d’entre eux, sa musique est une sorte de RnB de la fin des années 50, réelle jusqu’à vous arracher des larmes. Et il y a ce nouveau groupe, Feeding People et ces gamins font un peu de la musique psyché, un parti pris audacieux.

Penses-tu que ton prochain album pourrait être complètement différent ?

Je pense que ce sera une extension de certaines pensées développées dans le premier. Le premier allait un peu dans plusieurs directions, le second sera sans doute plus recentré. Je ne sais pas en fait mais il est certain que tu ne vas pas y trouver une boîte à rythme !

Propos recueillis par Flora Zoutu 
Photos : Thierry Lebraly
Réalisation : Flora Zoutu